Il compte parmi les avocats les plus célèbres de France, connu pour son franc parler mais aussi sa virulence à l'égard des magistrats: Eric Dupond-Moretti, le Nordiste, ténor des barreaux, surnommé "acquittator", a été désigné lundi garde des Sceaux, la nomination surprise de ce gouvernement.
"Des méthodes de barbouzes!": fin juin, l'avocat s'emportait, avec sa verve habituelle contre le parquet national financier (PNF) qui a épluché ses factures téléphoniques détaillées ("fadettes"), comme celles de plusieurs autres avocats, pour tenter d'identifier une "taupe" dans l'affaire dites des "écoutes".
Et si vous étiez garde des Sceaux, que feriez-vous?, était-il alors interrogé sur LCI. "D'abord il faut qu'on sépare le siège du parquet. Pour moi, c'est impératif. Je fais le ménage la dedans de façon très très très claire", répondait le ténor de 59 ans. Et de poursuivre: "Je fais un système de responsabilité des juges, parce que les juges ne sont pas responsables de ce qu'ils font aujourd'hui. Ce sont les seuls dans notre société à ne pas être responsables".
Il proposait de "réunir des juges et faire une réforme non pas contre eux mais avec eux, avec des grands juges qui font l'unanimité".
Si la nomination d'Eric Dupond-Moretti a été bien accueillie par les avocats, elle a fait l'effet d'un choc chez les magistrats. "Nommer une personnalité aussi clivante et qui méprise à ce point les magistrats, c'est une déclaration de guerre à la magistrature", a déclaré à l'AFP Céline Parisot, présidente de l'USM, syndicat majoritaire chez les magistrats.
L'avocat de Merah
Après la calme et discrète Nicole Belloubet, c'est un avocat connu pour "sa grande gueule", novice en politique, qui arrive place Vendôme. Il devient garde des Sceaux six mois après un mouvement historique de grève des avocats contre la réforme des retraites.Eric Dupond-Moretti, né à Maubeuge, fils d'une femme de ménage, a entamé sa carrière à Douai en 1984. Il est à l'origine de plus de 120 acquittements, ce qui lui a valu le surnom d'"acquittator".
Il a réussi à faire acquitter Roselyne Godard, la boulangère d'Outreau, Jacques Viguier, un universitaire accusé du meurtre de sa femme ou Jean Castela, accusé d'avoir commandité l'assassinat du préfet Erignac.
Son nom apparait dans de nombreux grands procès de ces dernières années. Il a été l'avocat de Patrick Balkany, de Jérôme Cahuzac.
En 2017, c'est sa défense du frère de Mohamed Merah, Abdelkader, qui avait déchainé les passions. "C'est le procès le plus difficile de ma carrière. J'en ai pris plein la gueule, j'ai été insulté. On a dit que j'étais la honte de la profession, on a menacé mes enfants". Mais ça a été "pour moi un honneur" de le défendre, avait-il alors dit.
Il a aussi expliqué ne pas être là pour la morale mais pour le droit et affirmé qu'il aurait pu défendre "l'homme Hitler" s'il le lui avait demandé, mais "à condition de ne pas justifier l'idéologie nazie".
«Il y a un an, alors que la rumeur d’un remaniement courait, un émissaire de la présidence de la République avait confié qu’Emmanuel Macron «cherchait son Badinter». Avec Éric Dupont-Moretti, Il a peut-être trouvé son Didier Raoult.» Pascale Robert-Diard https://t.co/T6Dcz7elDn
— Raphaelle Bacqué (@RaphaelleBacque) July 7, 2020
Coup pour coup
Dans la salle d'audience, il rend coup pour coup à ses adversaires. Il use de sa présence physique intimidante pour mettre sous pression certains témoins à charge de l'accusation. Dans les moments d'extrême tension, rien ni personne ne semble pouvoir l'arrêter dans la défense de son client.La nomination place Vendôme de ce ténor, qui avait jusqu'ici toujours été classé à gauche, est une surprise. Cet avocat médiatique, en couple avec la chanteuse populaire canadienne Isabelle Boulay et qui s'était lancé dans le théâtre en 2019, devait faire une chronique matinale sur Europe 1 à la rentrée.
