Yannick Jadot, candidat (EELV) à l'élection présidentielle, a relancé le débat sur la renationalisation d'EDF. Alors que les prix de l'électricité ont flambé et que des entreprises des Hauts-de-France annoncent des réductions massives d'activité, le sujet est revenu en force.
Encore une semaine d'activité arrachée à la crise, pour les salariés de Nyrstar. A la mi-décembre 2021, le fabricant de zinc d'Auby (Nord) avait annoncé la fermeture de son usine pour deux mois, dès le 2 janvier. Un mois plus tard, c'est l'entreprise de métallurgie Valdunes, également basée dans le Nord, qui annonce réduire son activité de 60% jusqu'à nouvel ordre.
Prix de l'énergie : deux entreprises du Nord dans l'impasse
En cause, dans les deux cas, la flambée des prix de l'énergie, et en particulier de l'électricité. Les activités industrielles sont particulièrement énergivores : Nyrstar consomme autant à l'année que la ville de Lyon. Chaque accroc dans les cours de l'électricité met un véritable uppercut à sa rentabilité. Si Nyrstar a pu rester en activité un peu plus longtemps, c'est uniquement grâce aux températures plus clémentes en ce début 2022.
"Nyrstar bénéficiait du dispositif Arenh, qui couvre 70% de sa consommation en électricité pour un prix fixe de 42 le mégawatt/heure (MWh). Le reste est soumis au cours de l'électricité. Mais, en décembre, le prix du MWh sur les cours boursiers était à 409 euros. Valdunes est dans la même situation" expose Ludovic Bouvier, représentant CGT métallurgie pour le Nord Pas-de-Calais.
Pour lui, les privatisations, et notamment celle d'EDF "ne font qu’aggraver la situation des entreprises. Si demain nous traversons une crise comme celle de 2008, mais sans un secteur public solide, on va finir par s'éclairer à la bougie", craint-il. Dans cette revendication, les syndicats sont soutenus par le candidat à l'élection présidentielle Yannick Jadot (EELV), qui s'est prononcé pour la renationalisation totale d'EDF. La question est très actuelle, au cœur de cette nouvelle crise, mais traverse la politique économique hexagonale depuis des décennies.
EDF et l'Etat : un divorce après 60 ans de fusion
La nationalisation de la production d'énergie - et de gaz - était un souhait du Conseil National de la Résistance, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale et de l'occupation nazie. Le texte de loi qui en découle est adopté le 8 avril 1946. Il est porté par Marcel Paul, ancien de la CGT énergie, résistant rescapé des déportations et ministre de Charles de Gaulle. Cette loi met fin à 50 ans d'exercice privé des compagnies d'électricité et "va assurer l’indépendance énergétique du pays pendant plusieurs décennies", selon l'historien spécialisé René Gaudy.
Dès 1951, la nationalisation est de nouveau fortement contestée, mais la bascule ne se fera qu'en 2004. A cette date, EDF change de statut : d'établissement public, elle devient une "société anonyme", c'est-à-dire une société de capitaux, où des actionnaires investissent. Le marché de l'énergie s'ouvre progressivement à la concurrence. C'est la Commission Européenne qui force alors la main à la France, dans le cadre de l'ouverture d'un marché européen.
L'objectif affiché est de réduire les abus de position dominante, espérant que la concurrence tire les prix vers le bas, et la qualité des services vers le haut. L'Etat gardera tout de même en partie la main sur EDF, en devenant actionnaire majoritaire, à plus de 80%.
Le statut d'EDF fait balbutier les gouvernements français
Les espoirs d'embellie ne font pas long feu. En 2008, le troisième grand choc pétrolier déséquilibre le marché de l'énergie. Le mégawatt/heure atteint 93euros, ce qui est alors considéré comme un record absolu. "Pour l'électricité, le tarif dérégulé, c'est-à-dire tarif n'étant plus régulé par l'entreprise publique, a augmenté de 75,6% depuis 2001, dont 48% entre avril 2005 et avril 2006" calcule le journal L'Humanité.
Les cours de l'action d'EDF ne cessent de fluctuer violemment, et les prix de l'électricité avec eux. Que l'on parle de la vente des parts de l'Etat, des difficultés du nucléaire, de la dette de l'entreprise qui s'accumule, ou de la faiblesse de la concurrence, le débat autour du statut du producteur français d'électricité n'a jamais vraiment quitté la politique française.
La dernière fois que ce serpent de mer économique a refait surface, c'était en 2019, alors que le gouvernement d'Emmanuel Macron ressuscite le "projet Hercule". La dette d'EDF atteint alors 41 milliards d'euros. Ce projet prévoit une réorganisation complète d'EDF en trois branches. D'abord, une entreprise complètement publique, EDF Bleu, pour gérer le nucléaire et le réseau de transports. Ensuite, EDF Vert, une entreprise cotée en bourse qui réunirait les activités commerciales, la distribution d'électricité et les énergies renouvelables. Enfin, EDF azur, également public, assurerait la gestion des barrages hydroélectriques.
Les syndicats de l'énergie au grand complet, ainsi que les oppositions politiques dénoncent en coeur "la socialisation des pertes, la privatisation des profits". Le nucléaire, véritable gouffre financier, reste la responsabilité de l'Etat, tandis que les opportunités d'investissements du côté des énergies renouvelables passent au privé. Le projet est définitivement enterré en février 2021.
Présidentielle 2022 : EDF de nouveau sous les projecteurs
Depuis, le CSE d'EDF a monté une campagne permanente pour une énergie publique. "L'ouverture à la concurrence est un échec complet et le constat cinglant (...). Là où la baisse générale des prix était promise, c’est au contraire un mouvement massif de hausse qui s’est produit" argumentent ces professionnels. Leur pétition a recueilli jusqu'à présent plus de 115 000 signatures.
En septembre, l'exécutif a adopté en urgence un "bouclier tarifaire" pour contenir à +4% la hausse des prix de l'électricité pour les particuliers. Des annonces qui ont fait vertement réagir le président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand. "Depuis le début de l'année, les prix augmentent et c'est seulement maintenant qu'ils se réveillent, parce qu'on est à six mois de l'élection présidentielle ? Mais ils nous prennent pour des imbéciles ou quoi ces gens-là ?" déclare-t-il au micro de France Info.
Alors que tous les candidats se positionnent progressivement sur le volet "énergie", il ne fait aucun doute que le statut d'EDF sera de nouveau, en 2022, un enjeu politique et présidentiel de premier plan.