Des centaines d'agriculteurs se sont rassemblés dans les Hauts-de-France ce mercredi 24 janvier 2024, pour bloquer les grands axes. L'objectif de ces mobilisations massives : alerter sur la précarité d'un métier dont ils ne peuvent plus vivre. Portraits d'agriculteurs usés mais désespérément passionnés.
Près de Valenciennes, des tracteurs tapissent l'autoroute depuis le lever du jour. Pancartes au poing et mines renfrognées, agriculteurs et agricultrices sont entrés dans le dur de leur mobilisation ce mercredi 24 janvier 2024. Entre désolation et abattement, l'ire a finalement pris le pas sur le reste, surtout après le drame survenu mardi dans l'Ariège, lorsqu'une voiture a foncé dans un barrage de manifestants, ôtant la vie à une agricultrice.
Dans les Hauts-de-France, les agriculteurs sont sur le pied de guerre, bloquant les autoroutes principales et les ronds-points de la région, parfois depuis 8h30 du matin ou depuis mardi après-midi. Hausse des charges, concurrence étrangère déloyale ou encore perte de sens face à un labyrinthe administratif qui n'en finit pas, les éleveurs et cultivateurs de notre territoire traditionnellement agricole évoquent leurs conditions de vie "déplorables".
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Laisser "un meilleur métier" aux jeunes
Il est à peine 10 heures, mais déjà les automobilistes coincés dans les opérations escargot et les barrages non-filtrants font grise mine. "Ça commence à râler chez les automobilistes mais on tient bon." Alain Blanquart est producteur sur grande culture sur la commune d'Arques (Pas-de-Calais).
Comme ses collègues présents à Tilques ce mercredi matin, l'agriculteur bientôt retraité s'insurge contre l'augmentation du prix des charges, notamment énergétiques : "En tant que producteur de grandes cultures mon exploitation a besoin de beaucoup d'énergie pour tourner. Il me faut de l'électricité pour stocker les légumes, comme la pomme de terre, dans des frigos. Et ça, ça coûte une fortune."
Un souci économique auquel vient se greffer un tracas supplémentaire, celui de l'administratif. "On doit toujours prouver qu'on est blanc comme neige, alors que l'État en remet toujours une couche concernant l'alimentation pour nous mettre des bâtons dans les roues." Alain Blanquart déplore les accumulations de paperasse, dont les piles s'accumulent sur sa table chaque année un peu plus. Un dédale de documents jugé démesuré par le producteur, qui ne s'y retrouve plus.
On doit toujours prouver qu'on est blanc comme neige, alors que l'État en remet toujours une couche concernant l'alimentation pour nous mettre des bâtons dans les roues.
Alain Blanquart, agriculteur du Pas-de-Calais
"On doit toujours faire des papiers, rester traçables... C'est insupportable. Surtout qu'il y a toujours des problèmes dans les envois de documents. Ça prend un temps fou", assure le professionnel qui se mobilise afin de laisser "un meilleur métier" à la nouvelle génération d'agriculteurs, notamment à son fils qui reprendra l'exploitation familiale dans quatre ans, lorsqu'Alain partira définitivement à la retraite.
"Il faut leur préparer le terrain pour qu'ils travaillent dans de bonnes conditions et que le métier évolue vers le mieux."
Mettre ses rêves de côté
"J’ai toujours rêvé de m’installer. Je ne dis pas que c’est un rêve que j’ai laissé tomber, mais aujourd’hui ça va être de plus en plus compliqué." Fabien Frebourg tente de se rassurer. Le jeune homme est agriculteur salarié dans une exploitation agricole de Neuville-Vault, dans l'Oise. Toujours sous la tutelle de son patron, l'éleveur ambitieux se verrait bien devenir responsable à son tour. Mais pour l'instant la conjoncture économique qui plane au-dessus de la profession ne lui permet pas d'envisager la chose.
Fabien s'est d'ailleurs déjà frotté à la réalité de l'entrepreneuriat, puisqu'il est actuellement agriculteur sur une petite surface. "Je reste salarié à côté car si demain je me mets à mon compte et que je m’installe, je vais avoir les contraintes liées au métier, sans pour autant avoir le revenu qui suit."
Car selon lui, mais aussi selon tous les autres membres de la profession, les agriculteurs ne peuvent jamais prévoir leurs revenus. "Les prix ont du mal à se tenir, on nous retire des produits phytosanitaires… Ça monte, ça baisse, y a rien de stable, on ne peut pas se projeter", déplore-t-il. Alors pour l'instant le jeune homme conserve son double statut, afin de s'assurer un salaire décent, tout en continuant d'exercer sa passion.
Je reste salarié à côté car si demain je me mets à mon compte et que je m’installe, je vais avoir les contraintes liées au métier, sans pour autant avoir le revenu qui suit.
Fabien Frebourg, salarié agriculteur
"C’est une accumulation de choses qui provoque le ras-le-bol d'aujourd'hui. Malgré la passion, l’avenir est inquiétant."
Cumuler les emplois
L'inquiétude est un sentiment devenu quotidien pour les producteurs de la région. Chaque matin, c'est avec la boule au ventre que se lève Loïc Ramez, agriculteur du Nord. Pourtant l'éleveur de 44 ans, qui possède un cheptel de vaches de race charolaise, a choisi de se tourner vers ce métier en cours de route. Avant de reprendre l'exploitation de son père, Loïc possédait une entreprise d'élagage d'espaces verts.
Une entreprise qui s'est avérée être une véritable épine dans le pied de l'agriculteur, alors qu'il cherchait à s'implanter. "Pour m'installer ç'a été le parcours du combattant. On m'avait refusé le cumul d'entreprises, donc j'ai dû fermer ma propre boîte pour pouvoir exercer cette nouvelle profession." Or, le père de famille explique qu'il souhaitait conserver ses deux emplois, "pour éviter de vivoter".
D'ailleurs, une fois installé, Loïc Ramez n'a pas eu d'autre choix que de renouer avec les espaces verts, pour s'assurer une véritable source de revenus : "Vu la conjoncture actuelle, si je n'avais que le métier d'agriculteur pour vivre je galèrerais, j'ai dû relancer mon ancienne entreprise. Je suis divorcé, j'ai trois filles à ma charge, je dois payer leurs études, leur logement à Lille... Je dois assurer une certaine qualité de vie pour elles."
Je ne veux pas la voir malheureuse, qu'elle cumule comme moi pour pouvoir vivre. Pourtant on ne cherche même pas à rouler sur l'or... Juste à pouvoir vivre de notre métier.
Loïc Ramez, éleveur dans le Nord
L'agriculteur partage donc son temps de travail en deux parts égales : 50% dédiés à l'élevage, 50% à l'élagage. Un métier qu'il apprécie pour le contact humain qu'il induit, mais dont il aimerait cependant ne plus dépendre. "Je ne me pose même pas la question d'arrêter avec les espaces verts, ce serait beaucoup trop d'inquiétudes financièrement."
Inquiétude, toujours inquiétude. Mais surtout, Loïc s'inquiète pour sa cadette, qui vient tout juste de s'engager dans des études en agriculture. "Je ne veux pas la voir malheureuse, qu'elle cumule comme moi pour pouvoir vivre. Pourtant on ne cherche pas à rouler sur l'or... Juste à pouvoir vivre de notre métier comme tout le monde."