Entre le premier mars et le 31 mai, les familles qui souhaitent enseigner à domicile à leurs enfants doivent impérativement envoyer leur dossier au rectorat. Depuis la loi contre le séparatisme du 24 août 2021, l'instruction en famille est soumise à une stricte demande d'autorisation.
On le sait, l’école est obligatoire de 3 à 16 ans en France. Certaines familles font le choix de l’instruction à domicile encore appelée “école à la maison”. Mais depuis la loi “confortant les principes de la République”, les conditions de la scolarisation à domicile ont été durcies.
J’ai déposé le dossier le 2 mars, je suis très stressée, même si nous avons eu une vingtaine de rapports positifs ces dernières années…
Marion Cadet
Marion Cadet, maman d’Eléonore, qui vient d'avoir 3 ans, ne s’attendait pas à être autant stressée par la demande d’instruction à la maison qu’elle vient de déposer pour sa petite dernière. Elle ajoute : "Dans tous les cas, elle n’ira pas en septembre. Elle n’est pas prête, et ce n’est pas nécessaire à nos yeux… La France est un des rares pays à scolariser les enfants si tôt".
La famille de Marion est convaincue de faire les bons choix « je ne fais pas de prosélytisme, je veux juste pouvoir continuer à le faire pour mes enfants ».
Je ne fais pas de prosélytisme, je veux juste pouvoir continuer à le faire pour mes enfants.
Marion, maman d'Eléonore, Rose, Arthur et Ghanima
Ses trois grands ont aussi été en IEF, instruction en famille. À l’époque, une simple déclaration suffisait. Mais depuis la loi de 2021, tous les ans, elle doit remplir un dossier complet pour obtenir la permission d’enseigner à ses enfants.
Ça a fonctionné avec nos enfants, ils sont instruits, sociables, bien dans leur peau, ils sont autonomes… ils ont des amis. On ne voit pas pourquoi notre dernière n’aurait pas droit à ce qu’on a pu offrir aux plus grands.
Marion Cadet, maman d'enfants scolarisés à domicile
Ancienne professeur de lettres en collège et lycée, elle met en avant la réussite de ses aînés. "Ça a fonctionné avec nos enfants, ils sont instruits, sociables, bien dans leur peau, ils sont autonomes… ils ont des amis, on ne voit pas pourquoi notre dernière n’aurait pas droit à ce qu’on a pu offrir aux plus grands."
L’aînée Ghanima est danseuse classique dans un ballet allemand à Hambourg. "L’école à la maison lui a permis de développer sa passion", explique sa maman. Elle a passé le baccalauréat en candidat libre et l’a obtenu avec mention très bien. Son frère, Arthur, est entré au collège en 5e dans une classe à horaires aménagés. Aujourd’hui en seconde, sa maman ajoute : "il a les félicitations tout le temps, il a 18 de moyenne. Il est même souvent délégué de classe". Rose, 11 ans, intégrera, elle, le collège en 6e, en horaire aménagé en violoncelle, à la rentrée de septembre 2024.
La maman continue : "On parle d’école à la maison, mais on est souvent dehors, entre les conduites, les activités, les sorties… Nous avons un poulailler, un potager, on fait beaucoup de musique, parfois des concerts le soir, on voyage, on va en Allemagne voir la grande sœur".
Mais voilà, tant qu’elle n’aura pas reçu l’accord du rectorat pour enseigner à sa dernière, Marion ne sera pas sereine "En 17 ans d’école à la maison, on a été contrôlés ! Une fois par an, par enfant. On a fait nos preuves, mais ça reste stressant. C’est une administration qui a un pouvoir sur nos choix de vies. Je trouve ça violent. On ne fait pas des enfants pour en être séparés par l’Etat. Nous sommes des parents très investis".
Des dossiers longs et complexes
Le dossier à remplir est d'autant plus complexe que les enfants de Marion cochent le quatrième motif de demande d'instruction en famille, à savoir "l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif ".
"C’est très long à faire" explique Marion. "J’ai dû y passer 50 heures, juste pour Eléonore. Il faut présenter la situation de l’enfant, pour chaque matière, des items, définir comment on va permettre l’apprentissage, avec quels outils… En quoi ce choix est fait dans l’intérêt de l’enfant. C’est très compliqué à faire, il faut prendre le langage éducation nationale ».
Alors, elle évoque l’idée de déménager en cas de refus. Et raconte "plusieurs familles sont parties en Belgique où c’est autorisé". Mais tous les deux sont fonctionnaires : elle bibliothécaire et le papa est… professeur des écoles… Elle se reprend "ce serait difficile de bouger toute la fratrie".
