En théorie, la frontière avec la Belgique est fermée jusqu'au 15 juin. Dans les faits, son retrait physique a été perçu par les Français comme une autorisation à revenir faire leurs achats, encouragés par les commerçants et les riverains, fatigués de cette situation qu'ils jugent "absurde".
Ouverte ? Fermée ? Les spéculations autour de ce qui est possible de faire ou non à la frontière belge vont bon train. Nous sommes allés sur place pour essayer de comprendre ce qu'il en était et les difficultés qui en découlent pour les riverains et les commerçants.
Avant/ après rue des Trois Pierres, Wattrelos
À quelques mètres de la frontière avec la France, cette gérante d'un tabac reconnaît la difficulté d'avoir perdu sa clientèle française : "On ne travaille qu'avec des Français. Ça a été très difficile pour nous au début et encore maintenant, même s'il n'y a plus de frontière physique, car les clients ont peur de se prendre une amende."
Elle comprend qu'ils soient prêts à être verbalisés à hauteur de 250 euros pour une cartouche de cigarettes : "C'est un vice de fumer, mais on ne peut pas arrêter comme ça. Quand on voit le prix du tabac en France, pour les gens qui n'ont pas les moyens, c'est difficile d'assumer le prix et ils sont obligés de venir ici et d'en prendre le risque", justifie-t-elle.
Pour la plupart des commerçants, les Français représentent entre 80 % à 90 % de la clientèle. Le déconfinement côté belge n'a donc pas permis à certains de rouvrir.
Michel et Danielle Derreunax, tiennent une friterie rue du Petit Audenaerde, Herseaux. "On a fermé pendant neuf semaines en tout. C'était impossible d'ouvrir avant. Certains jours, on essayait, mais on faisait dix euros de recette pour la journée, ce n'était pas tenable", se désole Danielle Derreunax.
Avec leurs vingt ans de carrière, le couple ne craint pas l'avenir mais est conscient de sa chance. Des restaurants de la commune ont fermé, l'absence de recettes liées au confinement et à la fermeture de la frontière est venu s'ajouter à des difficultés financières déjà présentes. "Heureusement qu'on a vingt ans de commerce. Pour tenir, on va devoir prendre sur notre retraite." Ils ont dû jeter des pains, des fricadelles, achetés en trop : "On a essayé de réduire les quantités, mais on en avait quand même trop."
Avant / après rue du Petit Audenearde, Herseaux
"Je n'ai ouvert que les matins et j'ai dû mettre mes trois employés au chômage", s'attriste Christian Vandenhende-Bagein, le boulanger du quartier, lui aussi touché par l'absence de Français dans sa clientèle.
À la sortie, une cliente française, les bras chargées de deux gâteaux et d'une baguette, reconnaît que la rematérialisation de la frontière ne l'a pas gênée pour poursuivre son quotidien habituel : "Je sais que les contrôles ne sont pas très présents. Ce serait vraiment chipoter alors que je ne suis qu'à quelques mètres de la France. Même quand il y avait les blocs de béton, je passais à pied donc ça n'a rien absolument rien changé pour moi."
Pour d'autres commerçants, cette période a été aussi source d'ennuis avec la police. Ismail Mirza est cogérant d'un magasin considéré comme "une librairie" par le gouvernement belge, malgré que les trois quarts de son stock sont du tabac. A ce titre, il avait l'autorisation d'ouvrir, à la différence des tabacs traditionnels. Mais le flou qu'a entraîné la fermeture des frontières et le confinement a créé des tensions entre son commerce et la police.
Par deux fois, il s'est vu conduit au poste car il refusait de fermer sa boutique. Ces interventions ont marqué la rue, notamment Danielle Derreunax, qui gère la friterie : "Il a été embarqué comme si c'était un criminel. Les policiers sont venus avec les chiens. On avait jamais vu une rue comme ça", reconnaît-elle.
Des Français bloqués en Belgique
Alors que côté belge, les voitures immatriculées en France côtoient celles immatriculées en Belgique, la rue de la Roussellerie, qui débouche sur une impasse, a illustré la difficulté de rétablir une frontière physique entre deux pays de l'espace Schengen. Sur le front droit, les habitations sont françaises, sur le front gauche, les bâtiments sont belges. Il ne fallait pas s'y tromper mais au moment d'installer la frontière, la police n'a pas prêté attention à cette particularité. Résultat... Les Français de la rue se sont retrouvés bloqués en Belgique.
Bernard*, un des habitants, ironise sur ces dernières semaines qu'il qualifie de "folkloriques". "On était enfermés du mauvais côté", s'amuse-t'il. "Certains policiers nous voyaient tous les jours mais ça ne les empêchait pas de nous redemander de clarifier notre situation. Mais, dans l'ensemble, je ne me plains pas. Ce qui a été le plus gênant, c'est pour faire les courses. On vit là donc on a toutes nos habitudes ici : le boulanger, la boucherie, ..."
Une de ses voisines, Stéphanie, une Belge vivant côté français, est restée perplexe devant la situation : "Ce n'est pas clair. On nous dit qu'on peut aller en Belgique si on est Français mais que l'inverse est compliqué." Malgré le flou, elle a pu assurer l'essentiel pour elle : continuer d'aller voir sa mère isolée qui vit en Belgique : "Je m'arrêtais et expliquais la situation aux policiers belges qui me laissaient passer sans problème."
Avant / après rue de la Broche de Fer, Herseaux
Depuis le samedi 30 mai, 15 heures, les policiers belges ont retiré les blocs de béton qui faisaient obstruction aux différents points de frontière entre la France et la Belgique. Ces frontières sont censées rester fermées jusqu'au 15 juin, mais leur retrait physique a incité les Français frontaliers à reprendre leurs habitudes, au grand soulagement des commerçants belges, mais a aussi renforcé le flou autour de cette frontière.
*Le prénom a été modifié