Attaque d'un fourgon pénitentiaire dans l'Eure : la réalité du métier d'agent PREJ, qu'exerçaient les agents décédés

Acteurs méconnus de l'institution judicaire, les agents des PREJ sont chargés du déplacement des détenus, notamment quand ils sont convoqués par les juges. Deux des leurs ont perdus la vie au péage d'Incarville dans l'Eure, lors de l'attaque meurtrière de leur fourgon. Leurs camarades, choqués, racontent le quotidien de ces hommes de l'ombre, rouages de l'institution pénitentiaire.

Salarié de l’administration pénitentiaire depuis 17 ans, Alexandre est surveillant d’escorte depuis 12 ans. Il dépend du PREJ de Lille. Comprenez le Pôle de rattachement des extractions pénitentiaires. Saisi par l’émotion depuis l’attaque mortelle de ses collègues normands, il raconte son métier.

"Notre fonction c’est d’aller chercher les détenus dans les maisons d’arrêt ou les centres de détention pour les amener devant les juridictions de jugement".

Le danger dans toutes les têtes

"C’est tragique, on a perdu deux de nos camarades, ça peut nous arriver à nous, ça peut arriver à mes copains. On part le matin, on ne sait pas si le soir, malheureusement…" . Il précise ensuite "99 % du temps, tout se passe très bien mais on n’est pas à l’abri d’un coup de folie comme ce qu’il s’est passé. C’est horrible".

A la question s’il se sent souvent en danger, il explique que « le risque, oui, il existe. Même si beaucoup sont là pour de courtes peines ou des petits délits, on n’est pas à l’abri de ce qu’il s’est passé hier ou de se faire taper les voitures comme on a déjà eu le cas. On transportait une dizaine de détenus dans un car cellulaire et un véhicule a voulu nous percuter volontairement parce qu’il connaissait quelqu’un à l’intérieur…"

Grand gaillard, père de famille, Alexandre est très touché par le drame vécu par ses collègues de l'Eure :  "moi personnellement, je ne vis pas avec la peur, mais je sais que le drame peut arriver. On est conscient du danger qu’on encourt et ce danger il n’est connu ni du grand public ni même de notre hiérarchie".

Des moyens inadaptés ?

A Longuenesse, Adrien Verlet, délégué FO-PREJ, devant les deux mêmes véhicules attaqués dans l’Eure, affirme "c’est un car cellulaire avec trois cabines et trois agents. Deux autres agents suivent à l’arrière. Ce n’est pas blindé, pas sécurisé, c’est le master du maçon, dans le commerce…".

Ce n’est pas sécurisé, c’est le master du maçon, dans le commerce… aucune puissance, pas de blindage.

Adrien Verlet, délégué FO-PREJ de Longuenesse

Il dénonce des véhicules inadaptés à leur mission : « aucune puissance moteur, pas de blindage, rien, on remonte les informations depuis x temps, on nous demande toujours plus avec moins »

Il décrit aussi un rythme effréné "On est exténués, on a des journées à rallonge au sein du PREJ. Un agent commence à 7 heures du matin et il finit à 21 heures, du lundi ou vendredi. C’est 40 heures supplémentaires par mois, mais le boulot, on le fait".

Ce que confirme Julien Martin, délégué FO-Justice, rencontré devant le centre pénitentiaire d’Annœullin. Au quotidien, il est encadrant au PREJ de Lille : "tous les jours, on me demande de baisser le nombre d’agents sur les équipages, parce qu’on n’a pas assez de personnel. Quand on doit sortir 3 ou 4 détenus sur des extractions, normalement avec 5 agents, et bien, tous les jours, je les fais partir à quatre. Parce que mon autorité de régulation à la région m’oblige de baisser l’équipage à 4, parce qu’on n’a pas les effectifs".

Adrien Verlet poursuit : « trois ans en arrière, on avait les forces de police ou de gendarmerie présents avec nous. Aujourd’hui, la même mission, elle se fait en "auto-renfort", c’est-à-dire cinq agents pénitentiaires avec cinq pistolets à la ceinture et ça s’arrête là. Il n’y a pas de sécurisation en amont sur le trajet, pas de reconnaissance en amont, rien du tout.

Avant, le boulot était fait correctement, maintenant voilà, manque d’effectif, que ce soit chez nous, dans la police, manque de moyens, d’armement… je pense c’était inévitable mais malheureusement, ça aurait pu être évité ».

Julien Martin s’agace "on ne transporte pas des enfants de cœur mais le risque, il faut qu’il se rapproche de zéro. Notre encadrement, nos chefs, il faut qu’ils nous mettent les moyens : les véhicules, l’armement, la formation, il faut que tout soit repensé. La situation évolue, le monde change, on ne peut pas rester figés 15 ans en arrière".

Les revendications

Yannick Lasserre, représentant régional FO-Justice liste les premières revendications de ses collègues encore choqués : "pour assurer ces missions extérieures, il nous faut plus de ressources humaines, il faut réarmer nos collègues de PREJ et aussi nos équipes d’extraction-transfert qui partent tous les jours, non armés, dans tous les établissements pénitentiaires. Une autre piste de travail, c’est d’avoir des véhicules blindés, c’est un énorme chantier qui se profile."

Il existe en France quatre niveaux d'escortes pour les détenus, classés de 1 à 4. Cela dépend de la dangerosité estimée de l'individu et la gravité des faits qui lui sont reprochés. Le niveau d'escorte détermine la composition du convoi, le nombre d'agents et les moyens mis en oeuvre. 

"Une des premières revendications est sur les « escorte 3 », les détenus dont la dangerosité est avérée" explique Yannick Lasserre. "L'idée serait de privilégier la visioconférence avec les magistrats". Et ainsi "éviter de les faire sortir des établissements, pour un oui, un non, on demande que les magistrats pour ce type de détenus, qu’ils se déplacent pour les entendre".

Nos armes sont des armes de poings, il est impossible de riposter face à des armes de guerre..

Adrien Verlet, délégué FO-PREJ de Longuenesse (Pas-de-Calais)

Yannick Lasserre, propose aussi de revoir l'armement des agents : "nos armes sont des armes de poings, il est impossible de riposter face à des ames de guerre..."

Adrien Verlet, délégué FO du pôle d’extraction de Longuenesse, poursuit « on réalise les escortes équipés d’un pistolet 9 mm, d’un bâton télescopique, d’une gazeuse, d’un gilet pare-balle. Et c’est tout ». Avec ses collègues de l’Audomarois, il réclame « un retour des forces de l’ordre pour les extractions de détenus identifiés comme dangereux. Ou alors qu’on nous forme ! Qu’on nous donne des armes supplémentaires, des véhicules adaptés. Mais on nous répond toujours que c’est trop cher ».

Alexandre, lui se demande comment reprendre son service "ça va être compliqué, on va reprendre, mais pour ma part, ça va être très compliqué..." 

La commission des Lois de l'Assemblée nationale va créer une mission chargée de faire des proposition d'ici un mois "sur le transfèrement et les extractions de l'administration pénitentiaire". 

 

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