Témoignage. Victime présumée de PPDA, elle raconte son agression : "personne n'était prêt à entendre ça"

Publié le Écrit par Camille Di Crescenzo

En décembre 2021, soit près de 40 ans après les faits, Marie-Laure Eude-Delattre a témoigné contre PPDA, l'accusant de l'avoir violée à 23 ans quand elle était stagiaire au festival de Cannes. Malgré la prescription, sa plainte a permis de rouvrir une enquête, qui sera bientôt clôturée.

Marie-Laure Eude-Delattre est l'une des nombreuses victimes présumées de Patrick Poivre-d'Arvor. À 60 ans, lorsqu'elle décide de ne plus se taire, il est trop tard pour la justice. Mais comment survivre au viol ? Comment en guérir quand on ne prend pas votre plainte et qu'on vous demande : "vous ne l'avez pas un peu cherché ?".

Cette histoire commence en 1985. Étudiante dans la plus grande école d'attachés de presse de France, Marie-Laure décroche un stage au festival de Cannes. Elle est chargée de gérer les accréditations. Une chance pour la jeune fille de 23 ans qui croise beaucoup de beau monde.

"Il avait une aura exceptionnelle"

"C'est le rêve, se souvient Marie-Laure, c'est le monde du cinéma que j'adorais depuis toujours parce qu'au départ, je voulais être actrice".

Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu'à cette rencontre qui va bouleverser sa vie : "Je rencontre Patrick Poivre d’Arvor qui vient chercher son accréditation comme tous les journalistes qui venaient au festival de Cannes. Il avait une aura exceptionnelle. C’était ses années flamboyantes donc il arrivait un peu en terrain conquis. Il était aimé de beaucoup de Français", se souvient-elle.

La jeune étudiante entame la discussion avec lui. Elle lui fait savoir qu'elle aimerait beaucoup faire un stage à la rédaction d'Antenne 2. "Comme j'avais encore un autre stage à effectuer dans l'année, c'était important pour moi d'avoir des relais. Donc pourquoi pas aller à Antenne 2, au journal. J'avais déjà rencontré Daniel Bilalian, un autre journaliste, j'avais eu une très belle rencontre, je me disais pourquoi pas, ce serait formidable. Je lui en ai parlé. Il m'a dit : on va se revoir, on va en discuter. Puis il est revenu une deuxième fois et là, il posait plus de petites questions un peu personnelles, mais je n'ai pas vraiment fait attention parce qu'il y avait un brouhaha incessant. Il y avait plein de gens autour et moi, je voulais juste mon stage, c'était tout."

Le journaliste lui propose alors d'en discuter autour d'un verre, mais après la projection d'un film. "Ça s'appelait Night Magic et c'était une séance après minuit donc je n'étais pas certaine qu'il vienne. Et quand je suis descendue, il était là au bas de l'escalier. J'ai le souvenir d'être allée dans sa voiture, mais il n'y a pas eu un mot, rien, vraiment rien. Et je me suis retrouvée à l'hôtel Martinez. Là aussi, c'est un lieu prestigieux, magnifique. Toutes les stars allaient se faire photographier sur la terrasse. J'avais vu Peter Gabriel et Clint Eastwood deux jours avant. C'était un monde qui m'attirait beaucoup. Et je suis allée dans l'ascenseur où il y avait aussi un ministre."

"Il m'a complètement déshumanisée"

Jusqu'au bout la jeune fille a cru qu'elle allait sur une terrasse boire un verre. "Je me suis retrouvée dans sa chambre. Il a tout de suite fermé la porte à clé et là, les choses étaient beaucoup plus claires. Il s'est déshabillé. Il s'est frotté sur un bout de canapé et moi, je lui ai dit avec insistance 'je ne suis pas venue pour ça. Je veux faire un stage. Je ne veux absolument pas faire ça.' Je lui ai même dit que ma future belle-mère, parce que j'étais fiancée, adorait ses livres. 'Elle vous lit et dit que vous êtes quelqu'un de romantique. Pourquoi vous faites ça ? Je ne comprends pas'. Et d'un seul coup, je n'ai pas le souvenir exact de ce qui m'est arrivée, mais je me rappelle très bien que je n'ai plus de pantalon, je n'ai plus de culotte et que je me suis retrouvée allongée comme ça sur le lit et il m'a pénétrée en deux secondes et c'était fini."

"Après c'était : 'tu peux prendre tes affaires et tu peux descendre.' Voilà, c'était ça. En plus de ce qui m'est arrivé, je pense qu'à ce moment-là, il m'a vraiment prise comme un objet. Il m'a complètement déshumanisée et c'est ça qui fait encore plus mal. C'est un moment où le cerveau se déconnecte. Je l'ai su des années après. Ça m'a fait plaisir de savoir que c'était ça parce que je m'en suis voulue. Je me suis dit mais attends, toi, avec le caractère que tu as, pourquoi tu n'as pas hurlé ? Pourquoi tu n'as pas cogné ? Mais non, je lui ai dit non et il a continué. C'était impensable pour moi."

