Trois habitantes du Nord, Marianne, Charlotte et Sophie, souffrent du Covid-19 long depuis de nombreux mois. Ces membres de l’association Après J20 font part de leurs grandes difficultés et pointent l’invisibilisation de leur maladie et le manque de prise en charge.
Un midi, elle a allumé sa friteuse puis s’est assoupie. Peu de temps après, son fils de 18 ans a débarqué dans la cuisine, où la fumée s’était invitée. Elle a oublié ce qu’elle venait de faire. "S’il était arrivé cinq minutes plus tard, tout pouvait prendre feu." Marianne a 43 ans et vit avec ses deux enfants à Annœullin, dans le Nord. La perte de mémoire fait partie des symptômes de Covid-19 long qu’elle a rapidement développés après avoir été contaminée, fin octobre 2020, sur son lieu de travail, à la mairie d’Annoeulin. Elle y occupe le poste d’adjointe administrative chargée des ressources humaines. Un métier qu’elle ne peut plus exercer depuis les premiers symptômes, le 30 octobre 2020.
Toux régulière, maux de tête, fatigue… Lorsqu’elle appelle son médecin traitant, Marianne est persuadée qu’elle a attrapé le coronavirus. Le test PCR, positif, le confirme. Elle s’isole 15 jours dans sa chambre. Si la Nordiste n’a pas perdu le goût ni l’odorat, elle a toujours ses migraines et très peu d’énergie. Epuisée, essoufflée à la moindre action. "Ca ne s’est jamais arrêté", raconte t-elle cinq mois plus tard. Elle a désormais une cinquantaine de symptômes du Covid dit "long" : perte de mémoire, manque de concentration, acouphènes, toux, perte de mots, hyperventilation, tachycardie, eczéma, mains marbrées, migraines, maux de ventre en font partie. "Je ne respire plus comme avant, plus comme il faut. Tout ne fonctionne plus comme avant", regrette t-elle. Ce 30 octobre 2020, sa vie a complètement changé.
Le #CovidLong a été reconnu comme une pathologie mais il n'est pas encore reconnu comme maladie professionnelle.#JT1213 @France3tv pic.twitter.com/lakhLqz8OG
— Info France 3 (@infofrance3) March 24, 2021
Cette maman, qui élevait seule ses enfants, "ne vit plus depuis 5 mois". Elle a perdu son indépendance. Elle travaillait à temps plein, faisait les courses, le ménage, le jardinage, les travaux à la maison, s’occupait notamment de son aînée, âgée de 20 ans, handicapée en raison d’une maladie génétique rare. Tout cela n’est plus possible aujourd’hui : le moindre effort est une souffrance. Se lever, descendre les escaliers, se faire un café engendre, dans la foulée, une obligation de se reposer. "Il faut que je me rallonge pour que mon cœur batte à un niveau acceptable." Remonter les escaliers, atteindre la salle de bains, prendre sa douche est "un marathon". "Je mets une heure à m’en remettre." Incapable de marcher quelques minutes, elle ne sort plus de chez elle, à part pour réaliser des examens ou rendre visite à ses parents, le tout en fauteuil roulant.
"J’ai mis plus de deux mois à en demander un. J’ai mis du temps à l’accepter, c’était une épreuve, mais je n’avais pas trop le choix. Je croise des collègues, tout le monde connait ma situation. Et puis avec ma fille, en fauteuil roulant, je vis la confrontation au regard des autres depuis 20 ans avec elle, je suis habituée."
Tachycardie posturale
Marianne n’est pas la seule Nordiste à avoir contracté le Covid-19 long. Charlotte, 32 ans, et Sophie, 43 ans, l'ont eu en mars 2020. En France, le coronavirus était peu connu et n’avait pas fait tant de ravages. La première est infirmière à Lille. Un an plus tard, elle n’a pas repris son travail. La faute, outre le dégoût pour le monde de la médecine, à des rechutes permanentes.
Lorsque des premiers symptômes apparaissent, elle ignore si elle a le coronavirus.
"J’étais tout de suite très très fatiguée au point de ne plus pouvoir me lever pendant une semaine ou deux. J’ai perdu 5 kg en une semaine. En fin de cycle menstruel, je ne savais plus sortir de mon lit. Je passais 5 jours HS sans me laver ou à me laver au lavabo, je n’avais plus de force pour lever mes bras. J’ai acheté un tabouret pour prendre des douches assise."
Lorsque Charlotte avait un rendez-vous médical ou des courses de prévues, elle restait "allongée pendant plusieurs jours en prévision pour être sûre de pouvoir faire les choses". Le test, réalisé trois semaines après les premiers symptômes, est négatif et elle n’a pas développé d’anticorps contre le virus. Pourtant, comme Marianne, elle souffre de tachycardie posturale – "quand je me mets debout, mon rythme cardiaque peut doubler voire pire, avoir la tête qui tourne, des vertiges, des malaises…" – et perd toute énergie. "Je ne pouvais plus marcher et parler en même temps, juste marcher quelques minutes, c’était l’enfer." Ses mains, elles aussi, sont marbrées.
Un voile sur la bouche
Sophie a, elle, repris le travail dès mai 2020. Cette quadragénaire qui habite à Wattignies travaille dans le secteur de la banque. Tout est parti du test positif de son fils au coronavirus. "J’ai développé de l’urticaire, j’en avais partout sur le corps. Je n’arrivais plus à poser le pied par terre. Et je n’avais plus de goût." Son état s'améliore quinze jours plus tard après un traitement à base de cortisone. Mais, étonamment, son corps se grippe de nouveau : des brûlures dans la gorge, une rhinite et des difficultés respiratoires. "Aller aux toilettes était devenu difficile. Je ne savais plus me lever, je ne savais plus respirer." Progressivement, elle va mieux et fin septembre, se doucher n’était plus devenu "très compliqué". Elle avait même repris la piscine.