Plus de 52 000 enfants sont scolarisés à la maison, soit 0,5% des élèves français.
Chiffres de l'Education Nationale pour l'année 2023-2024
Les quatre motifs de demande de scolarisation à la maison
- État de santé de l'enfant ou handicap
- Pratiques d'activités sportives ou artistiques intensives
- Itinérance de la famille ou éloignement géographique
- Existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif
Même avec une demande pour raison de santé, les familles ont la peur au ventre
La maman de Tom et Théo n’est pas plus rassurée. Lydie Desiere attend aussi avec impatience de savoir si ses garçons vont pouvoir poursuivre l’école à la maison. Les raisons ne sont pas les mêmes. Pour Tom, la demande est faite pour nécessité médicale, il est reconnu neuroatypique par les médecins.
Petit bonhomme intelligent avec de grandes capacités d’apprentissage, il n’est pas très autonome "trop dans ses émotions, son hyperactivité", explique sa maman. Et puis, il a les rendez-vous médicaux plusieurs fois par semaine.
Tom rentre en grande section de maternelle et Théo en petite section. Lydie, leur maman, n’oublie pas qu’elle a déjà essuyé un refus par le passé. "Même en cas de fratrie, et d'inspections positives, il est parfois refusé pour un deuxième ou troisième enfant de la famille d’être scolarisé à la maison".
"Nous sommes inspectés tous les ans. On ne comprend pas pourquoi on doit refaire des dossiers lourds en temps et énergie, chaque année… Et puis, l’application de la loi n’est pas juste. Même en cas d’inspection positive, on peut avoir un refus l’année d’après. On n'est pas serein » tempête Lydie Desiere.
Elle continue : "J’ai la peur au ventre, quand on a 15 jours pour formuler un recours, rédiger un mémoire pour expliquer que nous sommes des parents investis dans l’instruction des enfants. Et quand on voit les profs non remplacés dans les écoles, les classes surchargées… On se demande comment avec 30 enfants, les enseignants peuvent être dans le respect des différences de chacun".
Respecter le rythme biologique de l'enfant
Marie Chardin n’a plus de demande à faire. Son petit dernier vient d’obtenir le bac mention très bien et félicitations du jury. "Dans toutes les familles de notre génération, les enfants réussissent très bien". Ses trois enfants sont rentrés dans le système scolaire, au lycée, pour Parcoursup. Parce qu’il leur fallait des notes en première et terminale.
Cette maman, raconte avoir fait ce choix de l'école à la maison, avec son mari enseignant, "pour profiter de nos enfants, respecter leur rythme d’apprentissage et leur rythme biologique, qu’ils ne passent pas tout leur temps à apprendre, assis, toute la journée avec un stylo". Elle poursuit : "Pour nous la socialisation ce n’est pas être tous les jours avec des personnes du même âge. Il y a des pays où on mélange les âges. Nous ne sommes pas anti-école, on a juste fait un choix."
"Les familles Non-sco font beaucoup de sorties, elles se retrouvent pour des journées « exposés », des jeux, il y a beaucoup de socialisation entre elles. On leur apprend à chercher eux-mêmes, ils sont vite autonomes. La motivation vient des enfants comme ils n'ont pas d’obligation, pas de contrainte… Je n’ai jamais dû les réveiller le matin" complète Marie.
Aujourd’hui, elle aide les familles à monter leurs dossiers : "le problème avec l’Education nationale lors des contrôles et des demandes d’autorisations c’est qu’ils sont formatés par leur logiciel, et ils ne comprennent pas qu’on peut faire autrement… Mes enfants, quand ils sont entrés au lycée, ils ont été sidérés de voir le peu de connaissances et de vocabulaire de leurs camarades".
En cas de refus
Après le dépôt des dossiers, le directeur académique des services de l’éducation nationale (DASEN) a 2 mois pour répondre aux familles. En cas de refus, elles peuvent formuler un recours administratif préalable obligatoire (RAPO). Elles ont deux semaines pour monter un nouveau dossier, refaire des courriers, repréciser le contexte, fournir des justificatifs. L'administration a alors deux 2 mois pour répondre. Une absence de réponse vaut refus.
Certaines familles abandonnent et scolarisent alors leurs enfants en établissement classique. D'autres effectuent alors un recours au tribunal administratif et demandent un référé-suspension, le temps que le jugement soit rendu. Mais quand elles obtiennent gain de cause au tribunal, à chaque fois l’Etat fait appel de la décision. Les familles dénoncent "un acharnement de l'Etat".
Certaines sortent alors du cadre légal, entrent en désobéissance civile. Pour défaut de scolarisation, les parents encourent 6 mois d’emprisonnement et 7500 euros d’amende.