La droite affirme avoir sauvé le département du Nord d’une faillite provoquée par l’ancienne majorité. La gauche reproche à l’actuelle majorité de droite de n’avoir eu comme projet que celui de "gérer" le département. Dans le Nord l’argent est le nerf de la guerre.

C’est l’heure de régler les comptes. Au sens propre comme au sens figuré. Depuis six ans, depuis que le Nord a basculé de gauche à droite, l’ancienne et la nouvelle équipe s’écharpent violemment à propos des finances du département. Depuis six ans, le président (DVD) Jean-René Lecerf – qui ne se représente pas – explique qu’il doit se battre au quotidien pour remettre les comptes à l’équilibre. Et pour sa dernière conférence de presse, mercredi, il a longuement détaillé toute une série de chiffres qui lui permettent d’affirmer qu’il a réussi. C’est un peu austère mais c’est très instructif.

Présent au côté de Jean-René Lecerf, il y a Christian Poiret, son vice-président (LR) chargé des finances. Le grand argentier. Celui qui tient les cordons d’une bourse de plus de trois milliards d’euros. Lui se représente dans son canton de Douai et il est même celui que la droite a désigné – si elle reste majoritaire au soir du 27 juin – pour s’assoir dans le fauteuil du président.

Capacité de désendettement

En conférence de presse, Christian Poiret lance les hostilités : "Quand on est arrivé aux affaires, la dette du département s’élevait à 1,4 milliard d’euros. C’était énorme. Ca représentait une capacité de désendettement de 13,1 années. On a l’habitude de dire qu’au-delà de 12 années, on est bon pour être mis sous tutelle. Nous, nous avons relevé le défi. Pas de tutelle. Et, en six ans, la dette a baissé de 225 millions. La capacité de désendettement du département du Nord est passée à 5,3 années, bien en dessous du seuil d’alerte."

Dans un rapport rendu en octobre dernier, la Cour Régionale des Comptes écrit d’ailleurs que "depuis 2015, le département du Nord a redressé sensiblement sa situation financière". La même Cour Régionale des Comptes – cela dit – qui n’avait rien trouvé à redire sur la gestion du département entre 2010 et 2015.

D’autres indicateurs montrent effectivement une situation moins tendue. L’épargne nette – l’excédent d’argent qui reste quand tout est payé - est positive et s’établit à 69 millions d’euros.  "Elle était négative en 2015 : moins 2 millions d’euros, explique Christian Poiret. Il n’y avait quasiment plus rien pour l’investissement, quasiment plus aucune marge de manœuvre pour investir. C’est-à-dire que lorsque le département s’engageait sur un projet de 300 millions d’euros, il ne payait que 30 millions sur ses fonds propres et faisait un emprunt de 270 millions." Le département autofinance aujourd’hui ses investissements à hauteur de 82%.

"Et encore, rectifie Jean-René Lecerf. Il faut tenir compte de la crise  sanitaire. L’an passé, la Covid a coûté au département du Nord 67 millions d’euros. Sans la pandémie, notre épargne nette aurait atteint les 130 millions."

Un budget annuel sur… 11 mois

En campagne pour sa réélection dans son canton de Douai, Christian Poiret lâche ses coups. "C’est simple, quand on arrive aux affaires en 2015, il y 300 millions d’euros de décalage avec la réalité, dénonce-t-il. Essentiellement de l’argent qui va nous manquer pour payer le RSA et les maisons de retraite. La gauche avait réussi ce tour de passe-passe en présentant un budget primitif 2015 s’étalant sur… 11 mois ! Sinon le budget ne s’équilibrait pas. Personne n’a rien vu. Ni moi qui étais alors dans l’opposition. Ni même les élus communistes qui partageaient pourtant la majorité avec les socialistes ! Du coup, il nous a fallu une avance de la Caisse d’Allocations Familiales pour payer une partie du RSA… avance qu’on continue aujourd’hui de rembourser." 

Le département continue également de rembourser une subvention de 53,6 millions d’euros que Patrick Kanner, alors président socialiste du Conseil départemental, avait accordé en 2014 à la Métropole Européenne de Lille pour financer son métro. "Et comme il était incapable de payer cette subvention, peste Jean-René Lecerf. Il l’a étalée sur dix ans. 5,3 millions par an. On a du faire avec."

