Un rapport publié par le collectif Les Morts à la rue dresse le bilan de la mortalité chez les personnes sans chez-soi. La région Hauts-de-France est la 2e région la plus meurtrière de 2023, avec 10% de taux de mortalité. L'association abej SOLIDARITÉ, qui œuvre dans la métropole de Lille, réagit et appelle à plus de moyens pour sortir les sans-abri de la rue et de l'isolement.
Alors que la trêve hivernale se profile, le collectif Les Morts à la rue (CMDR) publie son 12e rapport sur la mortalité des personnes vivant sans chez-soi en France. Une étude menée sur l'année 2023, dont les résultats se veulent chaque année un peu plus alarmants. L'an passé, le pays a enregistré un nouveau triste record, avec au moins 826 personnes ayant perdu la vie après avoir connu la rue dans leur parcours. 735 décès ont, eux, été enregistrés lorsque la personne ne disposait pas de logement.
Un nombre qui n'avait jamais été aussi élevé et qui prouve une nouvelle fois à quel point la rue demeure un espace mortifère.
66 décès dans la région
Dans notre région, la condition des personnes à la rue est d'ailleurs l'une des pires en France. Vincent Morival, directeur du pôle accueil de l'abej SOLIDARITÉ (association de la métropole lilloise qui lutte pour l'inclusion des sans-abri), a participé à l'étude publiée en cette fin octobre. Le militant explique que, sur les 826 décès rapportés par les associations en 2023, 66 provenaient des Hauts-de-France, soit 10% des disparitions enregistrées sur la période.
"Nous sommes la 2e région la plus mortifère après l'Île-de-France", précise Vincent en revenant sur les raisons de cette piètre position. "Une forte partie de notre population est touchée par le sans-abrisme, à peu près 3 000 personnes. On a aussi pas mal de personnes migrantes qui décèdent dans la Manche et une population fortement touchée par les addictions."
Une forte partie de notre population est touchée par le sans-abrisme, à peu près 3 000 personnes.
Vincent Morival, directeur du pôle accueil de l'abej SOLIDARITÉ
Des facteurs qui jouent donc sur le nombre de personnes confrontées à la rue et ainsi, à une mortalité plus forte. D'ailleurs, les chiffres enregistrés en septembre 2024 indiquent que le taux de mortalité chez les sans-abri a encore augmenté cette année pour notre région, qui concentre à ce jour 17% des décès chez les personnes sans chez-soi en France. Une augmentation liée en partie aux remontées plus systématiques des bénévoles en cas de disparition.
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Des causes de mortalité souvent floues
Derrière cet état des lieux, des facteurs aux origines multiples sont à prendre en compte. Le collectif Les Morts à la rue explique que, en lien avec l'isolement de ces personnes, l'identification des lieux et des causes de leur décès sont souvent difficiles à définir. Six cas sur dix ne permettent pas de classer les circonstances du décès dans une catégorie définitive. Toutefois, 22% des causes seraient liées à des causes externes (accidents de transports, agressions, suicides, noyades, autres...).
"C'est terrible à dire, mais oui la première cause de mortalité est "on ne sait pas"", ironise Vincent Morival. Malgré tout, le président de l'abej précise que les morts par causes violentes sont en hausse depuis quelques années, surtout en ce qui concerne les violences entre sans-abri. Également, les problèmes psychologiques, voire psychiatriques, ou d'addictions sont élevés. "On ne sait pas si c’est la cause ou l’effet, mais l'alcool et la drogue sont une forme d'automédication assez simple."
On ne sait pas si c’est la cause ou l’effet, mais l'alcool et la drogue sont une forme d'automédication assez simple.
Vincent Morival
La malnutrition, la pollution des centres-villes, le manque d'accès aux soins... Des réalités qui diminuent également l'espérance de vie des personnes à la rue et augmentent les décès liés aux cancers. L'âge moyen au décès d'une personne sans chez-soi est de seulement 48,8 ans contre 79,9 ans chez la population générale. D'ailleurs, l'abej SOLIDARITÉ souligne qu'une personne ayant retrouvé un toit après un parcours dans la rue, gagne dix ans d'espérance de vie.
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L'importance d'une communauté solidaire
L'isolement est une cause de mortalité qu'il ne faut pas négliger. En se retrouvant sans domicile, les personnes sans-abri tendent à se renfermer sur elles-mêmes, par honte, par fierté. Perte de contact avec un partenaire ou ex-conjoint, avec ses enfants, ses amis, ses proches... Le manque de contact humain et de bienveillance peut pousser, dans des cas extrêmes, aux idées noires voire au suicide chez certaines personnes seules.
Le président de l'abej commente : "Quand elles n’ont plus d’espoir et qu'elles sont coupées du monde, même déshumanisées, les personnes ne voient plus d’issue de sortie. C'est là toute l'importance de l'accompagnement d'une communauté de solidarité." Pourtant, parmi les lieux de décès identifiés, 32% ont eu lieu dans l'espace public, parfois à la vue de toutes et tous.
Quand elles n’ont plus d’espoir et qu'elles sont coupées du monde, même déshumanisées, les personnes ne voient plus d’issue de sortie.
Vincent Morival
Un isolement qui empêche d'ailleurs la collecte de données exactes : les personnes qui ne se manifestent pas aux associations, qui sont invisibilisées, ne vont pas être comptabilisées dans le rapport du CMDR.
C'est pourquoi les hommes sont plus présents dans les données livrées par le collectif : les femmes sans-abri sont plus invisibilisées, car celles-ci fréquentent moins les associations, du fait d'un accueil souvent mixte, à forte prévalence masculine. Moins repérées, il est donc plus compliqué d'établir des chiffres exhaustifs les concernant.
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Des places en hébergement manquent toujours
Alors que l'hiver s'installe peu à peu dans les Hauts-de-France, l'abej SOLIDARITÉ rappelle que, selon le dernier observatoire publié en septembre, 3511 personnes ayant appelé le 115 ont vu leur demande d'hébergement d'urgence non pourvue, dont 33 enfants mineurs.
"Tous les ans un mémorial est réalisé lors de la journée du refus de la misère, le 17 octobre dernier. C'est important de lire le nom des personnes décédées, invisibilisées de leur vivant. Mais ce n'est pas une solution, il faut des aides, constituer des financements pour lutter contre le sans-abrisme", expose Vincent Morival.
Tant que des demandes de logement ne seront pas pourvues, la précarité des demandeurs aura l'effet d'une bombe à retardement sur les taux de mortalité.
Vincent Morival
Pour le militant, la première chose est de financer des structures sociales de première ligne, qui permettront d'accompagner les personnes sans chez-soi. "Tant que des demandes de logement ne seront pas pourvues, la précarité des demandeurs aura l'effet d'une bombe à retardement sur les taux de mortalité."