En 2023, on dénombre 74 dermatologues libéraux dans le Nord, département le plus peuplé de France. C'est 24% de moins qu'il y a sept ans.
Le titre de l’article sous forme d’interrogation publié dans le bulletin du mois d’octobre de l’Ordre des Médecins du Nord ne laisse aucune place au doute : "Où sont les dermatologues ?". Le constat est saisissant, et les chiffres édifiants : alors que le nombre de spécialistes décroît depuis plusieurs années, la population et les polypathologies augmentent.
Rien que dans le Nord – le département le plus peuplé de France - le nombre de médecins libéraux dermatologues est passé de 97 en 2016 à 74 en 2023. Soit une baisse de 24 % en 7 ans.
Une désertification qui touche tout le département, et particulièrement certains arrondissements ruraux. En 2023 dans l’Avesnois, on dénombre 3 dermatologues installés pour une population de 230 827 habitants.
Plusieurs mois d’attente... lorsqu’on arrive à prendre rendez-vous
Nous avons fait le test de prendre un rendez-vous dans la métropole lilloise. Sur Internet d’abord, via la plateforme Doctolib : aucun créneau n’était disponible. Nous avons donc appelé une quinzaine de spécialistes, sans succès. Lorsque nous avons réussi à joindre les secrétariats, ils nous ont systématiquement informé que les spécialistes ne prennent pas de nouveaux patients ou que les listes d’attente sont archi-complètes.
Interrogée, la représentante régionale du syndicat des dermatologues admet une situation "un peu dramatique" pour les usagers. "Je suis tout à fait consciente du problème, témoigne Isabelle Rousseaux, dermatologue basée à Loos (Nord). Pour vous donner une idée, dans le Nord et le Pas-de-Calais en 2012, on comptait 120 dermatos libéraux. Aujourd’hui, on est 80 et dans 10 ans, on ne sera plus que 40".
Des chiffres édifiants confirmés par l’Observatoire des Territoires. En 2023, on compte moins de 4 dermatologues pour 100 000 habitants dans la métropole lilloise, contre trois fois plus à Bordeaux, Strasbourg ou Toulouse.
Face à cette situation, les spécialistes ne peuvent pas absorber toutes les demandes de nouveaux patients. Exemple à Mons-en-Barœul, où la docteure Clémence Gros reçoit jusqu’à 45 patients par jour dans son cabinet.
Une femme venue de Dunkerque a laissé un petit mot dans ma boîte aux lettres pour une urgence pour son fils qui avait une éruption. Je l’ai vu le lendemain, il était rouge des pieds à la tête. Cette dame ne trouvait personne à Dunkerque.
Clémence Gros, dermatologue à Mons-en-Barœul
Contrairement à de nombreux dermatologues, elle accepte de nouveaux patients, mais obtenir un rendez-vous n’est pas chose aisée. "J’ai Doctolib. Les gens me laissent des messages sur mon répondeur, normalement réservé aux urgences. Je n’ai pas encore écouté, mais je vais avoir entre 15 et 20 demandes de rendez-vous, assure la dermatologue. Certains me laissent des mots dans la boîte aux lettres, demandent aux patients qui sont là de prendre un rendez-vous pour leur grand-mère, leur sœur, leur frère. À la fin de la consultation, ils me montrent des photos. D’autres enfin me disent que je peux les voir entre deux 5 minutes... Mais il y a déjà des gens qui sont là entre deux 5 minutes. Avant de résumer. On ne peut pas faire plaisir à tout le monde, mais on essaie de voir les patients qui ont des problèmes réels, graves".
Pourquoi une situation aussi tendue ?
Un manque criant de professionnels qui s’explique en partie par le nombre de départs à la retraite et le peu de places réservées pour la dermatologie dans les facultés. "Le nombre de dermatos chute. Sur 6 internes formés chaque année, il en reste 3 dans le Nord car les autres retournent souvent dans leur région une fois leurs études terminées, analyse la représentante du syndicat des dermatologues. C’est insuffisant pour compenser le nombre de médecins qui partent en retraite".
