Dans son nouvel ouvrage, Patrice Teisseire-Dufour et le photographe Arnaud Späni dressent un portrait intime du canal du Midi, entre héritage historique et enjeux contemporains. Un hommage à l'ingéniosité humaine qui interroge l'avenir de ce patrimoine français
C'est à vélo, à la vitesse des bateaux, que Patrice Teisseire-Dufour a choisi d'explorer le canal du midi. Cette approche contemplative a donné naissance à un livre "Le canal du midi, un chemin d’eau et de ciel " qui va bien au-delà d'un simple guide touristique. Nous avons demandé à son auteur, le pourquoi et le comment qui ont permis d'aboutir à ce livre. Interview.
France 3 : 1- Comment avez-vous collaboré pour combiner texte et photographie afin de capturer l'essence du canal du midi ?
Patrice Teisseire-Dufour : Ce livre est né d’une promenade à vélo, de Toulouse à l’étang de Thau, avec mon père à la Toussaint 2009. Nous avons choisi de voyager à bicyclette, car l’itinéraire s’y prête et c’est la bonne vitesse pour entrer dans le décor, à 8 ou 10 km/h, presque à la même vitesse que les bateaux. Puis durant 15 ans, j’ai alors accumulé flâneries, livres, documentations et reportages le long de ses berges pour Occitanie magazine. Le travail avec mon compère photographe Arnaud Späni s’est déroulé entre l’automne 2023 et le printemps 2024. Je garde en souvenir notamment une belle et grosse journée d’avril où nous avons réalisé les portraits de Jean-Claude Dreyfus, Samuel Vannier, Nelly la libraire du Somail, une balade en bateau avec Ruud…
2- Quelle a été votre approche pour présenter l'histoire du canal tout en mettant en lumière son importance contemporaine ?
Je ne voulais pas écrire une énième biographie de Riquet (1609-1680) ou donner un topoguide à vélo du canal. Mon angle, c’est plutôt un livre qui met en valeur les plus beaux lieux du canal, une sorte de livre amoureux du canal. On me dit souvent que je suis homme paysages. J’ai voulu rendre l’atmosphère de ces endroits. Et j’explique l’importance, par exemple, du Seuil de Naurouze, le partage des eaux, l’improbable tunnel du Malpas, les neuf écluses de Fonsérannes, les ouvrages du Libron, l’écluse ronde d’Adge, mais aussi Saint-Ferréol, premier grand barrage d’Europe et la prise d’eau d’Alzeau, la source du canal... Car l’alimentation en eau et la dénivellation de cet ouvrage ont été capitales à sa réalisation. Depuis des siècles, les concepteurs butaient sur ces problèmes-là.
3-Comment avez-vous choisi d'intégrer la figure de Pierre-Paul Riquet dans votre narration du canal ?
À partir des archives du canal, au port Saint-Sauveur à Toulouse, je suis connecté à Paul Riquet. Grâce à l’archiviste Samuel Vannier, je découvre sa correspondance avec Colbert, sa véritable écriture, les plans des différents ouvrages d’art… Tout est très émouvant. J’éprouve beaucoup d’admiration pour Riquet. Pour son engagement, son don de soi et son argent. Ce qu’il a fait, c'est un tour de force génial. Il faut se rendre compte que l’année de ses 54 ans, le 18 janvier 1663, Riquet change de vie. Le roi soleil ordonne enfin l’examen du projet du canal par des commissaires du royaume afin d’en vérifier les modalités de réalisation. Même si à cet âge-là, c’est fort tard. Comme s’il commençait une deuxième vie à sa retraite, Riquet peut s’engager, à corps perdu, dans son rêve.
5 - Quels défis avez-vous rencontrés pour capturer la beauté et l'atmosphère unique du canal du midi ?
Le canal n’est pas un lieu de défis, sauf les ornières et les branches cassés à vélo, sa descente en aviron, que j’ai testé, ou les difficultés pour se croiser dans des sas d’écluse. Le canal, c'est avant tout une ode à la sérénité. Pour ceux qui sont en quête de bonheur, il suffit d’appréhender ce fil d’Ariane de 240 km et de se laisser envelopper par l’atmosphère apaisante des frondaisons et par ses jeux de lumière sur ce miroir, une magie que rendent les photos d’Arnaud Späni !
4- Pouvez-vous nous parler de votre expérience avec les éclusiers et les mariniers lors de votre parcours le long du canal ?
Oui, je voulais aussi mettre en valeur le monde des mariniers, des éclusiers, des riverains. Le Canal a bien une voix. Elle n’a jamais été aussi vivante. Je suis admiratif du travail effectué par le festival Convivencia, l’éclusier sculpteur de l’Aiguille, Sam qui a relancé le fret sur le canal, les ouvriers de la cale de radoub, les animatrices de la péniche Carabosse qui offre des classes de découvertes patrimoine et environnement… Désormais, il existe un Plan de développement durable du canal. Cependant, les stocks d'eau se dégradent. Y aura-t-il encore assez d’eau pour faire naviguer les bateaux de plaisance ? Le canal pourrait sembler aussi inutile qu’une œuvre d’art. Mais je n’ose imaginer le Sud de mon pays sans cette ligne Maginot, cette traverse hors du temps.