Après la prise de Kaboul par les talibans le 15 août 2021, la ville de Lille a commencé à accueillir des réfugiés afghans. Aujourd'hui, ils sont 92. Deux ans plus tard, que sont-ils devenus ? Omra, une lycéenne de 17 ans et Karim, un ancien juge devenu boulanger, racontent leurs parcours empreint de résilience.
Ils ont vu leur vie basculer du jour au lendemain. Parfois en quelques minutes. "Je n’ai eu que 30 minutes pour me rendre à l’ambassade de France à Kaboul et quitter mon pays", confie Karim Mohammadi. Il est évident que c’est très compliqué, j’ai vécu 50 ans de ma vie là-bas, je suis né là-bas, j’ai grandi là-bas". En août 2021, l’homme fuit l’Afghanistan avec sa famille après la prise de pouvoir du pays par les talibans. Direction le nord de la France, Lille plus précisément. Il fait partie des 92 réfugiés afghans accueillis par la ville.
Ma vie est ici maintenant.
Karim Mohammadi, réfugié afghan
Dans son pays natal, Karim Mohammadi était juge et président du tribunal de Kandahar. En France, il a dû repartir à zéro. "Quand je suis arrivé ici, je me suis dit que je n’allais pas refaire 15 années d’études pour redevenir juge. J’ai donc décidé d’abandonner mon métier et de faire une formation pour devenir boulanger", explique-t-il. "Ce n’est pas facile de descendre de l’échelle sociale, de changer de statut, mais c’est comme ça, la roue tourne. Et je voulais trouver un travail assez rapidement, pour subvenir aux besoins de la famille. Il faut avancer dans la vie et ne pas rester sur ses acquis du passé."
Pour lui, il était impossible de rester en Afghanistan : "J’ai eu la chance de pouvoir quitter le pays, mais ce n’est pas le cas de tous. Mes anciens collègues là-bas me disent que depuis 2 ans, ils vivent reclus. Ils sont menacés chaque jour par les talibans ou par d’anciens prisonniers. Du jour au lendemain, ils se sont retrouvés au chômage, en prison ou sont morts", confie-t-il.
Après sa formation en boulangerie à Tourcoing, Karim Mohammadi a obtenu un CDI et travaille désormais à Lille. Il n’envisage pas de retourner dans son pays : "Au quotidien, ce n’est pas facile. J’ai laissé des collègues, des amis d’enfance. Tous ces gens qui m’ont façonné. Mais désormais, ma vie est ici, mes enfants vont à l’école ici". L’ancien juge espère à l’avenir ouvrir sa propre boulangerie et voir ses filles exceller dans leurs études.
Les femmes ont beaucoup manifesté, mais personne n’écoute leur voix.
Omra Hashimi, réfugiée afghane
Omra Hashimi, elle, est lycéenne. Elle aussi a quitté l’Afghanistan il y a un peu moins de 2 ans pour rejoindre Lille avec ses parents. Aujourd'hui, elle est ravie de sa nouvelle vie en France : "Ici, c’est très bien, car c’est une sécurité pour continuer d’aller à l’école. Je suis très contente d’être ici et de pouvoir progresser dans mes études."
Malgré tout, l’adolescente de 17 ans ressent de la tristesse pour le sort des femmes dans son pays natal : "Je suis très triste d’avoir quitté ma famille sur place, d’avoir quitté mon pays, ma maison. Je suis triste pour mes camarades là-bas. La vie pour les femmes est très difficile. Avant les femmes pouvaient aller à l’école, à l’université, mais depuis 2021 elles n’ont plus de droit. Les filles, là-bas, doivent toujours rester à la maison, à cuisiner, à garder les enfants".
Elle non plus n’envisage pas de retourner vivre en Afghanistan : "Tant que les talibans ont le pouvoir, je n’y retournerai pas. S’ils quittent un jour le pays, j’y retournerai, mais pas pour tout le temps". Depuis son arrivée en France, Omra prend des cours de français. En septembre, elle fera sa rentrée dans un lycée lillois avec pour rêve de devenir un jour médecin.
La France doit "faire plus"
Dans une conférence de presse organisée au lendemain du second anniversaire de la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan, Martine Aubry a voulu rappeler la tradition d’hospitalité de sa ville, de la France, tout demandant au gouvernement de "faire plus" pour les Afghans.
"Aujourd’hui il y a encore beaucoup de personnes menacées. Bien sûr, on ne peut pas faire venir toutes les femmes, mais pour elles, il faut parler. Il faut dire que ce qu’il se passe en Afghanistan est inacceptable, a plaidé la maire de Lille. J’entends dire que ça ne va pas plus mal, qu’il y a de la sécurité. Oui, il y a de la sécurité quand la police est dans les rues pour empêcher les femmes d’y être pour les rendre invisibles. Oui, il y a de la sécurité, mais comment vit ce peuple ? Quand la moitié d’entre lui est chez lui, cloîtré, invisible ?"
Martine Aubry estime que la France "doit encore ouvrir ses frontières" pour accueillir davantage de réfugiés. "Le nombre de demandes qu'on a, c'est des centaines, parce qu'on sait qu'à Lille, on a fait venir des gens donc d'autres viennent nous voir. J'ai quelques dossiers avec des menaces lourdes et j'espère que le ministère des Affaires étrangères réglera le problème", a-t-elle ajouté.
Avec FTV/Valériane Porcher