Le site d'investigation locale Médiacités a enquêté sur le maire Horizons de Valenciennes, visé par plusieurs plaintes pour trafic d'influence et subornation de témoins. Nous avons interviewé Jacques Trentesaux, auteur des enquêtes.
Il y a tout juste un mois, Médiacités publiait une première enquête sur le maire Horizons de Valenciennes, Laurent Degallaix. Le site d’investigation locale révélait que le premier édile de la ville de 43 000 habitants était visé par une plainte pour "trafic d’influence", plainte déposée en octobre 2022 par une jeune femme ancienne intime du maire de 2016 à 2019.
Agée de 33 ans, Florence* (prénom d’emprunt utilisé par Médiacités) affirme que Laurent Degallaix aurait abusé de son pouvoir pour lui trouver un emploi, SMS et enregistrement audio à l’appui. Dans cette enquête étayée où plusieurs protagonistes témoignent – pour la plupart anonymement – le maire n’a pas souhaité s’exprimer.
Le 24 avril dernier, un second volet de l’enquête de Médiacités a été publié, relatant une nouvelle plainte pour "subornation de témoin" déposée par Florence et l'un de ses anciens collègues à l’encontre du maire de Valenciennes. La jeune femme estime que l’élu aurait fait pression sur Patrick C. pour qu’elle abandonne toute action en justice.
Pour l’heure, il n'a été procédé à aucune mise en examen dans ces deux dossiers. Laurent Degallaix est présumé innocent des chefs de trafic d’influence et de subornation de témoin. Selon le code pénal, le trafic d’influence est puni d’un maximum de 10 années d'emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. La subornation de témoin, autre délit, est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Nous avons interrogé Jacques Trentesaux, auteur des deux enquêtes et directeur de la rédaction de Médiacités. Il nous raconte les investigations qu’il a menées, les pressions qu’il indique avoir reçues et les possibles suites judiciaires qui pèsent sur le maire de Valenciennes.
France 3 Hauts-de-France : Quand et comment s’est déroulée l’enquête ?
Jacques Trentesaux : "C’est très ancien et c’est important à dire, parce que tout le monde sur place est persuadé que c’est un complot politique. C’est une ville où il y a beaucoup d’animosité, beaucoup de règlements de compte et tout est vu à l’aune de ce climat politique. Mais en l’occurrence, le dossier n’est pas politique, c’est un dossier social.
Je vois les protagonistes il y a plus d’un an. Ils me racontent beaucoup de choses dans plein de domaines différents, des dossiers qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. Je leur dis : "tant qu’il n’y a pas d’action en justice, tant qu’il n’y a pas d’éléments tangibles, c’est parole contre parole et je ne peux pas faire grand-chose".
A partir du moment où j’apprends qu’une plainte pour trafic d’influence est déposée, c’est un fait tangible. C’est comme ça que les choses s’enclenchent et que je publie le premier papier. Pour rappel, la première plainte remonte au 17 octobre 2022, mais je ne l’apprends que tardivement".
Y a-t-il une part de vengeance de Florence, la jeune femme qui a porté plainte contre Laurent Degallaix ?
"Il y a une part de vengeance, c’est certain", indique Jacques Trentesaux. "Mais cette part de vengeance est aussi à mettre en regard avec l’envie que des choses qui ne devraient pas se passer, s’arrêtent.
Là où c’est complexe pour le public, c’est qu’elle en a profité et qu’elle n’en profite plus. Mais elle est dans une quête de retour à une sorte de sincérité et c’est pour ça qu’elle porte plainte. Elle sait que ce qui s’est passé avec elle se passe avec d’autres personnes, et elle trouve que ce n’est pas normal".
Le matin même de la parution de la première enquête, un proche du maire a tenté de vous dissuader de publier l’article.
"Je prends connaissance de la plainte, je réécoute les protagonistes et je fais le tour de tout le monde, je fais jouer le contradictoire. J’en arrive à solliciter Laurent Degallaix, lui expliquant que j’ai besoin de le joindre après avoir pris connaissance qu’une plainte existait contre lui. Je n’ai pas de réponse.
J'en arrive à solliciter Laurent Degallaix (...). Je n'ai pas de réponse.
