La dépression et le diabète de type 2 sont souvent associés, mais jusqu'à présent, leur relation exacte demeurait floue. Une équipe de chercheurs de l'Institut Européen de Génomique pour le Diabète (EGID), de l'Imperial College de Londres et de l'Université de Surrey au Royaume-Uni a réalisé une étude pour démystifier cette relation. Entretien avec l'endocrinologue lillois Philippe Froguel, directeur de l'EGID.
Quel est le contexte de cette étude ?
Philippe Froguel : "Il faut savoir qu'il y a un mois, une étude a réestimé le nombre de diabétiques à la hausse pour 2050. Il y aura 1,3 milliard d'êtres humains diabétiques alors qu'il y en a 500 à 600 millions aujourd'hui. Par ailleurs, il existe aujourd'hui un milliard d'obèses. Or on sait qu'il y a deux facteurs de risque pour le diabète de type 2 : l'obésité et l'âge. On ne peut pas jouer sur l'âge mais on peut jouer sur l'obésité. Dans ce cadre, une nouvelle étude a montré de nouveaux liens entre dépression et obésité."
Quels sont-ils ?
Philippe Froguel : "On savait qu'il y avait un lien entre l'obésité et la dépression. Un important pourcentage d'obèses est en dépression. Mais on ne savait pas qui était la poule et qui était l'œuf, c'est-à-dire qui de la dépression ou de l'obésité entraînait l'autre. On pensait même, depuis 50 ans, c'était écrit dans les bouquins de diabétologie que l'obésité -et ses contraintes de régime alimentaire etc.- entraînait la dépression. Or, l'étude que nous venons de réaliser montre que c'est la dépression qui peut entraîner l'obésité. La dépression est première. C'est du moins ce que montre cette étude génétique franco-britannique. Les gènes de la dépression dans le cerveau sont associés à un risque de diabète et non l'inverse."
Dans quelle mesure une dépression peut entraîner du diabète ?
Philippe Froguel : "C'est difficile de passer de la preuve de causalité à son chiffrement. Il faudrait suivre des patients sur 30 ans. Mais on peut dire que le risque est augmenté de 25% à 50%".
Et quand, en plus, on est obèse ?
Philippe Froguel : "Quand on est dépressif et obèse, les risques sont multipliés par trois."
Or, des médicaments antidépresseurs développent l'appétit et font grossir...
Philippe Froguel : "D'où l'intérêt de communiquer aux psychiatres et aux patients dépressifs l'importance de se surveiller, de surveiller son poids, son alimentation, son mode de vie, son exercice physique. Cette étude attire l'attention sur la nécessité de ne pas développer un diabète à 40 ans, après avoir fait une dépression à 20 ans. C'est une question de prévention."