Le samedi 29 octobre, une action de grève spontanée a été menée par les employés du Furet du Nord de Lille, qui dénoncent leurs conditions salariales. Pour la CGT Librairies, le patronat prend le risque d'une crise de l'embauche.
"Nous, salariés du Furet du Nord, nous sommes des employés passionnés par notre travail. Nous dépassons pour la plupart d'entre nous les 35h car nous travaillons en complément chez nous pour satisfaire les clients, mettre en place des coups de coeur...Et nous avons ce sentiment collectif que nous ne sommes pas reconnus à notre juste valeur."
Didier* fait partie des salariés du Furet du Nord qui ont manifesté devant le magasin de Lille, samedi 29 octobre. Ce mouvement inédit dans l'histoire récente de l'enseigne est le symbole d'une industrie du livre en crise.
*L'identité du témoin a été modifiée dans le cadre de la protection des sources.
Sur la Grand Place, Didier et ses collègues ont débrayé pour dénoncer leur faible rémunération, équipés de pancartes. Sur l'une d'elle, on pouvait lire "Plus assez en poche pour m'acheter un Poche".
Des promesses de prime qui laissent de marbre
Parmi les grévistes, "certains d'entre nous ont plus de 15 ans d'ancienneté pour gagner un SMIC, bien insuffisant en période d'inflation, poursuit Didier. Les dernières négociations ont abouti sur des systèmes de prime de partage qui ne correspondent pas à nos demandes. De plus, les primes sont rarement attribuées car nos objectifs deviennent inatteignables."
La direction doit absolument prendre conscience de notre demande, qui est juste.
Didier, salarié au Furet du Nord
En effet, le groupe Nosoli, créé par la fusion du Furet du Nord et des magasins Decitre, a également déclaré dans la presse s'être décidé en faveur d'une "mesure exceptionnelle du pouvoir d'achat" prenant la forme d'une prime de partage de la valeur. Selon le PDG du groupe Cyril Olivier, il s'agit d'un "effort de solidarité exceptionnel de l'ordre de 300 000 euros".
Dans le secteur de la librairie indépendante, l'immense majorité des commerces sont des boutiques de moins de 11 salariés, qui n'élisent donc pas de représentants syndicaux. Dans les grandes enseignes qui font exception, comme le Furet, ces représentants sont souvent uniquement sur les listes de cadres. Les accords de branche font loi.
Selon la grille salariale renseignée par le Syndicat de la librairie française, en prenant en compte les dernières renégociations salariales, le salaire des caissiers restera par exemple inchangé, à 1678 euros brut par mois. Les vendeurs des deux premières catégories, dont le salaire était identique, seront eux augmentés à partir du 1er décembre 2022, mais d'à peine 0.70%. Ils toucheront 1690 euros brut par mois.
La fuite de la main-d'oeuvre, un risque bien réel
Rémy Frey, représentant de la CGT Librairies, confirme la précarité grandissante des salariés du secteur. "Il est extrêmement courant d'être payé au salaire minimum applicable, avec une grille de salaire qui démarre à quelques euros du SMIC. C'est aussi une grille très resserrée : après le deuxième pallier, il n'y a plus qu'une centaine d'euros d'écart entre les différents niveaux de rémunération, voire moins. Globalement, dès qu'il y a une hausse du SMIC, vous avez quatre à cinq niveaux de classification qui sont rattrapés."
Essorés par la crise du covid, qui a frappé de plein fouet le secteur du livre, et l'inflation qui touche la France, les salariés ne s'y retrouvent plus, selon le représentant syndical.
"Le patronat en librairie a toujours une bonne raison pour dire : "je ne suis pas en capacité d'augmenter la rémunération de mes salariés". Une fois, c'est la répartition de la valeur au sein de la chaîne du livre, ensuite ce sont les pressions des éditeurs, ensuite ce sont les tensions sur les loyers ou la concurrence du e-commerce... Il y a toujours, toujours une raison mais la seule constante, c'est le fait de maintenir les niveaux de rémunération au plus bas."
Pour Rémy Frey, le risque, c'est celui de voir la main-d'oeuvre déserter le secteur, comme c'est le cas dans l'hôtellerie-restauration. "Il y a deux choses qui font le succès d'une librairie : l'emplacement, puisque la librairie est un commerce de centre-ville et la qualification du personnel. Le reste est marginal. Aujourd'hui, en payant les gens à un minimum qui ne permet plus de vivre là où ils travaillent, on prend le risque d'une déperdition du personnel et d'une fragilisation du modèle de la librairie indépendante. Les employeurs adoptent une vision court-termiste et joue un jeu dangereux."