"L’opposition nous accuse d’avoir réduit l’investissement, réagit Christian Poiret. C’est faux. On investit quasiment autant : 270 millions en 2020, 287 en 2014. Elle nous accuse également d’avoir réduit les effectifs. Là encore c’est faux. Le département du Nord avait 7 727 agents permanents en 2015, soit une dépense en personnels de 370 millions d’euros. Il a aujourd’hui 7 860 agents, soit une dépense de 398 millions. Les agents supplémentaires sont les travailleurs sociaux de la Direction Générale de la Solidarité."

"La gauche n’a pas le monopole du cœur", grince Jean-René Lecerf, reprenant une phrase célèbre de Giscard lors d’un débat télévisé face à Mitterrand. "Le budget Enfance-Famille est passé de 454 millions d’euros en 2014 à 488 millions d’euros en 2021. La Prestation de  Compensation du Handicap est passée de 72,6 millions d’euros en 2014 à 112 millions en 2020. L’Aide Personnalisée d’Autonomie est passée de 186 millions d’euros en 2014 à 245 millions d’euros aujourd’hui."

Parole d’honneur !

En mars 2015, après avoir mis un terme à 17 ans de gestion socialiste et avant même son élection à la tête du Conseil Départemental, Jean-René Lecerf avait prévenu : "nous allons devoir cesser de vivre au-dessus de nos moyens". L’Assemblée des Départements Français avait classé le Nord comme étant "le plus critique" sur le plan financier. Il n’y avait que Mayotte dans une situation plus grave encore. Depuis, la gauche, mise en cause, se défend bec et ongles.

"La menace d’une mise sous tutelle du département du Nord, c’est de la pure fiction ! s’exclame Didier Manier, le dernier président socialiste de ce qu’on appelait encore le Conseil Général. Ma parole d’honneur ! Depuis six ans, la droite présente cette mise sous tutelle comme le péché originel de la gauche. C’est une affabulation. La droite a créé de toute pièce cette histoire pour justifier une hausse d’impôt, alors qu’elle avait promis le contraire en 2015 durant sa campagne électorale. C’est donc pour expliquer son parjure que la droite nous fait croire qu’elle nous a évité la faillite."

De fait, le groupe majoritaire – qui s’appelle l’ "Union Pour le Nord" et qui regroupe LR, UDI et DVD – a effectivement augmenté en 2016 le taux de la taxe sur le foncier bâti de 17,06 à 21,46%. Cette augmentation de fiscalité a rapporté 100 millions d’euros.

Didier Manier – conseiller départemental PS sortant de Villeneuve d’Ascq et candidat au poste de président - se justifie également sur son fameux budget annuel de 11 mois. "C’est une disposition tout à fait légale qui permet aux départements, et pas uniquement au Nord, de présenter un budget à l’équilibre, en attendant qu’arrivent les dotations de l’Etat. Aujourd’hui, le contexte est meilleur pour le département du Nord. Il y a moins d’allocataires du RSA. A mon époque, c’était l’inverse."

Moins d’allocataires du RSA

De 2010 à 2015, l’équilibre financier du département aurait donc été menacé par une augmentation de 30% des charges liées au Revenu de Solidarité Active. Là encore, c’est une question d’interprétation. La gauche minimise en évoquant "un meilleur contexte pour la droite". La droite, elle, loue sa politique de lutte contre la précarité qui a permis le retour à l’emploi des allocataires du RSA, ce qui rend des marges financières importantes. "116 000 foyers aidés en 2015, 100 957 en 2021", précise Doriane Becue, la vice-présidente (DVD) chargée de l’insertion et du retour à l’emploi. "Notre plus beau succès, répète Jean-René Lecerf, le meilleur résultat en France."

Enfin, quant à l’épargne nette, l’ancien président PS reconnait qu’elle était négative à la fin de son mandat. "C’est vrai, dit-il. Mais nous nous en serions sortis par l’imposition. Je ne suis pas contre l’impôt, quand il est vertueux, quand il sert à construire des écoles et des routes."

Dans le Nord, c’est donc la guerre des chiffres et des mots. Pour la droite, le département est enfin « piloté ». Pour la gauche, il a été "géré" sans vision ni ambition. Didier Manier regrette une "gestion purement comptable, soucieuse seulement de rembourser les dettes, alors qu’il aurait fallu plus de social, plus de collaborateurs, plus d’investissements." Jean-René Lecerf, lui, ironise sur un éventuel retour de la gauche aux affaires en se tournant vers son vice-président : "Christian, évite-moi ça."

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