Quinze sièges de moins en cinq ans dans les Hauts-de-France, pour la majorité présidentielle. Le coup est rude, et les candidats du camp Macron font les frais d'une stratégie électorale qui s'est retournée contre eux. Seules les figures locales font exception, et parviennent à siéger à l'Assemblée.
"Revers", "gifle", "défaite" ou "désaveu" : peu importe le nom que l'on donne au scénario vécu ce 19 juin par la Macronie, les chiffres sont là. En 2017, le ministre aux envies présidentielles avait réussi à emporter les législatives dans son élu, et pris une majorité absolue à l'Assemblée Nationale, avec plus de 300 sièges. Cinq ans plus tard, Emmanuel Macron se retrouve pris en étau entre les oppositions, et va devoir gouverner tout en compromis : 245 députés de la majorité présidentielle "seulement" siègeront à l'Assemblée.
Désigné adversaire, le RN devient le successeur
La montée du RN, pour un président qui demandait à être jugé sur sa capacité à faire baisser le score des "extrêmes", est également un lourd échec. Le score de l'abstention, premier parti de France, avec 54%, fait une nouvelle fois montre de la lassitude des Français envers la politique. Dans le Nord et le Pas-de-Calais, le recul est tout aussi marqué : Renaissance (ex-LREM) passe de 15 à 6 députés élus dans le Nord et le Pas-de-Calais, et de 8 à 2 en Picardie, avec des sorties aussi fracassantes que les entrées. Les candidats de la majorité présidentielle ont fait les frais de l'impopularité croissante d'Emmanuel Macron, d'une abstention massive, et atteste une nouvelle fois de la difficulté du parti à réussir son implantation locale.
Ces scores montrent aussi l'échec de la stratégie du camp Macron, qui avait rapidement abandonné la notion de front républicain pour renvoyer dos-à-dos la NUPES et le RN. La stratégie de dédiabolisation des oppositions pour s'offrir la position de rempart, payante à la présidentielle, n'a pas fonctionné à l'échelle locale.
Face à la contre-performance, le camp présidentiel déroule depuis le 19 juin sur les plateaux télé le scénario d'une France ingouvernable, vouée à la crise institutionnelle. Un conseiller de l'exécutif, cité par Le Monde, évoque même, déjà, la dissolution de l'Assemblée Nationale, passé le délai d'un an, imposé par la Constitution. Le gouvernement se cherche des alliés, Eric Dupond-Moretti s'attirant déjà une polémique en affirmant qu'il est "possible d'avancer ensemble" avec le Rassemblement National. En 2021, le ministre de la Justice déclarait pourtant que le RN était un "véritable danger pour la démocratie". Il s'était même montré favorable à l'interdiction du parti de Marine Le Pen, en 2015.
"Je rends mon mandat" : ces candidats qui n'ont pas tenu le choc
L'une des illustrations les plus frappantes de la déroute LREM, c'est le scénario vécu par Brigitte Bourguignon, récemment nommée ministre de la Santé, et qui n'aura pas le temps de mettre les pieds dans un nouveau conseil. Battue dans la 6ème circonscription du Pas-de-Calais, elle doit, selon la règle édictée par le président, remettre les clés de son ministère. C'est une cruelle défaite : seulement 56 voix d'écart, face à la candidate du Rassemblement National, Christine Engrand. Difficile, pour celle qui se présentait pendant l'élection comme le rempart aux extrêmes. A son QG, la candidate se disait "atterrée" par les résultats du scrutin. "Je suis là depuis dix ans, je connais très bien le territoire. Et puis une inconnue arrive, me méprise, rappelle mon ancienne fonction de secrétaire médicale partout…" s'est-elle emportée, citée par nos confrères de la Voix du Nord. L'ex-députée s'est ensuite exfiltrée discrètement de sa permanence, sans plus de commentaires.
Autre défaite durement encaissée, celle d'Anne-Laure Cattelot, poussée vers la sortie après 5 ans de mandat par le candidat RN, Michael Taverne. Emue aux larmes, Anne-Laure Cattelot a reconnu sa défaite : "Je suis attristée pour notre territoire, attristée qu'un député RN gagne. Je suis très inquiète de l'avenir, de la défense de ce territoire, de la défense des agriculteurs, des dossiers industriels, de nos services publics... De beaucoup de choses" a-t-elle gravement déclaré, s'assurant aux côtés des élus locaux qui s'apprêtent à travailler avec le Rassemblement National au cours de cinq prochaines années. "On va avoir des temps difficiles, il va falloir qu'on se serre les coudes, qu'on regagne la confiance des gens."