Un interne qui vient de Nice ne va pas s’installer à Maubeuge.
Isabelle Rousseaux, représentante du syndicat des dermatologues dans les Hauts-de-France
Dans le Nord, l’âge moyen d’un dermatologue en activité est passé de 55 à 57 ans en six années. "C’est une catastrophe. Il ne faut surtout pas stigmatiser les dermatologues. Le problème, c’est le numerus clausus – c’est-à-dire le nombre d’étudiants qui peuvent choisir la dermato – qui n’a pas augmenté". Selon elle, le Nord "manque d’attractivité".
Quid de la partie "esthétique" exercée par des dermatologues ? "La médecine esthétique fait partie intégrale de la dermatologie, rétorque Isabelle Rousseaux. Si les dermatologues en faisaient plus, on aurait peut-être moins de fake injectors et de gens pas qualifiés qui se lancent là-dedans".
Au Cateau-Cambrésis, une cabine de téléconsultation faute de trouver un dermato
La situation, tendue dans les métropoles, est exacerbée à mesure que l’on s’éloigne des grandes villes. Exemple au Cateau-Cambrésis, 7 000 habitants, commune située au sud du département du Nord à la frontière avec l’Aisne. Le dermatologue de l’hôpital est parti à la retraite en mai 2022. "Nous avons essayé de lui trouver un remplaçant, en vain", explique Cécile Brion, cadre supérieur de santé. 110 000 usagers dans le secteur se trouvent du jour au lendemain dépourvus de dermatologue.
La direction de l’établissement décide alors de monter un dossier pour installer... une cabine de téléconsultation. Une première dans un hôpital public pour cette spécialité. Le principe est simple : la cabine, installée dans les locaux, permet aux patients d’effectuer une consultation à distance avec un dermatologue. Une infirmière les accompagne pour manipuler les instruments disposés devant l’écran et le patient suit les consignes du professionnel.
Mise en service depuis le mois d’août 2023 à raison de 30 créneaux par mois, cette solution temporaire est prise d’assaut. "J’ai téléphoné hier et j’ai eu mon rendez-vous aujourd’hui, sourit une cinquantenaire venue pour des problèmes de peau. Pas d’attente, c’est merveilleux !" Un avis partagé par une autre patiente rencontrée à la sortie de sa téléconsultation. "Pendant l’examen, on t’explique comment il faut faire, où mettre l’appareil, c’est tout simple".
Téléconsulter des dermatos ? Un pansement, faute de mieux, assumé par la direction. "Cette cabine ne remplace pas du tout un dermatologue, concède Cécile Brion. Il s’agit d’une consultation de premier recours pour des problèmes de peau type eczéma ou problèmes de cuir chevelu. Pour certains, la consultation suffira. Parfois, ça nécessitera un geste technique et le patient devra prendre un rendez-vous chez le dermatologue en physique".
Quelles pistes pour sortir de l’impasse ?
La technologie au chevet du manque criant de dermatologues ne remplace pas pour autant les professionnels. Quelles solutions mettre en place pour inverser la tendance ? La représentante régionale du syndicat évoque deux pistes : la généralisation de la télé-expertise et le recrutement d’assistants dermatologues dans les cabinets.
Je pense qu’aujourd’hui, il faut que les patients passent par leur médecin traitant pour que celui-ci juge si le rendez-vous est urgent ou pas.
Isabelle Rousseaux, représentante du syndicat des dermatologues dans les Hauts-de-France
"Je pense qu’il faut former les médecins généralistes, indique Isabelle Rousseaux. Le médecin généraliste pourrait suivre les pathologies bénignes et nous envoyer les pathologies les plus importantes en demandent conseil à l’aide de photographies par exemple". Une manière de désengorger les cabinets, qui doivent eux aussi se réinventer selon la représentante syndicale. "Les dermatologues doivent se faire aider, répète-t-elle. Ça fait 13 ans que l’on forme des assistants de dermatologues. Ils nous aident et cela nous laisse plus de temps pour les soins".
En 2023 dans le Nord Pas-de-Calais, on dénombre en moyenne un dermatologue libéral pour 47 000 habitants.