Le groupe Auchan Retail accélère son plan de réduction de surface de ses hypermarchés. La direction assure qu'il n'y aura pas de réduction de personnel, sans réussir à rassurer les syndicats. Dans les Hauts-de-France, certains magasins verront leur surface amputée de 25%.
Fini les rayons d’hypermarchés sans âme qui s’étalent à perte de vue sous des néons aveuglants : la mode est au commerce de proximité. C’est l’un des gros poissons du secteur de la grande distribution qui le dit : Auchan Retail. Plus encore que de le constater, le groupe a décidé d’accélérer son plan de réduction des surfaces de ses hypermarchés français, déjà lancé depuis quelques mois. Une stratégie comprise par les syndicats, mais accueillie avec une grande inquiétude.
Si ce plan est connu de la presse depuis déjà quelques mois, le chiffre avancé lundi 15 juillet par le média La Lettre ne manque pas de faire réagir. Selon les estimations du journal, confirmées par les syndicats, environ 4.000 emplois seraient supprimés dans toute la France, d’ici 2028.
Moins de m², moins de postes. Selon un document interne que La Lettre s'est procuré, 71 des 119 hypermarchés d'Auchan France vont voir leur superficie réduite entre 2025 et 2028. De quoi faire disparaître 4 000 postes selon les syndicats.https://t.co/6wdEzjr7mR
— LA LETTRE (@lalettre_fr) July 15, 2024
Force est de constater que les parts de marché d’Auchan s’étiolent d’année en année. Une pente dangereuse déjà empruntée par le groupe Casino ces dernières années,qui l'avait conduit à céder la quasi-totalité de son parc de magasins à la concurrence (dont Auchan Retail fait partie). L’une des raisons de ce passage à vide se trouve du côté de ses hypermarchés, trop grands et trop coûteux.
Ils font parfois près de 20.000 m2, tel celui de Noyelles-Godault dans le Pas-de-Calais, un temps sur le podium des plus grands supermarchés du monde. C'est bien plus que ses concurrents comme Leclerc ou Carrefour, qui n’enregistrent pas une telle perte de vitesse sur le marché de la grande distribution.
Jusqu'à -25% de surface à Noyelles, Englos ou Leers
Est-ce une fin de vie annoncée pour toutes les grandes surfaces ? Pas vraiment. L’objectif affiché par le groupe Auchan Retail est plutôt de ne pas dépasser les 8.000 m2 de surface pour ses hypermarchés : c'est le plan “ADN” détaillé le 3 juillet 2024 aux syndicats, lors d’un comité social et économique central, et qui passe par la réduction de la taille des magasins existants en rognant sur les rayons non alimentaires.
Selon nos informations, 78 hypermarchés sont concernés par ce plan, dont seize dans toute la région des Hauts-de-France. Au total, ce sont 202.000 m2 perdus pour la France entière. Pour les magasins situés à Noyelles-Godault (Pas-de-Calais), à Englos (Nord), et à Leers (Nord), la réduction de leur surface atteindrait même les - 25%. Les travaux devraient s'étaler de 2025 à 2028.
La zone commerciale Aushopping de Noyelles-Godault est pourtant la deuxième la plus fréquentée de France, avec quelque 29 millions de visiteurs comptabilisés entre juin 2021 et juin 2022, selon un classement établi par le Conseil National des Centres Commerciaux (CNCC).
Éric Drousart, délégué CFDT élu au comité central d’Auchan, le dit d’emblée : s’il comprend "les raisons économiques” qui poussent le groupe à faire ce plan “puisque le format d’hypermarché n’a plus le vent en poupe depuis plusieurs années”, il demeure très inquiet pour les emplois.
"Le conseil d'administration nous a assuré qu'il n'y aurait pas de réduction de personnel, mais on a tout de suite été interpellés. On sait qu'il y aura un impact puisqu’un tiers des magasins va parfois disparaître, c'est tout simplement mathématique", avance-t-il.
Dans les résultats annuels 2023 rendus publics le 22 février 2024, la direction assurait déjà "mettre en œuvre une adaptation du modèle organisationnel tout en maintenant [le] projet humain”. Contacté, le service communication d’Auchan n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations.
"Les conditions de travail sont de plus en plus difficiles"
Par quel tour de magie le groupe Auchan Retail espère-t-il ainsi diminuer “en moyenne de -25% [s]es surfaces de vente”, sans procéder à des licenciements ? Tout simplement en ne renouvelant pas des contrats saisonniers et de courte durée ou en ne remplaçant pas des départs à la retraite. Des propositions de nouveaux postes sont aussi prévues par le groupe, sous réserve que les vendeurs des rayons électroménager, librairie ou multimédia par exemple, acceptent de travailler dans l'alimentaire.
Pour Christophe Delay, délégué FO élu au comité central, la perte de salariés a même déjà commencé. "Les conditions de travail sont de plus en plus difficiles et il y a de plus en plus de départs... On a l'impression que c'est un peu voulu par la direction".
On a perdu 150 salariés en trois ans dans ma zone
Hervé Seneca, délégué syndical FO
Un dégraissage qu'a déjà constaté Hervé Seneca, délégué syndical FO pour la région du Valenciennois. "On a perdu 150 salariés en trois ans dans ma zone", révèle-t-il. Et cela ne risque pas de s'arranger avec le plan "ADN", qui prévoit de réduire la surface de l'hypermarché de Petite-Forêt (Nord), situé dans sa zone, d'au moins 4.000 m2. "Cela équivaut à 15 ou 16 personnes à temps plein", analyse le délégué syndical, "alors évidemment, on a peur de la casse sociale".
À Villeneuve d'Ascq (Nord) également, il est prévu de réduire le centre commercial Aushopping V2 d'un étage. Cela représenterait le reclassement ou le départ d'environ 150 salariés.
Les syndicats regrettent avant tout de ne servir que de "chambre d'enregistrement" au groupe de la grande distribution, sans véritable dialogue social. "Ils nous entendent mais ne nous écoutent pas", s'agace Christophe Delay, rejoint par Éric Drousart : “les salariés sont dans l’attente. Ils ne savent pas à quelle sauce ils vont être mangés”.