Le front républicain n'a pas fonctionné
Dans la quatrième circonscription de la Somme, l’appel au front républicain de plusieurs personnalités locales - dont la candidate NUPES éliminée au premier tour - n'aura rien changé. Ce 19 juin, Jean-Claude Leclabart n’est plus député. Cet agriculteur à la retraite, très implanté sur son territoire, n'a pas pu compter sur le soutien de ses anciens électeurs, qui lui ont préféré Jean-Philippe Tanguy, un trentenaire diplômé de l’Essec et Sciences Po Paris, passé par Debout la France. Celui-ci a mené une campagne dynamique, voire agressive, rappelant même à coups de tracts la mise en examen de son adversaire dans une affaire de faux et usage de faux, en 2019. Jean-Claude Leclabart, sur la défensive, avait refusé le débat public organisé par France Bleu, et manqué ainsi l'occasion de défendre le programme du camp présidentiel.
Retour à gauche
Dans la 11ème circonscription du Nord, le scénario varie un peu : c'est la NUPES, cette fois, qui a eu raison du député sortant, Laurent Pietraszewski. Avec un peu plus de 43% des voix, il n'a pas su s'imposer face au maire de Lomme Roger Vicot, qui rend la circonscription à la gauche après 5 ans de rupture. Laurent Pietraszewski, dans un communiqué publié après sa défaite, écrit : "Je rends mon mandat fier des résultats obtenus et du respect de la parole donnée aux électeurs de notre 11ème circonscription du Nord. (...) Pour notre pays et notre circonscription, j'espère que le député élu ce dimanche se montrera à la hauteur du moment historique que nous vivons."
Compter sur des figures locales, le seul pari payant
Pourtant, l'alliance Ensemble n'a pas essuyé que des échecs : elle reste majoritaire à l'Assemblée, et maintient la plupart de ses ministres-candidats. C'est le cas de Barbabra Pompili, seule candidate du camp présidentiel à avoir été élue au second tour dans son département de la Somme. L'ancienne ministre de la Transition écologique a su garder sa circonscription acquise en 2017, sa suppléante Cécile Delpirou (LREM) l'ayant remplacée en cours de mandat lors de son entrée au gouvernement. Barbara Pompili a savouré sa réélection, sans se montrer trop triomphaliste. "Nous avons ici une victoire, mais nous avons aussi dans le reste de la France beaucoup de résultats contrastés, une France divisée, beaucoup de voix qui ont exprimé une colère ou une inquiétude et il faut l'entendre", a-t-elle affirmé le soir de sa réélection.
Des implantations de longue date
D'autres territoires acquis au président sont restés fidèle : c'est le cas de la 4ème circonscription du Pas-de-Calais, celle du Touquet. Emmanuel Macron y a sa résidence, et va traditionnellement y voter. Gérald Darmanin, lui, a pu compter sur son implantation de longue date à Tourcoing, fief qui lui est acquis depuis 2012, et fait ainsi exception aux dynamiques qui ont handicapé la macronie. Il a emporté la 10ème circonscription loin devant, avec 57% des voix. L'alliance Ensemble a su recruter d'autres profils similaires, comme celui d'Eric Woerth. Egalement issu des Républicains, il est devenu ce 19 juin le seul député Ensemble du département de l'Oise. Ce n'est pas une surprise : dans la 4ème circonscription, Éric Woerth est sans cesse réélu depuis 2002. En le recrutant début 2022, le camp présidentiel a réalisé une belle prise, et le député une belle opération en s'exfiltrant du bateau LR parti à la dérive. Elu, mais pas si largement, Eric Woerth a déploré au micro de France 3 une élection "compliquée, assez violente".
Après cet épisode électoral houleux, la trajectoire à suivre est incertaine : c'est la toute première fois sous la Vème République qu'un président se voit souffler sa majorité absolue sans qu'une cohabitation ne lui soit imposée.