”Je leur laisse jusqu'à aujourd'hui pour se dénoncer sinon je vais au commissariat" : une restauratrice de Cambrai menace de diffuser les images de clients partis sans payer

Sur le coup de la colère, en cette soirée du dimanche 10 novembre, Béatrice Laurent, la patronne du restaurant Chez Béa, à Cambrai (Nord), a menacé de révéler les visages de personnes partis sans payer. La restauratrice avait donné à ces individus jusqu'à ce jeudi 14 novembre pour se dénoncer.

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Dimanche 10 novembre au restaurant Chez Béa, à Cambrai (Nord). C'est le coup de feu, le personnel est à pied d'œuvre face à l'affluence. En fin de repas, après avoir consommé apéritifs, entrecôtes et boissons, pour la somme de 150 euros, quatre clients sont partis de l'établissement de Béatrice Laurent sans payer.

Une restauratrice victime de "délit de filouterie"

"Sur le coup de la colère, j'ai souhaité me faire justice moi-même. J'ai décidé de prendre les images d'une de mes caméras de surveillance et de publier sur Facebook la silhouette de ces clients en cachant leur visage par un émoji, raconte la restauratrice. Ils ont jusqu'à ce jeudi pour se dénoncer, sinon je vais porter plainte au commissariat, raconte-t-elle. J'avais déjà publié un post similaire, il y a quelques semaines, et les clients étaient venus payer immédiatement dans la soirée."

En seulement quatre jours, la publication avoisine les 94 réactions, la trentaine de commentaires et les 170 partages. Le cas de la restauratrice aura aussi été fortement médiatisé. "Je ne pensais pas que cela allait avoir autant de répercussions. J'ai même eu des appels de soutien de restaurateurs de La Baule et de Mulhouse", explique-t-elle.

Béatrice Laurent aurait été victime de "resto basket", une pratique qui consiste à partir sans payer. Aux yeux de la loi, on parle de "délit de filouterie" ou "délit de grivèlerie". Cet usage illégal est sanctionnable de 6 mois d'emprisonnement, de 7 500 euros d'amende, de dommages et intérêts pour le commerçant victime.

"On ne le méritait pas"

La restauratrice menace de raconter son vol, preuves en images, dans un commissariat, si ces clients ne viennent pas la payer. “Pourquoi ils nous ont fait ça ? On ne le méritait pas, car en ce moment, dans le domaine de la restauration, ce n'est pas facile", se lamente la patronne de Chez Béa. Béatrice Laurent a décidé d'agir parce que pour elle, en tant que commerçante, "c'est injuste d'être victime."

La restauratrice n'en est pas à son premier déboire. En juillet 2023, déjà trois clients consomment pour 250 euros et partent de l'établissement sans payer. Il y a un mois, rebelote. "Cette fois, les personnes avaient commandé fromages et desserts, sont sorties pour aller fumer et ne sont jamais rentrées", relate-t-elle.

Aujourd’hui, je crains que des vols se reproduisent. Je vais redoubler de surveillance.

Béatrice Laurent, gérante de Chez Béa à Cambrai

C'est pour lutter face à ces récentes incivilités que la commerçante de plus de quarante ans de carrière a investi dans trois caméras de surveillance. À l'entrée de son restaurant, un panneau indique leur présence. "Ça protège les clients et ça nous rassure", précise-t-elle. Aujourd’hui, je crains que des vols se reproduisent. Je vais redoubler de surveillance."

Plus généralement, Béatrice Laurent souhaite "défendre l'ensemble des commerçants". "Je n'ai pas ouvert ma bouche que pour moi. Il faut que ce genre de vol cesse", insiste-t-elle.

Que dit la loi ?

Quelques heures après sa publication, "on m'a dit que je n'aurais pas dû publier ses images", confie-t-elle. Béatrice Laurent est-elle en tort ?

Pour Alexis Ewbank, avocat spécialiste du droit à l’image à Bruxelles (Belgique), la réponse est non. "D'après l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme sur la protection de la vie privée, si les images sont floutées, on ne peut rien lui reprocher", stipule l'avocat.

Si les images sont floutées, on ne peut rien lui reprocher.

Alexis Ewbank, avocat spécialiste du droit à l’image à Bruxelles

"La commerçante peut se soulager. Dans son cas, elle ne jette personne en pâture de manière intentionnelle", énonce-t-il. Si l'histoire est jugée au tribunal, en référé, elle sera seulement priée de retirer sa publication."

Selon l'avocat, Béatrice Laurent peut souffler un bon coup, "dans ce genre de situation, il est peu probable que le voleur porte plainte. Ils ne peuvent pas gagner grand-chose. Malgré cela, beaucoup de commerçants estiment que le jeu n’en vaut pas toujours la chandelle."

En Belgique, au regard de quelques émissions de télévision, le "plat pays" semblerait plus tolérant en matière de droit à l'image dans ce genre de situation. L'avocat bruxellois Alexis Ewbank l'avoue : "On a tendance à plus fermer les yeux.”

Un collectif et un député montent au créneau

Jérôme Jean, ancien commerçant à Amiens (Somme) et président du collectif Ras-le-vol, a affiché sans flouter les visages une photo de ses voleurs dans sa boutique, en janvier 2023. Invité sur plusieurs plateaux de télévision, il sensibilise aux vols que des commerçants subissent chaque jour en France. "Pour certains, c'est difficile de boucler les fins de mois. Ce genre de vols peuvent causer un gros trou dans la caisse", ajoute-t-il.

Pour Jérôme Jean, "les malfrats doivent sentir que ce n’est pas si facile de voler en France. Ils se croient tout permis, car il y a absence d’autorité. S'il n'y a pas de gendarme, ils sont dans la logique du pas vu pas pris."

"On souhaite supprimer l'obligation de flouter dans le droit à l'image pour pouvoir afficher librement la photo d'un voleur", insiste Jérôme Jean. Romain Daubié, député MoDem de l'Ain, a déposé, le 23 janvier 2024, une proposition de loi en ce sens. À ce jour, la pratique est déjà légale aux États-Unis.

Jeudi 15 novembre, en fin de journée, à l'approche de l'ultimatum fixé par la restauratrice, on apprend dans un post Facebook que les clients indélicats se sont manifestés. Ils s'engagent à payer leur ardoise.

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