En octobre dernier, sa fille attrape le Covid-19. Rebelote, Sophie développe exactement les mêmes symptômes qu’en mars, notamment l’état grippal. Mais son test PCR est négatif et elle ne développe pas d’anticorps. Comme Charlotte. Les médecins remarquent seulement qu’elle a eu une infection ou une inflammation en mars. "Ils me disent que c’est un virus, mais pas le Covid." De son propre aveu, elle "remonte la pente très lentement. Je peux marcher une vingtaine de minutes. Après, j’ai comme un voile sur la bouche, je ne peux plus gonfler mes poumons normalement et je n'ai plus de force après 20 minutes debout".
Maltraitance médicale
Marianne, Charlotte et Sophie font partie de la section nordiste de l’association AprèsJ20, où des malades sont rassemblés pour "faire progresser la cause du Covid long". Toutes trois font le même constat : elles ont été délaissées par des spécialistes médicaux. "Je ne m’attendais pas à grand-chose mais pas à ce point-là", regrette Charlotte, qui est une membre de ce monde médical. Cette dernière, tout comme Marianne, parle de "maltraitance médicale". "Certains médecins ne croient pas à ce Covid long. Une spécialiste m’a dit que mes symptômes étaient dus à ma fatigue et qu’ils allaient disparaitre en dormant plus", relate Marianne, qui a demandé la reconnaissance de son état comme maladie professionnelle. Refusé, après un rendez-vous avec une experte qui "ne l’a pas auscultée".
Charlotte nous a partagé des courriers de médecins relatant ses rendez-vous médicaux. "Avant, j’en pleurais, maintenant, j’en ris ! Des médecins me disaient : « Bah alors on a lu un truc sur Internet ? » ou « Ca, c’est dans votre tête ! ». J’ai espéré du fond du cœur que ce soit psychosomatique, mais non. Je me suis senti insultée."
Un sentiment partagé par Sophie. Si son médecin traitant l’a toujours crue et soutenue, cela n’a pas été le cas d’autres spécialistes. "Au CH, on m’a dit : « Vous pouvez revenir, mais ça ca va servir à rien. » On n’est pas considérées, on ne peut pas discuter."
Par peur de revivre une même scène d’impuissance, elles n’osent plus appeler le SAMU lorsque leur état de santé s’aggrave. Marianne raconte :
"J’étais montée prendre un pantalon, mon cœur est monté à 150 battements par minute, j’avais du mal à m’en remettre, mon fils paniquait. Lorsque l’ambulance est arrivée, il a été estimé qu’il n’y avait pas d’urgence cardiologique. Au CHR, j’ai même entendu « Ca veut dire quoi Covid long ? »"
Brouillard cérébral
Un an après, Charlotte va beaucoup mieux. "Je suis passée d’une loque qui a perdu 10 kilos à une femme qui peut faire du sport ! Je n’ai jamais été aussi musclée", rigole celle qui a envie de se reconvertir dans l’informatique. Avec les anti-inflammatoires et le recours à une machine de neurostimulation, "beaucoup de symptômes se sont arrêtés". Elle souffre toujours de problèmes circulatoires, de rougeurs sur les mains et les pieds avec du sang qui circule moins bien ainsi que des traumatismes psychologiques. "J'ai passé Noël toute seule, je ne supporte plus d’être dans une pièce avec quelqu’un, quand je sors de chez moi, je fais vite, j’ai envie de tuer les personnes qui n’ont pas de masques…"
Sophie continue de travailler. Elle en a besoin. Un quotidien éreintant. "Je suis très faible musculairement, j’ai de violents maux de tête et des problèmes de concentration et de perte de mots. Je suis parfois obligée d’arrêter ma journée car plus rien ne sort de ma bouche parfois. Mes journées sont entrecoupées de pauses où je vais dormir car il faut que je coupe." L’incertitude demeure :
"Quand je me lève le matin, je ne sais pas comment va se passer la journée, c’est toujours une surprise. Faire les courses et un repas est devenu un miracle. J’ai cru que j’allais tomber plus d’une fois dans les pommes quand j’allais promener mon chien autour de la maison. Mais si vous vous écoutez, vous dormez."
Elle a l’espoir de guérir. "J’ai accepté ce que j’étais devenue."
Les #covidlong ce sont avant tout surtout des femmes, des hommes et des enfants touchés!
— ApresJ20 - Association Covid Long France (@apresj20) March 27, 2021
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Plus que qq jours pour envoyer à @PerniceSandrine vos photos-témoignages!#ApresJ20 #LongCovid https://t.co/kwBMyU10OA pic.twitter.com/tSEfs3Ck7x
Etat d’esprit similaire pour Marianne, qui reçoit une fois par semaine la visite d'une rééducatrice et d'une infirmière. Elle a "fait le deuil de son ancienne personne". Pour l’heure, elle ne peut pas reprendre le travail. Son brouillard cérébral la mine. "Ca va prendre quelques mois au mieux, je suis incapable de me concentrer, de réfléchir. J’aimerais déjà reprendre une vie normale en intérieur, prendre ma douche sans que ça me fatigue. Si j’avais une baguette magique, j’aimerais retrouver ma vie d’avant… Mais je ne me fais pas d’illusions, je ne la retrouverai jamais, j’ai des séquelles à vie. Je survis au jour le jour."
Il y a quelques jours, Marianne a réussi à faire un gâteau "simple" qu’elle a mis dans un moule en forme de cœur. Un exploit qu’elle a immortalisé et partagé aux autres membres de l’association Après J20. Une légère éclaircie. Et un bonheur simple pour tenter d’avancer.