Dans une vidéo largement relayée sur les réseaux sociaux, on voit le Gilet jaune lillois être emmené par la police. Une interpellation qui pose de nombreuses questions et fait réagir la France insoumise.
la garde à vue du Lillois Alexandre Chantry, figure locale des Gilets jaunes, a été levée mardi après-midi pour "poursuite d'enquête", a indiqué le parquet de Lille, au lendemain de son interpellation à proximité du Grand Palais. Aucune charge n'a été retenue contre lui, assure son avocat Me Chaudey.
Un petit groupe de Gilets jaunes (guère plus d'une dizaine) s'était rassemblé devant le Grand Palais où se tient le Forum international de la Cybersécurité, et où ils pensaient pouvoir interpeller le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner (dont la venue n'était toutefois pas programmée)
L'arrestation – dans le calme – d'Alexandre Chantry n'a duré qu'une trentaine de secondes, mais la vidéo filmée en direct a été rapidement relayée sur les réseaux sociaux.
Que voit-on sur la vidéo ?
Après une minute de vidéo, on peut voir plusieurs policiers aborder les manifestants (peu nombreux) rassemblés sur un trottoir, sous la neige.
Policier : "Bonjour."
Gilets jaunes : "Bonjour
Policier :"Vous êtes en manifestation, pas de déclaration préable, donc je vais vous repousser et monsieur Chantry vous allez me suivre pour organisation d'une manifestation sans autorisation préalable"
Les Gilets jaunes protestent.
Policier :"Si si, moi j'estime que c'est une manifestation, monsieur, révisez vos cours de droit. Donc à partir de maintenant, vous êtes interpellé."
Puis, quelques secondes plus tard alors qu'Alexandre Chantry est emmené par des agents, un autre policier s'adresse aux autres personnes :"Vous dégagez, vous partez par là (...) Vous reprenez le boulevard, vous dégagez. Ceux qui seront encore là ici une minute, ce sera interpellation et garde à vue"
Pourquoi cela pose question ?
Si la vidéo a été autant partagée, c'est que rien ne permet a priori de justifier l'intervention de la police. Peut-on réellement qualifier l'attroupement de "manifestation non-déclarée" ?
Elle n'a certes pas été déclarée en préfecture, comme doivent l'être les manifestations de grande envergure (et Alexandre Chantry en sait quelque chose, lui qui a organisé les dernières rassemblements des Gilets jaunes à Lille), mais difficile de définir ce qu'est une manifestation.
On ne peut pas établir un chiffre minimum de manifestants
Dans un article de Libération récapitulant ce que dit la loi au sujet du droit de manifestation, l'avocat Jean-Louis Vasseur, souligne qu'"on ne peut pas établir un chiffre minimum de manifestants." Il concède qu'"une personne, deux, trois qui manifestent sans l’avoir déclaré pourraient tomber sous le coup de l’article 431-9" du Code pénal.
L'intervention de la police interpelle d'autant plus que des centaines de rassemblements non déclarés se sont déjà tenus partout en France depuis le 17 novembre, sans être inquiétés.
Dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il est rappelé dans l'article 10 que "nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi." La vidéo publiée sur Facebook (même si l'on ne voit pas les minutes qui précèdent l'interpellation) ne laisse pas apparaître de tels troubles.
L'autre détail qui interpelle, c'est que le policier s'adresse directement à Alexandre Chantry, sans procéder à un contrôle d'identité, et lui attribue d'emblée "l'organisation d'une manifestation".
La police disposait-elle d'éléments probants pour avoir la certitude qu'il s'agissit d'une manifestation à l'initiative d'Alexandre Chantry ? Il n'y a en tout cas aucune trace publique de l'organisation d'un tel événement sur Twitter et Facebook. Tout au plus trouve-t-on une publication datée de lundi matin et relayant la rumeur de la venue de Christophe Castaner à Lille.
Contacté, un responsable syndical de la police souligne toutefois que "le ministre de l'Intérieur avait prévenu depuis un moment que les rassemblements non-déclarés ne seraient plus tolérés", même si lui-même s'est dit surpris qu'une seule personne ait été interpellée.
Rassemblement devant le commissariate Lille
En réaction à l'interpellation, un rassemblement s'est tenu à 11 heures devant le commissariat de Lille-sud pour réclamer la libération du Gilet jaune de 27 ans.
Une cinquantaine de personnes s'y trouvaient encore en fin d'après-midi, portant des drapeaux français, des pancartes et, évidemment, plusieurs Gilets jaunes.
"Il a été interpellé de façon arbitraire"
S'y trouvait notamment Flavien, présent au moment de l'interpellation. Il décrit "un rassemblement qui était totalement pacifique, où on était à ce moment huit ou neuf. Une cinquantaine de forces de l'ordre sont arrivées sur nous pour nous demander de nous disperser, sauf Alecxandre Chantry qui lui allait venir avec eux."
"Il a été interpellé de façon arbitraire, puisque même moi, j'étais organisateur avec trois autres personnes et j'ai dit : 'Moi aussi, je suis organisateur, interpellez moi ! Pourquoi lui et pourquoi pas moi ?' Et on m'a dit Non, vous restez ici."
Ce qui lui laisse à penser que "c'était vraiment visé, et c'est ça qui moi m'énerve".
Soutiens politiques
L'arrestation a en tout cas suscité des réactions politiques au sein du parti La France Insoumise, dont Alexandre Chantry est proche. Les députés du Nord Adrien Quatennens et Ugo Bernalicis ont rédigé un communiqué commun dans lequel ils "condamnent l'interpellation d'Alexandre Chantry" et demandent la démission de Christophe Castaner : "Après les mutilés et les blessés graves, la dérive autoritaire se poursuit. Voilà une entrave de plus à l’exercice de la liberté de manifestation. Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, devrait en tirer toutes les conséquences et s’en aller. " .
Monsieur @CCastaner, vos coups de menton autoritaires ne vous feront pas éviter l’essentiel : la justice sociale et vite ! Le #RIC et vite ! Libérez Alexandre #Chantry !
— Adrien Quatennens (@AQuatennens) 22 janvier 2019
➡️ https://t.co/VIIi5wESkl
Contacté, le parquet de Lille, indique mercredi matin que la garde à vue d'Alexandre Chantry a été levée mardi en de journée "pour poursuite d'enquête".