Le musée d'art et d'industrie André Diligent, plus connu sous le nom de "musée de La Piscine" , abrite l'une des plus grandes collections de textiles de France. Ces milliers de pièces uniques sont préservées à l'aide d'un processus millimétré.
Le premier musée de Roubaix, créé en 1835, était un musée du textile. La ville, au XIXe siècle, est tout simplement considérée comme la "capitale mondiale" de cette industrie florissante. Le projet de musée est d'ailleurs venu directement des industriels du textile.
"Ils l'ont fait pour valoriser leur savoir-faire, se protéger de la concurrence et offrir une source d'inspiration aux futurs créateurs. La collection était, au départ, composée d'échantillons de la production locale, rassemblés dans de grosses reliures" raconte Alice Massé, conservatrice adjointe chargée des collections au musée d'art et d'industrie André Diligent, plus connu sous son emblématique surnom de "Musée de la Piscine".
L'art textile dans toute sa diversité a fondé ce musée et il y occupe encore une place centrale. Peu à peu, des échantillons venus de toute la France, puis du monde entier, ont rempli les réserves.
La responsable de la tissuthèque du musée, Norah Mokrani, estime qu'on y compte "environ 3 000 pièces de tissus tout confondus, sans compter toutes les pièces conservées dans les 3 000 livres d'échantillons."
Parmi ces pièces, les créations de mode et tous les échantillons que l'on appelle dans le jargon muséal des "tissus plats". En plus de cela, la régie des collections de tissus a aussi à sa charge l'ensemble des accessoires, boîtes d'époques mais aussi des centaines de planches à imprimer sur tissu.
Quand on a de la chance, on a le dessin, la planche et le tissu, pour une vue globale de la réalisation
sourit Norah Mokrani.
Après ses travaux d'expansion démarrés en 2016, le musée est engagé dans un déménagement massif de ses collections textiles dans de toutes nouvelles réserves. La réhabilitation de l'ancien collège Sévigné n'a pas été sans mal. Dans les musées, tout est codifié, y compris, par exemple, la charge maximale au sol par m3 dans les réserves.
Pour le musée de la Piscine, il est tout bonnement impossible et même illégal d'aligner simplement les articles sur des étagères.
Préserver "si possible pour l'éternité"
Alors les régisseuses textiles rivalisent de méthodes pour classer précieusement ses objets d'art et d'histoire : montage dans des passe-partout, rouleaux de tissus, empilement précautionneux dans des tiroirs... Les pièces anciennes, fragiles ou précieuses ont souvent besoin d'être isolées.
"Ces collections sont fragiles, elles sont faites de fibres qui réagissent à leur environnement, on doit vraiment trouver pour chaque objet la meilleure solution technique pour le conserver, si possible pour l'éternité. Ça fait partie de la mission des musées" complète sa consoeur, Amélie Boron, assistante régie textile.
Pour illustrer son propos, elle extirpe des placards de la réserve une longue boîte à chaussures, qui abrite un modèle ancien de la marque française André Courrèges. "Ce sont mes préférées", plaisante-t-elle.
A l'intérieur, on trouve une paire de chaussures argentées à lanières, chouchoutées comme elles ne l'avaient jamais été. Elles reposent sur une couche de mousse spécialement découpée pour s'adapter au contour de la semelle, doublée d'un système de calage sur mesure. La bride repose également sur une structure adaptée. Le tout est entouré de papier de soie.
C'est le matériau le plus stable qu'on utilise en conservation : les lésions de la matière ne migrent pas vers l'objet, ça ne colle pas même aux matériaux comme le vinyle et ça reste stable sur la durée. Voilà, si dans un lot on a 500 objets, on fait ça 500 fois !
Amélie Boron, régisseuse textile du musée de la Piscine de Roubaix.
Insectes ou moisissures, une vigilance constante
Si cette installation a nécessité autant d'attention, c'est que le musée se bat au quotidien pour la conservation de ses pièces textiles, constamment attaqués par le temps et les atmosphères. "Il y a différents agents qui peuvent dégrader les collections, autant la couleur que la structure ou la forme. Il y a la lumière, la chaleur, l'humidité relative, la moisissure, les insectes... Il y a aussi l'homme, qui est la première source de dégradation des biens culturels, par méconnaissance ou inattention" résume Amélie Boron.
La température dans les réserves ne dépasse jamais les 19 degrés, et la lumière y est quasi-proscrite. Mais il ne suffit pas de ranger ces pièces pour en avoir terminé : la vie, trop souvent, trouve un chemin.
"On a surtout des insectes qu'on appelle "kératophages", les mangeurs de kératine qui se trouve sur la laine animale, la soie... Donc nous faisons régulièrement des veilles insecte ! Également,, tous les 10 ans, on vérifie la présence et l'état des collections dans un musée, ce qui prend énormément de temps. On vérifie si on ne trouve pas de corps d'insectes, de déjections animales. Si on en remarque, on procède à une anoxie : on retire l'air en plaçant l'objet dans une bulle, pour asphyxier l'insecte" explique la régisseuse.
Le musée est également particulièrement vigilant au moment de la sortie et de l'entrée des oeuvres qui traversent les divers programmes de prêts d'oeuvres.
"En cas de doute, on met en place une quarantaine jusqu'à pouvoir traiter. Par exemple, cet été, pour une exposition de tableaux, un cadre est arrivé avec des traces d'infestation active d'insectes xylophages, qui mangent le bois. On a isolé le cadre et on l'a traité avant de le remettre en place, il faut être vigilant" rappelle la conservatrice Alice Massé.
Pour tout ce travail, l'équipe de la régie textile se compte sur les doigts d'une main. A l'approche d'une opération massive de dépoussiérage des livres d'échantillons, également très technique, le musée a du lancer un appel à la solidarité publique. Les fonds récoltés leurs permettront de s'adjoindre les services de deux spécialistes extérieurs. Car, évidemment "on n'aspire pas un velours côtelé comme on aspire une soierie ancienne !" s'exclame Amélie Boron.
Une collection qui inspire la mode d'aujourd'hui
Car il n'a jamais été question de laisser dormir en sous-sols ces trésors de patrimoine. Tous les trois mois, de nouvelles pièces sont ajoutées aux expositions permanentes, tandis que leurs prédécesseurs regagnent leurs housses sur mesure.
L'exposition consacrée à l'artiste anglais William Morris en est l'exemple le plus frappant. Ecrivain, poète, peintre, dessinateur, architecte, militant politique, celui-ci était aussi un designer textile reconnu. Dans les anciennes cabines de douche de la Piscine, les pièces de mode anglaises côtoient des échantillons de tissus mis sous verre. "C'est la première fois qu'on insiste autant sur la transversalité des collections" reconnaît Alice Massé.
La tissuthèque, à l'étage, a été vitrée et permet aussi aux visiteurs d'admirer certains livres d'échantillons et occasionnellement d'admirer le travail de sa responsable, Norah Mokrani.
Ce jour-là, elle a préparé et disposé des passe-partout qui enchâsse des pièces de tissus, pour la venue d'un groupe. La collection textile reçoit en effet beaucoup d'attention du côté des professionnels. "On a aussi bien des chercheurs en histoire que des grandes enseignes qui viennent chercher l'inspiration pour de futures collections, atteste Norah Mokrani. On a vu passer Pimkie, Promod... C'est très important, nos collections ne sont pas pour notre seul bénéfice, elles sont prêtes à être consultées."
> Les infos pratiques pour découvrir ces pièces.