Ce 14 janvier, la maire de Tilloy-lez-Marchiennes a officiellement démissionné. Pression de l'opposition, atmosphère tendue dans la commune, harcèlement, danger lié au poste... Marie Cau, première édile transgenre élue en France, revient sur les raisons qui l'ont poussée vers la sortie.
Après des mois de doute et de remise en question, Marie Cau, maire sans étiquette de Tilloy-lez-Marchiennes, a officiellement remis les clés de la mairie à sa première adjointe et vive opposante, Catherine Uytterhaegen. Des laissez-passer que la nouvelle maire par intérim n'obtient que pour un court laps de temps : un nouveau maire doit être désigné par le conseil municipal avant le 28 janvier.
À un an des prochaines élections municipales, la décision de Marie Cau, élue en 2020, a provoqué de nombreuses interrogations. Pourquoi laisser tomber si près du but ?
Pour l'ancienne maire, première édile transgenre élue en France, de nombreuses contraintes étaient venues entacher ses missions de première élue, ne lui permettant pas de mener à bien son travail. Problèmes financiers, opposition grandissante, pression liée au poste de maire... Une multitude d'obstacles qui ont fini par avoir raison de Marie Cau. Elle explique.
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La pression de l'opposition, grandissante au sein du conseil municipal, a-t-elle joué sur votre départ ?
Marie Cau : J'avais déjà décidé de ne pas me représenter à la fin de mon mandat. Mais plusieurs phénomènes se sont produits et m'ont fait prendre la décision plus rapidement. Notamment le fait que je n'ai plus la majorité au conseil municipal. Tout est bloqué, il n'y a plus aucune action qui se fait. Je me suis donc dit que ça ne servait à rien de rester une année à faire les affaires courantes alors que j'ai des projets personnels.
Vous ressentiez de la lassitude ?
M.C. : Quand on est dans une petite commune rurale, on est obligé d'être un peu l'homme ou la femme à tout faire. Dans les grandes villes, les moyennes villes, il y a des équipes techniques, de l'ingénierie pour se charger des affaires quotidiennes. Un maire, c'est une personne avec un mandat qui est juste l'ordonnateur auprès d'une équipe municipale. Mais ici, l'équipe municipale n'existe pas, donc le maire fait tout : déboucher des toilettes, remplacer des robinets... On vient avec sa propre caisse à outils, on n'hésite pas à se remonter les manches, mais c'est vrai que ça nous demande une énergie constante.
Le statut social de l'élu provoque une véritable insécurité dans les petites communes. On donne beaucoup de son temps, de sa vie professionnelle, familiale, de sa santé, sans que rien de concret n'arrive de la part de l'État pour nous aider. Le tout avec des habitants qui demandent une réactivité du service public beaucoup plus forte qu'avant, comme si le maire était un concierge de village.
En tant que maire, on essuie beaucoup de dénigrement : si vous ne faites rien, on vous critique pour inaction, si vous faites quelque chose, on vous critique parce qu'on dépense de l'argent. Quoique l'on fasse, on est critiqué sans qu'il y ait de débat constructif.
Ce sont des intérêts personnels et des luttes d'ego auxquelles je m'attendais en prenant mes fonctions : j'ai travaillé en tant que chef d’équipe pendant 40 ans dans des entreprises, je sais ce que c'est. Mais je ne m'attendais pas à un aussi gros niveau de mesquinerie.
Marie Cau, ancienne maire de Tilloy-lez-Marchiennes
Au-delà de l'atmosphère de plus en plus tendue au sein de votre commune, d'autres raisons vous ont-elles poussée vers la sortie ?
M.C. : Tout ce que j'ai mentionné avant ne m'incitait déjà pas à me représenter l'année prochaine, parce que le sacrifice est trop important. Mais un deuxième phénomène assez cocasse m'a aussi poussée vers la sortie : la réforme des retraites. Puisque je suis obligée de reprendre une activité professionnelle pour ne pas être trop désavantagée vis-à-vis de ma retraite. C'est un problème qui se retrouve une nouvelle fois dans beaucoup de communes rurales, parce que de nombreux maires sont de jeunes retraités encore actifs. Et je ne suis pas sûre qu'après une retraite à 66 ans ou 67 ans, les gens souhaitent se mettent en campagne pour devenir maire.
Pourquoi avoir choisi d'écourter votre mandat, alors que les prochaines élections municipales se tiendront dans un an ?
M.C. : Les élections sont dans un an, mais pendant la dernière année du mandat, il ne se passe rien. C'était l'occasion de marquer le coup politiquement, et de ne pas attendre tranquillement de terminer ma mission.
J'espère que le fait de l'écourter un peu, d'attirer l'attention sur cette situation intenable pour les maires, puisse faire réfléchir.
Marie Cau
Ce que mon équipe municipale et moi-même avons subi est le résultat d'une situation générale qui rend la vie des communes impossible. À cela s'ajoute l'impunité des gens sur les réseaux sociaux, à base d'attaques quotidiennes, comme on sait bien le faire dans les petites communes. Face à ce harcèlement, l'État incite les maires à porter plainte, mais dans les faits, la justice ne suit pas et ne peut pas suivre. Je ne tiens pas à entrer dans les détails de ce qu'il m'est arrivé, mais sachez que trois plaintes ont été déposées, qui sont toujours sans effet.
Avez-vous des regrets lorsque vous voyez vos cinq années de mandat ?
M.C. : Je pars avec un petit pincement au cœur parce que l'investissement professionnel était conséquent pendant cinq ans. Mais maintenant, je pars dans un esprit optimiste vers de nouvelles aventures, je ne regarde pas dans le rétroviseur, je regarde devant moi. Des projets professionnels, associatifs... J'en ai plusieurs dans les cartons. Mais évidemment je garde en tête des projets politiques. Que je mènerai après avoir pris un peu de vacances bien méritées après 5 années passées à travailler 24h/24, 7J/7. Ce ne sont pas les idées qui manquent.
Avec Manon Aoustin