Samedi 21 novembre 2020 dans la soirée, Mohammed N. se baladait lorsqu'il a reçu un tir de LBD dans le flanc arrière droit. Deux mois plus tard, il attend toujours des réponses alors que son avocat parle d'un acte "gratuit". Deux enquêtes - judiciaire et administrative - ont été ouvertes.
Les faits remontent à la soirée du samedi 21 novembre 2020, et ont été révélés au grand public par Médiapart. Ce soir là, il est 21h20 lorsque Mohammed N., un Tourquennois de 43 ans, remplit son attestation sur son portable et quitte le domicile familial pour effectuer une balade. "J’allais simplement faire le tour du pâté de maison, raconte-t-il. Il me manquait 3000 pas pour atteindre les 10 000 pas du jour."
Une centaine de mètres plus loin, le père de quatre enfants recevra un tir de LBD, un lanceur de balles de défense, au niveau du flan arrière droit de la part d’une brigade de police qui intervenait pour des violences urbaines dans le quartier. Mohammed N. aimerait aujourd'hui avoir des explications sur ce qui s’est passé ce soir là. Une enquête judiciaire a été ouverte par le parquet de Lille, tandis qu’une enquête administrative a été confiée à la cellule déontologie de la Direction générale de la police nationale.
Que s’est-il passé le soir du 21 novembre 2020 à Tourcoing ?
Même si les faits remontent à quasiment deux mois, Mohammed N. raconte chaque seconde avec beaucoup de précision. Ce soir là, le Tourquennois se balade lorsqu’il est confronté à une équipe de policiers. "En même temps, il y avait un groupe de jeunes, pas loin du terrain, derrière moi. Ils envoyaient des feux d’artifice, ça venait dans ma direction", explique-t-il. Il s’est arrêté pour ne pas recevoir de projectiles. "J’ai juste entendu un policier qui m’a dit « dégage », et au moment où je me retournais pour avancer, j’ai reçu le tir sur le flan arrière droit." Il poursuit. "C’était un cauchemar pour moi. Je ne savais pas ce qui m’était arrivé mais je continuais à avancer jusqu’à chez moi, à environ 120 mètres."
"J’ai juste entendu un policier qui m’a dit « dégage », et au moment où je me retournais pour avancer, j’ai reçu le tir sur le flan arrière droit."
Une fois rentré chez lui, Mohammed a appelé le 17, police-secours. "J’ai expliqué ce qui m’était arrivé et ils m’ont dit de me rendre aux urgences." Sa femme prend alors ses clés de voiture, mais lorsque le couple ouvre la porte d’entrée de la maison, Mohammed N. et Samia N. tombent nez-à-nez avec la même brigade de policiers, croisée par le père de famille quelques minutes auparavant. "Là, ils m’ont dit : rentre chez toi sinon la prochaine elle sera dans ta gueule".
Apeuré, le couple est rentré et a attendu avant de pouvoir atteindre la voiture et se rendre aux urgences. L’hématome mesurait 22 centimètres de large, et Mohammed N. a reçu trois jours d’Interruption Temporaire de Travail (ITT).
"J'estime que ce tir (...) est gratuit"
Mohammed N. a porté plainte après avoir fait constater sa blessure, et a effectué un signalement à l’IGPN deux jours plus tard. "Pour moi, c’était comme une fiction, une incompréhension totale. Je n’arrêtais pas de me demander : mais qu’est ce que j’ai fait ?" se rappelle-t-il aujourd’hui. Il réclame désormais des explications sur ce qui s’est passé. "Avant ça, la police ne me faisait pas peur, assure Mohammed N. Je ne veux pas mettre tout le monde dans le même sac, mais depuis ce jour, je me méfie de la police."
"J’estime que ce tir est disproportionné, injustifié et j’ai même envie d’aller plus loin et de vous dire qu’il est gratuit."
Son avocat, maître Patrick Lambert, attend les conclusions des deux enquêtes. Mais il est formel. "J’estime que ce tir est disproportionné, injustifié et j’ai même envie d’aller plus loin et de vous dire qu’il est gratuit." Car un tir de LBD de la part d’un policier doit intervenir dans un cadre précis et, selon l’avocat, celui-ci n’a pas été respecté. "On est sur une violence, une agression injustifiée et disproportionnée. Il s’explique. Si les forces de police considéraient que Mohammed N. représentait un quelconque danger - ce qui est nullement avéré au cours de ce début d’enquête - il fallait lui sommer de quitter les lieux, de s’éloigner et éviter de lui tirer à un moment où il est quasiment de dos", précise Maitre Lambert.
Enfin, il revient également sur l’épisode qui s'est déroulé devant la porte de son client et lors duquel celui-ci explique avoir été menacé d’un nouveau tir de LBD. "On lui a intimé de réintégrer son domicile lorsque précisément il voulait le quitter pour être conduit par son épouse à l’hôpital et être pris en charge sur le plan médical parce que la lésion était encore importante."
Sollicitée, la Direction de la Sécurité publique n’a pas donnée suite à nos demandes d'interview. Le parquet de Lille confirme qu'une "enquête judiciaire est en cours." Il a par ailleurs indiqué que "dans un contexte de violences urbaines, alors que les policiers étaient déployés sur le voie publique, un fonctionnaire a fait usage d'un LBD", atteignant "un homme âgé d'une quarantaine d'années".