Jacques Trentesaux, auteur des deux enquêtes de Médiacités
J’appelle donc son directeur de cabinet, qui découvre l’existence de la plainte. Ça veut dire que Laurent Degallaix ne lui en a pas parlé, ni avant ni après mon appel. Nous sommes en fin de semaine, et je lui dis : "vous avez jusqu’à lundi midi si vous voulez vous exprimer".
Le lundi matin, je reçois un coup de fil d'un proche du maire. Il me dit : "Jacques, vous allez raconter des conneries parce que vous ne savez pas tout". Il m’explique qu’il va me négocier un entretien avec le maire pour qu’il me raconte tout et me demande d’ajourner ma publication (Un entretien avec Laurent Degallaix est proposé en fin de semanine, ndlr). Mais étant donné que je dispose d'assez d’informations pour maintenir mon calendrier, je refuse et je publie l’article comme prévu".
Le maire ne vous a depuis plus jamais répondu.
"Le maire est ambivalent dans sa communication. Il laisse entendre qu’il est prêt à parler pouvu que l’article ne paraisse pas. Il s’est passé la même chose pour la deuxième plainte, pas avec moi. Selon mes informations, il a envoyé des émissaires en espérant que les deux personnes retirent leur plainte ou n’aillent pas au bout de la procédure.
C’est un maire qui est très particulier, très clivant. Il est énergique, il laboure le terrain mais il concentre le pouvoir sur lui, veille à n’avoir aucun contrepouvoir. Les conseils municipaux sont quasiment des chambres d’enregistrement. Il me semble que beaucoup d’élus sont passifs, et que seuls quelques-uns comptent.
Sa manière directe, brutale et son comportement que j’appelle sans limite suscitent des aigreurs, des jalousies mais aussi des protestations, d’où cette pluie de plaintes. Il y en a encore d’autres, moins importantes, que je n’ai pas mentionné dans les articles pour ne pas perdre les lecteurs".
Quelles sont les suites judiciaires possibles désormais ?
"Les juges ont deux possibilités. Quand la plainte est déposée avec constitution de partie civile, cela permet l'ouverture d'une instruction judiciaire confiée à un juge d'instruction. Une plainte simple déclenche quant à elle une enquête dite préliminaire qui peut être classée sans suite par le procureur sans que cela passe par un juge d'instruction.
Dans la plainte 1 (pour trafic d’influence, ndlr), les auditions ont commencé et la logique veut que le dernier auditionné soit Laurent Degallaix. Une fois que l’enquête préliminaire par la brigade financière de la police judiciaire est terminée, l’officier de police judiciaire rend son rapport au procureur. Aux vues des éléments recueillis, le procureur décide soit de classer, soit de renvoyer devant un tribunal. En l’occurrence pour favoritisme en ce qui concerne l’emploi de la jeune femme".
En préambule de la seconde enquête, vous évoquez le "faible retentissement médiatique" qui a suivi vos révélations. Comment l’expliquez-vous ?
"Je l’explique parce que c’est une affaire très sensible qui touche à la vie privée. La presse, en général, est réticente à s’aventurer sur la vie privée parce que ça peut nous être reproché.
La deuxième raison, c’est que c’est quelqu’un de puissant, voir d’omnipotent à Valenciennes : c’est le président de la métropole, le maire, un ancien député, il est maintenant conseiller départemental en plus.
Les relations avec la presse sont compliquées et si les gens s’exposent, ils encourent des représailles. L’article a été très lu, énormément partagé mais il n’est que très peu commenté car en parler, c’est prendre un risque".
D’où l’importance de l’investigation à l’échelle locale.
"Vous prêchez un convaincu. C’est compliqué pour les journalistes qui côtoient Laurent Degallaix régulièrement car si les relations sont rompues avec lui, c’est pour eux très difficile de continuer à travailler.
Moi ça me gêne pas qu’il soit fâché avec moi et avec Médiacités. Je n’ai pas d’animosité particulière vis-à-vis de lui et je peux continuer à travailler même s’il ne me répond pas. Mais pour le journaliste local qui doit écrire tous les jours des faits relatifs à l’activité de la mairie ou de la métropole, c’est compliqué. Alors, vive l’investigation locale et vive le pluralisme !"
Contacté par France 3 Hauts-de-France, le maire de Valenciennes Laurent Degallaix n'a pas répondu à nos sollicitations à l'heure où nous publions cet article.