C’était un homme célèbre. C’était un homme aimé. Ce n’était pas possible qu’il me fasse ça. Je n’étais pas venue pour ça

Marie-Laure Eude-Delattre

"Il n'y a que mes parents qui m'ont crue"

Le lendemain, la stagiaire se présente au commissariat pour porter plainte et là, c'est la déconvenue. La police ne prend pas sa plainte. "Il y a eu une femme quand même qui m'a examinée. Évidemment, je m'étais lavée juste après. Évidemment, j'avais jeté la petite culotte. Je n'avais plus d'indices et comme c'était quelque chose qui n'était pas comme on l'imagine dans les parkings, avec une arme et des coups, ça ne pouvait pas être constaté."

Malgré cette réaction, Marie-Laure en parle autour d'elle, à ses parents et à son fiancé : "il m'a dit que j'étais salie et il est parti du jour au lendemain. Il n'y a que mes parents qui m'ont crue/"

La jeune fille ne se démonte pas et reprend le cours de sa vie. Elle se marie, fonde un foyer jusqu'au jour où elle décide de ne plus se taire : "en fait, je ne me suis jamais tue, mais on ne m'écoutait pas. C'est ça la différence, c'est qu'on ne voulait pas m'entendre. Personne n'était prêt à entendre ça. Même humainement, je trouve que c'était dégueulasse parce qu'on me tenait pour coupable. C'est-à-dire que la police n'a pas voulu prendre ma plainte en disant qu'il était protégé alors qu'il était connu pour des faits similaires."

"Je ne voulais pas remuer tout ça"

Ces faits, Marie-Laure va les découvrir plusieurs années plus tard. Avec #MeToo, les langues se sont déliées. De spectatrices du mouvement, certaines femmes deviennent actrices. Florence Porcel est la première à porter plainte pour viols contre Patrick Poivre d'Arvor en 2021. Puis, dans son livre Impunité, la journaliste Hélène Devynck dénonce les agissements de PPDA. Des dizaines de femmes témoignent à visage découvert dans la presse et sur les plateaux de télévision. 

"Je n'étais pas encore prête, confie Marie-Laure. Je me disais que c'était inutile, que malheureusement, j'étais prescrite. Et je ne voulais pas remuer tout ça. J'avais quand même bâti ma vie. J'étais heureuse, il n'y avait pas de raison que je replonge là-dedans. Et quand j'ai vu l'ignominie de monsieur Poivre d'Arvor qui a dit face à la télé : 'mais qu'elles viennent, elles sont anonymes', j'ai contacté Hélène Devynck". 

Assistante de PPDA entre 1991 et 1993, l'autrice raconte l'histoire de ses sœurs de misère : "Je pense qu’on n’aurait pas eu la même histoire si on ne s’était pas rencontrées, avoue la journaliste. La rencontre a été quelque chose de bienfaisante pour toutes. Et Marie-Laure, comme elle le racontait, un jour, elle m’a téléphoné et elle a débarqué dans l’histoire, dans mon salon, dans un commissariat et c’est à la suite de sa plainte qu’une enquête a été rouverte, qui est toujours en cours et qui doit se clôturer bientôt. L’enquête est secrète, mais il y a 46 ou 47 femmes qui sont allées raconter à la police et à la justice ce que leur avait fait Patrick Poivre d’Arvor et pourtant il est toujours en liberté et n’a aucun ennui. C’est ça que j’essaye d’expliquer, de comprendre."

Comment des dizaines et des dizaines de femmes peuvent dénoncer quelque chose et qu'on nous dit c’est parole contre parole. Mais il y a une parole contre plein de paroles et pourtant l’impunité continue.

Hélène Devynck, autrice de "L'impunité"

À ce jour, il y aurait près de 90 victimes de PPDA, mais toutes n'ont pas porté plainte. Une première série a été classée sans suite. Marie-Laure fait partie de la deuxième série. Ces accusations de viols et d'agressions sexuelles se sont étalées sur 35 ans. C'est peut-être ce caractère de la répétition qui pourrait faire que des poursuites soient engagées, c'est en tout cas ce qu'espère Hélène Devynck. "La question est de savoir comment cet homme a pu pendant des dizaines d'années répéter des agressions sexuelles et des viols sans qu'il ne lui arrive rien, et même une fois qu'on lui a parlé, il ne lui arrive toujours rien. Est-ce qu'on préfère quelques fois l'autorité à la vérité ?"

durée de la vidéo : 00h13mn00s
Marie-Laure Eude-Delattre, victime présumée de PPDA, invitée de l'émission Hauts Féminin ©France 3 Hauts-de-France

Retrouvez le témoignage complet de Marie-Laure Eude-Delattre ci-dessus et les autres épisodes de l'émission Hauts féminin sur la plateforme france.tv.

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