"Cette nomination est un geste d'apaisement envers les avocats", s'est félicité Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux qui représente les 70.000 avocats français. "Depuis Robert Badinter, aucun avocat du judiciaire n'avait été nommé garde des Sceaux", a noté Estellia Araez, présidente du Syndicat des avocats de France (SAF, gauche). "Il est de bon augure qu'un confrère qui a toujours défendu les libertés (...) et qui a participé au combat contre la réforme des retraites soit nommé garde des Sceaux", a-t-elle ajouté.
Par contre, pour Anticor, la nomination d'Eric Dupond-Moretti "est un très mauvais signal pour l'éthique et pour les associations anti-corruption".
La secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature Lucille Rouet "s'interroge un peu par rapport à ses dernières déclarations sur le PNF et sur certains magistrats". Elle espère quand même qu'il "aura à coeur de réconcilier les acteurs judiciaires", avocats et magistrats.
Au delà même des Palais de Justice, cette nomination fait réagir, notamment les milieux féministes, car Me Dupont-Moretti est aussi connu pour ses propos lors du mouvement #metoo.
«Cet anti-moderne qui peste contre la limitation de la vitesse et le hashtag #balancetonporc. On devine facilement ce qu’il pense de la féminisation des noms.» Avec @SimonPiel, on avait enquêté sur Eric Dupont-Moretti, nouveau garde des Sceaux https://t.co/w5imdnJPYu
— Ariane Chemin (@ArianeChemin) July 6, 2020
Erci Piolle le maire de Grenoble EELV s'interroge aussi sur le traitement de la libération de la parole des femmes, après ces nominations.Qui s'est le plus foutu de nous : @EmmanuelMacron qui déclare la lutte contre les #violences faites aux femmes grande cause, #DupontMoretti qui défend proxénétisme et "liberté de siffler les femmes" à la Justice ou #Darmanin accusé de viol qui accepte l'Intérieur #remaniement ??
— What The Féminisme - WTF? (@WTFeminisme) July 6, 2020
Quand la féministe Caroline De Haas s'insurge.L'égalité Femmes Hommes est au cœur du défi climatique. Ministres, #Darmanin et #DupondMoretti posent 2 verrous sur la puissante libération de la parole des femmes, qui va durablement changer la donne. Que dire aux 225 000 femmes victimes de violence par an ?! #remaniement #metoo pic.twitter.com/XQENL0qoRt
— Éric Piolle (@EricPiolle) July 7, 2020
La sénatrice socialiste Laurence Rossignol a dénoncé mardi la "formidable claque qu'Emmanuel Macron lance au visage de toutes celles et ceux qui se sont mobilisés contre les violences sexuelles" avec les nominations de Gérald Darmanin à l'Intérieur et Eric Dupond-Moretti à la Justice.Mesdames et messieurs, notre nouveau ministre de la Justice.
— Caroline De Haas (@carolinedehaas) July 6, 2020
Je vais vomir, je reviens. ?#remaniement pic.twitter.com/PHM82GHfeZ
L'ancienne ministre des Droits des femmes s'est dite "perplexe" sur franceinfo sur leur "capacité" à "faire de la lutte contre les violences sexuelles une de leurs priorités", alors qu'"aucun de ces deux hommes n'a manifesté jusqu'à présent le moindre intérêt pour ces sujets".
Le collectif Osez le féminisme! a de son côté lancé une pétition pour réclamer leur démission.
"Bâtissez votre carrière sur l'acquittement des hommes accusés de viol, vous serez ministre de la Justice! (...) Soyez accusé de viol, vous serez 1er flic de France!", a fustigé dans un communiqué le collectif, pour qui ces nominations "démasquent le masculinisme de la classe politique dirigeante et le mépris envers la parole des victimes et les droits des femmes".
