La dentelle pour sauver les coraux des océans, quand l'art bouscule la science

Jérémy Gobé est un artiste plasticien fasciné par les coraux, leurs formes, leurs couleurs, leurs aspérités. Son premier corail, il l'a trouvé chez Emmaüs. Puis, il a commencé à les dessiner, les sculpter. Un jour, il a trouvé une dentelle qui ressemblait trait pour trait, fil pour fil à un corail. De là est née l'idée de créer des supports pour permettre aux coraux de se régénérer, eux qui sont si menacés par le réchauffement climatique.

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Jérémy Gobé est passionné par les coraux. Il expose ses créations au Musée des dentelles et broderies de Caudry (Nord). Il raconte dans le documentaire Sea Art de Marion Semblat et Maud Baignères : "J'aurais rêvé avoir l'imagination de créer ces formes d'un point de vue sculptural."

Le point d'esprit, heureux hasard

Des êtres vivants aux formes, aux couleurs, aux volumes fascinants pour l'artiste. Et puis un jour, alors qu'il sculpte, tisse, tricote des formes inspirées des coraux, Jérémy Gobé découvre une dentelle du Puy-en-Velay, le "point d'esprit". Cette dentelle ressemble à un des motifs qu'il utilise dans ses œuvres. Il y voit un signe, un appel. Le point de départ d'un engagement : défendre les coraux menacés par les activités humaines.

Il explique : "Le corail est une des espèces les plus importantes sur terre, on n’en parle pas beaucoup. Le corail, c'est un bâtisseur. Énormément de sols sur terre sont bâtis sur des récifs coralliens. D'autant plus en France, nous sommes un des pays qui a le plus de récifs coralliens, grâce aux territoires d'Outre-mer. Et puis, le corail a des vertus, c’est un formidable capteur de CO2, certains estiment même plus important que la forêt amazonienne. C'est aussi une barrière naturelle c’est pour ça qu'on parle de barrière de coraux. Ça permet d'abriter 50 % des espèces marines et de créer un écosystème. Il permet aussi de sédimenter les côtes, de freiner la montée des eaux, les tsunamis, les tempêtes, les ouragans. Donc ça permet de fixer les populations. Le corail est absolument nécessaire à la survie des êtres humains sur terre. Malheureusement, ils sont en danger."

Il poursuit : "Certains scientifiques estiment qu'en 2050, 100 % des barrières de coraux auront disparu, il est important d'agir."

Le corail est absolument nécessaire à la survie des êtres humains sur terre. Malheureusement, ils sont en danger.

Jérémy Gobé

Innovation et recherche

De la découverte du "Point d'esprit" naît l'idée de créer des supports pour permettre aux coraux de se multiplier, se régénérer, de survivre. Jérémy Gobé explique : "Il y a deux façons de régénérer les récifs de coraux : une façon traditionnelle, le bouturage, on casse un fragment et on va le coller sur un support, le corail va cicatriser, va grandir, et du coup, régénérer et envahir ce nouveau support. Ça, c'est ce qui est fait depuis des dizaines d'années.

Et puis, une partie qui est un peu moins explorée, c'est la régénération sexuée. Le corail est un animal, il pond des larves, une fois par an. C'est assez magique, c'est une espèce de feu d'artifice. 30 % des larves vont retomber sur les récifs et créer un nouveau tissu corallien. Le problème, c'est que ce rendement de 30 %, était efficient jusqu’à ce que nos activités humaines dérèglent ce cycle naturel."

C'est à partir de cette réflexion, que l'artiste s'est mué en défenseur de la nature. Imaginant créer une dentelle pour : "qu'on arrive à capter les 70 % de larves perdues, qu'on leur propose ce support, ce tuteur, pour donner un coup de main à la nature".

Des supports existent déjà mais en plastique, béton ou métal, et polluent eux aussi les fonds marins. L'idée de Jérémy Gobé est de créer des supports en dentelle avec un fil naturel.

Il réalise alors des essais avec la dentelle tricotée du Puy-en-Velay. Mais très vite, l'artiste plasticien, né à Cambrai (Nord), entre en contact avec un dentellier de Caudry, Solstiss, pour poursuivre ses expérimentations. 

La dentelle de Caudry, l’avenir du corail 

"La dentelle réunit les critères essentiels d'un support idéal : rugosité, souplesse, transparence et biodégradabilité" explique Jérémy Gobé. Il souhaite "une dentelle 2.0 se dissoudra dans l'eau et laissera un milieu sain, naturel et préservé".   

Quand il s'engage, l'éco-artiste ne le fait pas à moitié. Il décide que sa dentelle devra être : "biomimétique, qu'elle ressemble au corail, qu'elle offre une similitude visuelle, mais aussi qu'on travaille au niveau de la matière, des molécules, qu'elle soit entièrement écologique et naturelle pour que ça augmente le rendement". 

Le projet Corail Artefact prend vie. Ce programme de Recherche, Développement et Innovation (RDI) mêle art, science, industrie et éducation afin de sensibiliser le public à travers des œuvres, des actions de médiation.

Et c'est avec les dentelliers de Caudry (Nord) et en particulier l'entreprise Solstiss, qu'il s'associe pour tisser cette dentelle pour les coraux. Bruno Telliez, responsable technique chez Solstiss raconte : "Nous avons fait des essais avec un premier matériau à base d'amidon de maïs. On a commencé à faire des fils, avec des grosseurs différentes, on les a mis sur nos machines Leavers (NDLR : les machines qui fabriquent la dentelle haut de gamme) qui tissent la dentelle entre 4,50 et 5,80 mètres de large. Un échantillon a été envoyé en Guadeloupe, les résultats sont concluants mais il restait des résidus du fil."

Décision est donc prise de chercher un autre matériau, pour être le moins nocif possible. Un matériau issu de la nature, forcément.  Bruno Telliez poursuit : "Jérémy Gobé fait développer un polymère, il faut extruder les billes, les chauffer pour en faire du fil. Ce fil il faudra ensuite l'étirer, l'allonger et lui donner une résistance pour qu'il soit "tissable". Il ne doit pas être cassant, il faut trouver la bonne formule pour en faire un filament exploitable. Ensuite, il y aura les essais, in vitro et in vivo pour voir si les coraux s'adaptent".

Des grands de ce monde intéressés

L'entreprise de Caudry, Solstiss est convaincue du bien-fondé de ce projet. "On y croit sincèrement, depuis le début. Reconstituer les fonds marins est essentiel. L'idée, à terme, est de cibler plusieurs motifs. Ce que nous pouvons faire. Nous avons nos dessinateurs, les métiers à tisser la dentelle, notre propre teinturerie. Le mimétisme de forme et de couleur est nécessaire parce que le corail est un être vivant." conclut Bruno Telliez.

Forcément, le projet intéresse. Présentés à l’Exposition Universelle de Dubai en 2022, Jérémy Gobé et son projet ont été récompensés par plusieurs prix. Il se murmure aussi que "des grands" de ce monde sont intéressés. 

Les recherches scientifiques entreprises utilisent la dentelle comme support pour favoriser l’implantation des larves lors de la ponte, facilitant ainsi la régénération du corail, mais prévoient aussi des structures en béton écologique. 

Nausicaa, à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), a lancé une campagne pour financer les prochaines étapes de tissage d'un nouveau matériau. L'exposition Dentelles des mers - Rexticulum maris présente son projet Corail Artefact, au Musée des dentelles et broderies de Caudry, jusqu'au 25 août 2025.

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