Football Leaks : ventes de joueurs du LOSC, gros sous et petits secrets

Le LOSC est l'un des plus gros vendeurs de joueurs de la Ligue 1. Parmi les documents confidentiels Football Leaks, nous avons retrouvé et analysé cinq contrats de transferts négociés entre 2012 et 2015 qui offrent un éclairage inédit sur ce business. Avec parfois quelques surprises.

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Avec 201 millions d'euros récoltés entre 2010 et 2016, le LOSC est le vice-champion de France des ventes de joueurs derrière l'AS Monaco (339 millions) et se classe au 25e rang européen. Ces transactions jouent un rôle déterminant dans l'économie du club nordiste. Depuis 2008, ses activités commerciales (billetterie, droits TV, sponsoring...) ne permettent plus de couvrir ses dépenses. Lille doit donc céder chaque année quelques uns de ses meilleurs éléments pour couvrir un déficit structurel qui fluctue entre les -20 millions et les -40 millions d'euros

Grâce à Mediapart et ses partenaires européens de l'EIC (European Investigative Collaborations), France 3 Nord Pas-de-Calais et le site d'investigation régional Mediacités ont pu accéder aux Football Leaks, la plus grande fuite d'informations de l'histoire du sport (voir encadré en bas de l'article). Parmi les nombreux documents confidentiels que nous avons pu consulter, nous avons déniché plusieurs contrats de transferts de joueurs du LOSC, vendus à des clubs étrangers. Au-delà des chiffres bruts, ils apportent un éclairage inédit sur la façon dont les Dogues ont encaissé ces ventes, avec des échéanciers établis sur plusieurs années, des garanties exigées aux clubs acheteurs, des bonus négociés pour obtenir un complément de paiement, et... quelques surprises.


Le jackpot avec Eden Hazard

La vente d'Eden Hazard, le 1er juin 2012, au club anglais de Chelsea reste encore à ce jour la plus grosse transaction réalisée par le LOSC. Le prodige belge a rapporté 35 millions d'euros à son club formateur. Le chiffre est connu mais ce qu'on sait moins, c'est que ce transfert a permis d'alimenter les caisses lilloises pendant les trois saisons qui ont suivi.


D'un point de vue comptable, ces 35 millions ont bien été inscrits à l'exercice 2011-2012, permettant d'absorber un déficit d'exploitation record de -44 millions d'euros. Et même mieux, puisque le LOSC a pu dégager, grâce à la vente d'Hazard, un bénéfice de 3,8 millions d'euros. Mais sur le plan de la trésorerie, ce transfert a été encaissé en trois versements étalés dans le temps : 11 666 667 euros à l'enregistrement du nouveau contrat du joueur en Angleterre en juillet 2012 ; 11 666 666 euros le 1er août 2013 ; 11 666 666 euros le 1er août 2014.


Le contrat signé entre le LOSC et Chelsea ne prévoyait aucun bonus, ni pourcentage à la revente. Mais grâce au "mécanisme de solidarité" mis en place par la FIFA (fédération internationale de football) sur les transferts internationaux, les Dogues pourraient encore toucher une jolie somme si Chelsea décide de vendre Hazard à un autre club, en dehors de la Premier League anglaise. Le règlement prévoit en effet que 5% du montant de l'indemnité payée soient redistribués aux clubs formateurs, c'est-à-dire ceux où a évolué le joueur entre son 12e et son 23e anniversaire. D'après nos calculs, le LOSC pourra revendiquer 3,25% du futur transfert de la star belge. Si le Real Madrid fait des folies l'été prochain en débauchant Eden Hazard pour 100 millions d'euros, 3,25 millions d'euros tomberont de nouveau dans les caisses lilloises.
     

Un bonus pour faire jouer Origi 

Le 30 juin 2014, le LOSC vend Divock Origi pour un montant de 10 millions d'euros, payable en trois échéances entre le 31 juillet 2014 et le 31 juillet 2016. L'attaquant belge de 19 ans - qui a bouclé sa formation à Lille - a été l'une des révélations de la Coupe du Monde 2014 au Brésil et plusieurs clubs étaient en concurrence pour le recruter. C'est Liverpool qui a décroché la timbale.