"Je ne fais de guerre à personne"
Face aux critiques du principal syndicat de magistrats, l'ex-avocat et nouveau garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti a tendu la main mardi à "toute la famille judiciaire", promettant de "dialoguer" et de mener à son terme la réforme "tant attendue" du parquet.L'annonce de la nomination de ce tonitruant pénaliste, pas toujours avare d'attaques envers les juges, a sidéré de nombreux magistrats et fait sortir de ses gonds le syndicat majoritaire dans la magistrature, l'USM, qui y a vu une "déclaration de guerre".
Le ministère de la Justice "n'est pas le ministère de la guerre, même si j'ai cru entendre ces mots, mais celui des libertés", a rétorqué mardi Eric Dupond-Moretti, après avoir reçu les "sceaux" des mains de son prédécesseur Nicole Belloubet.
"Je ne fais de guerre à personne", a assuré le ministre. Moins de deux semaines plus tôt, celui qui était encore avocat, et l'un des plus célèbres de France, s'était emporté contre le Parquet national financier et ses "méthodes de barbouzes". L'hebdomadaire Le Point venait de révéler que le PNF avait pendant près de six ans tenté d'identifier la "taupe" ayant pu informer Nicolas
Sarkozy et son avocat Thierry Herzog - un ami d'Eric Dupond-Moretti- qu'ils étaient sur écoute dans une affaire de corruption.
Les enquêteurs avaient un temps épluché les factures téléphoniques détaillées ("fadettes") de nombreux ténors du barreau et de leurs collaborateurs, parmi lesquels Me Dupond-Moretti qui avait alors annoncé le dépôt d'une plainte pour "violation de l'intimité de la vie privée et du secret des correspondances" et "abus d'autorité".
Cette plainte a été retirée dès lundi soir, selon l'entourage du président de la République. Fin juin encore, avant que le poste de garde des Sceaux ne lui soit proposé, il promettait sur LCI de faire "le ménage" dans la magistrature "de façon très très très claire" et de mettre en place "un système de responsabilité des juges".
En 2018, il réclamait la suppression de l'Ecole nationale de la magistrature (ENM) et reprochait aux magistrats d'être "encastés (à l'ENM) dans un moule dont ils ne sortiront jamais".
- "Des actes" -
Des propos que de nombreux magistrats n'ont pas digérés et qui contrastent avec
son discours d'investiture. Dans la cour de la Chancellerie, le nouveau ministre a salué ces "très grands magistrats devant qui (il a) eu l'honneur de plaider". Il a aussi évoqué "les conditions de travail déplorables dans lesquelles se débattent quotidiennement magistrats et greffiers".
Dans "un message bienveillant à toute la famille judiciaire", il promet "dialogue" et acceptation de la "contradiction", dont il a "toujours été le fervent défenseur". Mais dit vouloir "garder le meilleur et changer le pire" de la magistrature.
Réconcilier la "famille judiciaire" est l'un des principaux défis d'Eric Dupond-Moretti, tant l'unité affichée contre la vaste réforme de la justice de Nicole Belloubet semble loin.
Les révélations sur les investigations du PNF ciblant des ténors du barreau ont ravivé les tensions, déjà exacerbées par la grève dure des avocats contre la réforme des retraites et par deux mois de confinement. Et elles ont relancé le débat sur l'indépendance de la justice. Eric Dupond-Moretti en a fait sa priorité, en déclarant vouloir "être le garde des Sceaux qui portera enfin la réforme du parquet". Maintes fois promise, cette réforme prévoit que les magistrats du parquet soient nommés sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), comme les magistrats du siège.
"C'est essentiellement ce sur quoi on l'attend", a réagi auprès de l'AFP Céline Parisot, présidente de l'USM (Union syndicale des magistrats), "toujours désabusée" et "dubitative" après la nomination d'Eric Dupond-Moretti.
"Il tend la main, il ne pouvait pas faire autrement", a-t-elle ajouté. "Si dans les deux ans, il aboutit à une réforme du parquet, ce serait déjà une petite révolution", a constaté la magistrate qui souhaite que le ministre passe "de la parole aux actes"."On a noté une volonté de parler aux magistrats. Mais Eric Dupond-Moretti n'est pas notre maîtresse d'école. Il a eu des mots très forts, on attend que ça se transforme en actes", a souligné Lucille Rouet, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche).