Au Salon de l'agriculture, la question de la crise énergétique, de l'inflation et de la sécheresse est omniprésente. Ghislain Mascaux, agriculteur originaire de Bugnicourt dans le Nord, revient sur les problématiques auxquelles sa profession doit faire face.
Le Salon de l'agriculture de Paris est un lieu hors du temps où toutes les cultures et les gastronomies de France se retrouvent et se rencontrent.
Malgré l'aspect festif et bon enfant de l'événement, les agriculteurs n'hésitent pas à évoquer la question de la crise énergétique, de la sécheresse et de l'inflation. Car si la fête et la bonne humeur sont au programme, ils n'oublient pas les problématiques du quotidien.
C'est le cas de Ghislain Mascaux, producteur de céréales, de fruits et de légumes depuis 22 ans à Bugnicourt (Nord) et membre de l'association Intercéréales.
"On a beaucoup de problèmes pour stocker certaines denrées alimentaires"
Pour lui et ses collègues, la crise énergétique et le prix élevé de l'électricité rendent difficile le stockage de certaines denrées alimentaires "comme les pommes de terre". En effet, il faut de grands frigos "pour stocker les pommes, les poires, les endives" pendant six à huit mois. Or, ceux-ci sont énergivores et, avec les prix qui explosent, beaucoup d'agriculteurs ont du mal à voir le bout du tunnel.
La région "est très impactée par les endives et le stockage des pommes de terre, ça va faire un surcoût énorme", déplore-t-il. L'agriculteur espère donc que des marques comme McCain et les autres acheteurs "vont pouvoir augmenter un petit peu" les prix de leurs contrats. Dans le cas contraire, ils ne pourront pas se rémunérer "et tout partira dans les coûts de stockage".
L'inflation a également fait augmenter le prix des matières premières. Mais ce n'est pas tout, car un autre problème s'est posé : le prix des intrants. "Les fertilisants, les semences, tout ce qui sert à produire les denrées alimentaires, ont augmenté plus vite que le cours de ces matières premières".
Par exemple, le prix du blé a augmenté de "40 à 50%" mais les fertilisants, eux, "ont augmenté de 300 à 400%", regrette Ghislain. "Vous imaginez ? On n'est plus sûr du 8-10% d'inflation pour le grand public, on est sur du 300-400% d'augmentation de nos charges".
Ghislain Mascaux espère que "les politiques pourront et essayeront de faire quelque chose pour mieux gérer cette inflation parce qu'elle est néfaste tant pour les agriculteurs que pour les consommateurs".
Je ne suis pas pessimiste, je suis plutôt de nature optimiste, même si notre métier dépend de beaucoup d'aléas, comme les aléas climatiques.
Ghislain Mascaux, agriculteur du Nord
Le défi de l'eau face à la sécheresse
L'agriculture des Hauts-de-France - et celle du pays tout entier - fait aussi face à une importante sécheresse. "On vit depuis 2020 plusieurs années de sécheresse consécutives, il n'y a que 2021 qui a été pluvieux, et là on a eu le mois de février le plus sec depuis plusieurs dizaines d'années."
Pour le moment, les agriculteurs tâtonnent et tentent de trouver des solutions pérennes. "Ça ne fait que quatre à cinq ans qu'on est impactés par la sécheresse dans les Hauts-de-France, on essaie d'anticiper, de trouver les meilleures façons de gérer l'eau".
Ghislain Mascaux se dit notamment inquiet pour certaines cultures légumières, notamment les pois, les haricots verts ou encore "les pommes de terre qui doivent se faire sur des buttes, donc qui sèchent très vite".
C'est du bon sens de stocker l'eau l'hiver pour avoir une alimentation, parce que l'eau est égale à alimentation. Il ne faudra jamais l'oublier. Ce n'est pas que pour l'agriculture ou l'agriculteur, c'est aussi pour vous nourrir.
Ghislain Mascaux, agriculteur du Nord
Alors, comment faire face à ce défi climatique ? L'une des solutions se trouve possiblement dans le stockage d'eau. "Je sais bien que le mot bassine n'a pas bonne presse, reconnaît-il en souriant. Mais quelles que soient les façons dont on stockera l'eau, il faudra la stocker". Dans de nombreuses habitations privées, il existe des cuves de stockage d'eau récupérée par les gouttières. L'agriculteur estime qu'il faudrait s'en inspirer.
Les sondes sont un autre exemple récent. "On met des sondes dans les buttes de pommes de terre, dans les champs des haricots verts, et cette zone est reliée à nos smartphones", explique-t-il. L'appareil informe ensuite des besoins en eau. "Il permettra d'économiser de 15 à 20% d'eau et apporter l'eau au bon moment, ça s'est une grande avancée."
À partir de 2023-2024, lui et ses collègues comptent passer à la gestion volumétrique, "c'est-à-dire qu'on va donner un volume à l'industrie, à l'agriculture, au grand public et à la biodiversité. On devra le gérer du mieux que possible pour économiser l'eau".
Il faudra stocker l'eau plutôt qu'elle parte à la mer. Parce qu'il faut savoir que l'eau ne va pas tout le temps dans les nappes phréatiques. Des bassines qui stockent l'eau l'hiver au lieu d'aller à la mer, ça c'est intelligent.
Ghislain Mascaux
"L'opulence, c'est fini"
Malgré toutes ces problématiques, Ghislain Mascaux estime que "l'agriculture française se porte un peu mieux qu'elle ne l'a été il y a quelques années, mais uniquement parce que les prix ont remonté un peu".
Il faut aussi faire attention, selon lui, "au discours de décroissance de production" (réduire la production de biens et de services afin de préserver l'environnement). Pourquoi ? "Parce qu'on est un pays riche et qu'on a l'habitude d'avoir tout sur nos étales". L'agriculteur pense que si "on se compare avec d'autres pays autour de nous, eux nous diront : attention, regardez la guerre en Ukraine, deux pays seulement en guerre et c'est 30% des volumes de blé en moins dans le monde". Pour lui, "l'opulence, c'est fini", mais il faut néanmoins continuer à produire, "tout en respectant l'environnement".
Finalement, Ghislain Mascaux conclut en expliquant "qu'il faut retrouver une autonomie alimentaire et la France a beaucoup à faire, nos politiques gagneraient à nous écouter, à écouter le bon sens paysan pour le bien des consommateurs et de la société française".