Plutôt que d’intégrer immédiatement Divock Origi à leur effectif déjà bien garni, les Reds décident de le laisser progresser un an de plus dans le Nord, où il aura davantage de temps de jeu. Le contrat de transfert est donc assorti du prêt du joueur à Lille du 1er juillet 2014 au 30 juin 2015, avec toute une série de bonus incitatifs.


Liverpool paiera ainsi 500 000 euros supplémentaires si Divock Origi débute la rencontre et joue au moins 60 minutes sur au moins la moitié des matches officiels du LOSC en France et en Coupe d’Europe ; 1 million d’euros si c’est le cas sur plus de 60% des matches ; 1,5 million d’euros sur plus de 65% des matches et enfin 2 millions d’euros sur plus de 70% des matches. Le calcul ne tient pas compte des rencontres pour lesquelles le joueur est blessé. Entraîneur du LOSC à l’époque, René Girard assure ne jamais avoir été incité à privilégier l’attaquant belge pour des raisons financières : "Je n’étais pas du tout au courant de l’existence de ces clauses. On ne m’a jamais imposé de le faire jouer, et de toute façon, je ne fonctionne pas comme ça ! Mon souci était de le garder concentré pour sa dernière saison à Lille, de faire en sorte qu’il n’ait pas déjà la tête à Liverpool et d’éviter qu’il se relâche".  Divock Origi a joué un peu plus de 60% des matches de la saison 2014-2015 comme titulaire, inscrivant 9 buts et permettant à Lille d'encaisser,  d’après nos calculs, 1 million d’euros de bonus.

Quand le LOSC pâtit des résultats de Galatasaray

Le défenseur camerounais Aurélien Chedjou était l'un des piliers du LOSC l'année du fameux doublé Coupe / championnat de 2011. Le 15 juin 2013, il est vendu au club turc de Galatasaray. Montant de l’opération : 6,3 millions d’euros, versés en quatre fois entre le 15 septembre 2013 et le 30 mai 2014.


L’accord prévoit un suprenant bonus de 300 000 euros pour le LOSC à chaque fois que le club d'Istanbul se qualifiera pour la phase de groupe de la Ligue des Champions, de la saison 2014-2015 à la saison 2017-2018, que Chedjou figure ou non dans l’effectif. Un plafond de 900 000 euros maximum est toutefois indiqué.


Les Stambouliotes ayant plutôt assuré les deux premières saisons, Lille a donc touché 600 000 euros. Mais les 300 000 restant seront difficiles à empocher. Galatasaray ne n'est pas qualifié cette saison. Et ça semble très mal parti pour la prochaine, puisque le club d'Aurélien Chedjou n'est que 4e de son championnat pour l'instant, loin derrière les deux premières places qualificatives.

Bientôt encore des sous sur Kalou ?

Arrivé libre de Chelsea à l'été 2012, Salomon Kalou est vendu au Hertha Berlin deux ans plus tard, le 29 août 2014. L'attaquant ivoirien a inscrit une trentaine de buts sous le maillot lillois, mais le LOSC cherche à se délester de son gros salaire et ne va pas faire grimper les enchères. Le club de la capitale allemande ne débourse que 1,5 million d'euros, payés "cash" le 10 septembre.



Mais le contrat de transfert prévoit là encore des bonus en faveur du LOSC, pour apporter quelques compléments d'argent au fil du temps : 250 000 euros lorsque le joueur aura disputé 35 matches officiels en tant que titulaire ou en ayant joué 45 minutes minimum, puis 250 000 euros supplémentaires lorsqu'il aura joué 70 matches officiels dans les mêmes conditions. Lille a dû logiquement encaisser ces 500 000 euros puisque Kalou a dépassé cette saison le cap des 80 matches sous le maillot berlinois.  


Les Dogues pourront prétendre de nouveau à un bonus de 100 000 euros si le Hertha se qualifie pour la phase de groupes de la Ligue Europa, à condition que l'Ivoirien fasse encore partie de l'effectif. Ça ne s'est pas encore produit depuis qu'il a rejoint le club. Les Berlinois se sont fait sortir en tour préliminaire en août dernier, mais ils occupent actuellement la 5e place du championnat allemand, synonyme de qualification directe pour la petite coupe d'Europe. Le LOSC aura enfin droit à une autre gratification si le Hertha vend son attaquant avant la fin de contrat en 2020 : 10% de la plus-value ont été négociés. Mais il faudra pour celà que le club allemand le cède à un prix supérieur aux montants du transfert et de tous les bonus cumulés. Soit plus de 2,1 millions d'euros !


