Alors que les préfectures du Nord et du Pas-de-Calais ont prolongé, via un arrêté, les périodes de chasse de certaines espèces pour compenser la période de confinement, des associations dénoncent une décision non-concertée.
Délirant, incompréhensible… les associations de protection de la nature n'ont pas d'adjectifs assez forts pour qualifier ces décisions. Pierre Rigaux, naturaliste et militant anti-chasse, a été le premier à donner l’alerte sur les réseaux sociaux : "prolongation de la chasse pour écouler la production de gibier : dites non !" Le message est clair. Lors d’une année "classique" - comprenez une année sans confinement - la chasse au petit gibier comme le lièvre, le faisan ou la perdrix est stoppée en décembre ou en janvier selon les départements, puisque ce sont les préfets, via des arrêtés, qui fixent les dates d’ouverture et de clôture de la chasse sur leurs territoires.
Par exemple, via un arrêté publié par le préfet du Nord le 5 juin 2020, la chasse est ouverte dans le département du 20 septembre 2020 au 28 février 2021. Les espèces pouvant être chassées sont ensuite listées et des dates spécifiques de chasse sont attribuées : les cervidés peuvent être chassés pendant toute la période d’ouverture de chasse tandis que le lièvre ne peut par exemple être chassé, selon des zones définies, que du 20 septembre au 6 décembre.
La chasse au petit gibier stoppée pendant le confinement de novembre
Or, le confinement du 30 octobre au 28 novembre interdisait la chasse en général pendant cette période, même si le ministère de la transition écologique avait autorisé - au grand damn des associations de protection animale qui avaient attaqué en justice cette décision, en vain - la chasse localisée "afin d’éviter les dégâts aux cultures et forêts dus à la prolifération du grand gibier" au cas par cas. La chasse au petit gibier a donc été stoppée pendant tout le mois de novembre.C’est très précisément sur cet aspect que les fédérations départementales de chasseurs du Nord et du Pas-de-Calais ont proposé aux préfectures d’étendre les périodes autorisées de chasse pour certaines espèces. Ainsi, dans le Nord, l’arrêté modifié concerne la chasse aux lièvres étendue jusqu’au 31 décembre. Dans le Pas-de-Calais, quatre espèces sont concernées par la prolongation de la chasse : le lapin de Garenne et le faisan commun jusqu’au 20 février 2021, la perdrix grise jusqu’au 13 décembre et le lièvre brun jusqu’au 27 décembre.Aucune consultation publique
D’ordinaire, décider d’allonger la période de chasse nécessite d’organiser une consultation publique. Dans le département des Deux-Sèvres par exemple, le préfet organise actuellement une consultation publique de 8 jours pour permettre à chacun de se prononcer sur un report des dates de clôture de la chasse. Idem dans l’Eure, où la préfecture stipule que "conformément à la loi du 27 décembre 2012 (…) donnant droit à toute personne de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement", une consultation publique est organisée pour recueillir tous les avis avant de permettre la prolongation de la période de chasse du lièvre.Mais dans le Nord comme dans le Pas-de-Calais, les préfectures n’ont pas organisé de consultation publique, justifiant cette décision par "le caractère d’urgence" afin d’assurer "la protection de l’environnement ne permettant pas une consultation du public."
"La prolongation de la chasse du lapin, du faisan, du lièvre et de la perdrix grise revêt un caractère d'urgence justifié par la protection de l'environnement ne permettant pas une consultation du public."
Willy Schraen rappelle que dans le Pas-de-Calais notamment, "il y a eu une concertation de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage le 2 décembre dernier qui réunissait chasseurs, écolos, parcs naturels, état..." Insuffisant pour les associations, qui fustigent cette décision.
Dégâts sur les cultures ?
Il faut donc se demander pourquoi la période autorisée de chasse de certaines espèces a été prolongée. Dans le Nord par exemple, la préfecture avance les "dégâts occasionnés par la population de lièvres existante et la nécessité de réguler ces populations pour prévenir de nouveaux dégâts aux cultures." Un argument repris également par la préfecture du Pas-de-Calais, affirmant que "l'absence de chasse (...) engendre un risque de dégâts significatifs aux productions agricoles et forestières." Ainsi, les autorités expliquent que les quotas d'animaux tués fixés et non-réalisés pendant le confinement sont simplement décalés dans le temps pour être réalisés aujourd'hui.Une position partagée par le patron des chasseurs du département du Pas-de-Calais, Willy Schraen. "Le mois de novembre est un mois de chasse important qui n’a pas pu être réalisé, on était donc face à un double problème. Il s'explique. Effectivement, il y a les chasseurs qui ont payé un permis de chasse qui veulent chasser mais c’est pas ce qui anime nos décisions. On a dans beaucoup d’endroits du Pas-de-Calais où on a beaucoup d’animaux. Il faut quand même les chasser et les tuer car sinon c’est l’équilibre qui est bouleversé. Il prend pour exemple les lièvres. On s’est rendus compte qu’on était à la moitié des prélèvements pour le lièvre." Il l'assure : dans son département, "il y a toute une série de communes qui ne peuvent plus chasser parce qu’ils ont déjà utilisé leur nombre de jour.""Il n’y a aucun laxisme la dedans et ça n'est pas l’ouverture à n’importe quoi en octroyant des jours de chasse en plus."
Absurdité pour les associations
Ce que réfutent les associations de protection animale, fustigeant l'argument de la "protection de l'environnement" avancé par les préfectures. "On en arrive à un degré d'absurdité totale où les mots n'ont plus aucun sens", s'indigne le naturaliste Pierre Rigaux. "Pour la chasse des lièvres (dont la plupart ne sont pas issus d'élevage), les préfets invoquent des dégâts aux cultures. Pour la chasse des faisans/perdrix, le seul argument invoqué est l'écoulement des stocks d'élevage."Contrairement à l'arrêté du préfet du Pas-de-Calais "non détaillé" selon lui, prolongeant l'autorisation de la chasse aux faisans et aux perdrix, d'autres préfets avancent non pas une nécessité de protection de l'environnement mais plutôt les difficultés économiques des établissements d'élevage de gibier destiné à la chasse. Ainsi, le préfet du Cher rappelle les "difficultés économiques de cinq établissements d’élevage de petit gibier du département qui n’ont pas pu écouler leur production pendant cette période : 30 000 faisans et 10 000 perdrix n’ont pas pu être vendus à la période habituelle (...) une possibilité de chasse du faisan au-delà des dates locales habituelles offrira aux éleveurs de petit gibier des possibilités supplémentaires afin d’écouler leur production." Pierre Rigaux explique que ce prolongement est en réalité mis en place "pour écouler la production du gibier d'élevage qui n'a pas pu être lâché pendant le confinement."