Les classements sans suite sont le lot quotidien des plaignantes en France puisque 80% des dossiers n'iront pas jusqu'à un procès. Il y a des précautions à prendre en amont et pendant le dépôt de plainte. On fait le point avec deux avocates.
À deux mois de la fin de l'année 2023, on comptabilise neuf féminicides dans les Hauts-de-France, selon le collectif Féminicides par compagnons ou ex.
Comment éviter d’en arriver là ? Comment faire pour que les plaintes ne finissent pas classées sans suite comme dans 80 % des dossiers ? Selon le Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes, seulement 1 % des viols aboutissent à une condamnation pénale.
Betty Rygielski, avocate et membre du collectif "Nous toutes", à Valenciennes, pense que le manque de formations des avocats, des juges, des agents de police, des assistants sociaux, des psychologues est l'une des raisons principales des nombreux classements sans suite : "Il faut absolument que chaque personne soit formée aux violences, car une fois que l'on a compris le mécanisme systémique des violences faites aux femmes, cela devient une évidence. C'est comme une panne de voiture, une fois qu'on a compris comment on détecte une panne de voiture, on a compris où il faut aller chercher. C'est pareil pour les violences. Si vous avez compris les mécanismes des violences, vous savez quelle question vous pouvez poser et comment détecter les violences."
Pour Violaine de Filippis-Abate, avocate engagée pour les droits des femmes, "Le grand public ne le sait pas, mais dans la majorité des classements sans suite, il n'y a pas eu d'enquête assez poussée faute de moyens et de temps. La loi devrait obliger les parquets à ne pas classer sans suite tant qu’il n’y a pas un minimum d’investigations comme notamment les auditions des concernés, l'enquête d'environnement incluant les proches et des recherches dans les téléphones."
Les précautions à prendre pour porter plainte
Dans le livre Classées sans suite de l'avocate Violaine De Filippis-Abate, on apprend des informations utiles pour se préparer au mieux au passage difficile du dépôt de plainte dans un commissariat ou gendarmerie.
- Le droit d’être assistée par un avocat ou une association ou un tiers lors du dépôt de plainte. L’avocat peut intervenir si jamais le policier sort du cadre.
- Déposer plainte par courrier si l'on se sent trop fragile pour aller au commissariat ou en gendarmerie. (Bien que cela n'évite pas d'être auditionnée au poste ultérieurement.)
- Il existe un code couleur pour éviter de parler devant tout le monde du sujet de sa venue au commissariat ou en gendarmerie. À l’interphone, à l’accueil, si vous prononcez le mot "Orange", l’agent est censé mettre en place un protocole spécifique d'accueil qui peut inclure de vous diriger vers une salle d’attente dédiée aux victimes de violences faites aux femmes.
- Si votre plainte est classée, vous pouvez contester avec un courrier adressé au doyen des juges d'instruction. D’autres recours sont possibles comme en cas de délit (et non pour les crimes comme le viol) faire comparaître l’agresseur par voie de citation directe, en réunissant toutes les preuves par écrit. Il va sans dire qu’être accompagnée par un avocat semble nécessaire.
Les preuves à conserver
- Il ne faut pas effacer les messages présents dans son téléphone. Violaine De Filippis-Abate explique : "Certaines femmes effacent des messages ou des photos car c’est souvent difficile psychologiquement de conserver ce genre de preuves. Ces éléments sont toutefois utiles en cas de plainte."
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Vous pouvez aussi enregistrer les vocaux à l’insu de la personne et les utiliser comme preuve en cas de violences à votre encontre. "Dans la procédure pénale, ce mode de preuves est admis, à l’inverse de la procédure civile" précise l'avocate.
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Il faut garder les éventuels vêtements souillés par les violences et si vous vous en sentez capable, l’idéal est d’aller porter plainte tout de suite après.
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Vous pouvez télécharger l’application Sorority. Quand vous appuyez dessus, cela envoie un message d’alerte aux personnes référencées et vérifiées par l’application qui peuvent se déplacer. En cas de plainte, cela peut permettre de retrouver des témoins.
Les solutions à long terme
Nous avons demandé les solutions à envisager de manière sérieuse pour sortir de l'engrenage des violences faites aux femmes aux deux avocates spécialisées dans les dossiers de violences.
Betty Rygielski : "Au Canada, c'est au suspect de prouver qu'il y a eu consentement alors qu'en France, c'est à la plaignante de justifier qu'il n'y a pas eu consentement. Il faut que l'on revoie en France toute notre manière d'aborder les violences faites aux femmes. Il y a du progrès concernant les dépôts de plainte que l'on peut réaliser directement dans certains hôpitaux des Hauts-de-France lorsque l'on vient faire constater les traces de violences."
Violaine de Filippis-Abate : "Il faudrait aussi encourager la création de juridictions spécialisées aux violences intrafamiliales comme en Espagne. Dans un même bâtiment, on peut déposer plainte, voir un médecin, dialoguer avec une assistante sociale ou/et une psychologue ; et élargir ce modèle à toutes les violences faites aux femmes."
L'Espagne a vu le nombre de féminicides baisser de 24 % et compte en moyenne 30 féminicides par an. Malgré le Grenelle des violences faites aux femmes il y a quatre ans maintenant, la France compte environ 120 féminicides chaque année. Depuis le début de l'année 2023, on compte 84 féminicides en France.