Des garanties bétons exigées pour la vente de Kjaer

Recruté par le LOSC en 2013, le défenseur international danois Simon Kjaer est vendu au bout de deux ans au club turc de Fenerbahçe. Le transfert est signé le 17 juin 2015 pour un montant de 7,65 millions d'euros.  Il n'y a pas de bonus cette fois et le paiement est prévu en trois fois : 2,65 millions le 17 août 2015, 2,5 millions le 25 juillet 2016 et 2,5 millions le 25 juillet 2017.


Pour que cet échéancier soit scrupuleusement respecté, les Dogues posent leurs exigences : le deuxième et le troisième versements devront être "garantis par une banque ou société réputée validée par le LOSC", est-il écrit dans le contrat. Si ces garanties bancaires ne sont pas présentées avant le 2 septembre 2015, Fenerbahçe devra verser les 5 millions restant en une seule fois le 3 septembre 2015. Le LOSC semble redoubler de prudence avec les clubs turcs. Deux ans plus tôt, pour le transfert d'Aurélien Chedjou à Galatasaray, le club nordiste avait déjà formulé les mêmes exigences.


"Quand vous avez un paiement en plusieurs fois, il faut être sûr qu’il soit effectué. Parfois, ce n’est pas fait, parfois vous acceptez juste la signature et si le club ne vous paie pas, il faut aller entamer une procédure pour récupérer le cash", explique un ancien dirigeant de club de la région. "Si ce sont des faux papiers, s’il n’y a pas les garanties, c’est emmerdant, parce que l’argent n’est pas vraiment rentré. Vous avez inscrit dans vos comptes une rentrée d'argent, la DNCG (Direction Nationale du Contrôle de Gestion, "gendarme financier" du foot français NDR) le prend pour argent comptant, ça passe, mais si ce n’est pas payé, c’est presque du faux... en Angleterre, ils ont solutionné le problème en centralisant tout à la fédération. C’est la fédération qui est garante des paiements des clubs anglais."

 

Football Leaks, mode d'emploi
Douze journaux européens regroupés au sein du réseau European Investigative Collaborations (EIC) - dont Mediapart est l’un des membres fondateurs - ont publié du 2 au 24 décembre 2016 les Football Leaks, la plus grande fuite d'informations de l’histoire du sport : 1 900 gigaoctets de données informatiques, obtenues à l'origine par l’hebdomadaire allemand Der Spiegel. Cette fuite contient, au total, 18,6 millions de documents confidentiels : contrats, audits, immatriculations de sociétés, factures, comptes bancaires, courriels...

Elle a  permis de documenter de manière inédite la face noire du football - entre fraude et évasion fiscales, connexions mafieuses et exploitation de joueurs mineurs - et d'éclairer les pratiques d'un milieu où l'omerta s'impose très souvent, lorsqu'on s'intéresse à l'envers du décor. Soixante journalistes, associés à huit informaticiens qui ont développé des logiciels spéciaux pour l’opération, ont enquêté pendant plus de six mois. L’homme à l’origine de Football Leaks se fait appeler “John”. Nous ignorons son identité. Il communique exclusivement avec Rafael Buschmann, le journaliste du Spiegel à qui il a transmis les données.

Outre Mediapart et Der Spiegel, on trouve au sein de l'EIC The Sunday Times (Royaume-Uni), Expresso (Portugal), El Mundo (Espagne), L’Espresso (Italie), Le Soir (Belgique), NRC Handelsblad (Pays-Bas), Politiken (Danemark), Falter (Autriche), Newsweek Serbia (Serbie) et The Black Sea, un média en ligne créé par le Centre roumain pour le journalisme d’investigation, qui couvre l’Europe de l’Est et l’Asie centrale. Au printemps 2017, grâce à Mediapart, l'EIC a ouvert l'accès aux documents à France 3 Nord-Pas-de-Calais et Mediacités pour explorer les coulisses du football dans les Hauts-de-France. Nous avons ont également recueilli, lors de cette enquête, des témoignages inédits qui ne figurent pas dans les Football Leaks.
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