"J'ai pensé, par moments, à arrêter de vivre" : la détresse sociale et morale des étudiants

Epuisés moralement, les étudiants de la région témoignent de leur situation difficile depuis la fermeture des universités et des lieux de sociabilité.

"J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie." Cette phrase, de l'écrivain Paul Nizan, trouve aujourd'hui un écho particulier chez les étudiants de la génération Covid-19. Privés de cours à la faculté, de sorties entre amis et des plaisirs de la vie, les étudiants sont réduits à un silence qui commence paradoxalement à faire du bruit.

Les signaux d'alerte commencent à retentir. Selon une étude de l’observatoire de la vie étudiante réalisée juste après le premier confinement du printemps, la moitié des étudiants interrogés disaient avoir souffert de solitude et d’isolement (51%). 

Je n'avais plus envie de rien, je me levais avec une boule au ventre. J'ai beaucoup pleuré car j'avais l'impression d'être toute seule. J'ai pensé à abandonner les cours et également, par moments, à arrêter de vivre.

Laurine, étudiante.

Laurine, qui a travaillé tout l'été pour se payer son appartement, témoigne de sa récente traversée du désert : "Je n'avais plus envie de rien, je me levais avec une boule au ventre. J'ai beaucoup pleuré car j'avais l'impression d'être toute seule. J'ai pensé à abandonner les cours et également, par moments, à arrêter de vivre".

Elle met en mots ce que nombre de ses camarades de visio ont, à un moment donné, ressenti depuis l'épidémie de coronavirus. Les cours à distance les empêchent de tisser des liens entre eux. "Je n'ai pas l'impression d'être une étudiante comme les autres car on est déjà en janvier, je n'ai toujours pas de copines et je n'ai toujours pas croisé mes professeurs", regrette Laurine.

► Cette enquête réalisée par Myriam Schelcher, Marie-Noëlle Grimaldi, Marc Graff, Jérôme Dujardin, Richard Gellée et Emilien Vanrenterghem sera diffusée dans l’émission "Enquêtes de région", consacrée à la santé mentale, le mercredi 10 février aux alentours de 23h, sur France 3 Nord Pas-de-Calais et Picardie.

A l'université de Lille, quatre psychologues pour 70 000 étudiants

En novembre, l'université de Lille a activé une adresse mail pour essayer de repérer les situations les plus critiques. Des milliers de messages lui sont parvenus. "Je n'ai jamais vu autant d'étudiants et d'étudiantes nous faire part de leur désespoir complet. Ils ne trouvent plus sens à la vie", s'inquiète Sandrine Rousseau, vice-présidente de l'université de Lille, chargée de la vie étudiante.

Le profil de ceux qui appellent à l'aide a changé : "Nous avons en face de nous une nouvelle catégorie d'étudiants qui ne va pas bien, ceux qui n'ont pas de difficulté sociale particulière", ajoute Sandrine Rousseau, qui conclut : "ceux qui m'inquiètent sont ceux qui décrochent sans nous écrire".

Pour sonder le moral des troupes, d'autres dispositif ont été mis en place. Le Crous a nommé des référents dans les cités U pour faire émerger les besoins des étudiants et créer du lien social. Aussi, ils peuvent demander de l'aide aux centres de santé répartis sur les campus. Mais seulement quatre psychologues sont à l'écoute pour les 70 000 étudiants de l'université de Lille. Symptôme de l'époque, les consultations peuvent aussi se dérouler en visio.

Nous avons en face de nous une nouvelle catégorie d'étudiants qui ne va pas bien, ceux qui n'ont pas de difficulté sociale particulière.

Sandrine Rousseau, vice-présidente de l'Université de Lille, chargée de la vie étudiante.

Pour illustrer le mal-être étudiant, les chiffres ne sont pas légion. Il n'existe aujourd'hui pas d'étude d'envergure sur le suicide ou les tentatives de suicide des étudiants à cause de la crise sanitaire, même si des faits divers émaillent l'actualité, ici à Lyon, là à Montpellier ou en Nouvelle-Calédonie.

Selon une enquête menée par l’Université de Picardie Jules Verne auprès de plus de 3 000 étudiants, 72% d'entre eux sont considérés en détresse psychologique et 19% déclarent avoir eu des idées suicidaires.

Au CHU de Lille, les admissions en psychiatrie augmentent chez les jeunes. "Ce que l'on voit dans cette catégorie de population récemment c'est l'effet d'usure, explique Charles-Edouard Notredame, psychiatre de l'enfant et de l'adolescent à l'Hôpital Fontan. Le stress constant et le peu de perspectives épuisent les ressources en continu".

Depuis la mi-novembre à Lille, Nightline et ses bénévoles, des étudiants, s'attachent à écouter les maux des jeunes. 12 % des appelants évoquent des pensées suicidaires. Mais comme les conversations restent anonymes, le champ d'aide des bénévoles reste limité. Il faut que l'étudiant en détresse exprime clairement qu'il demande de l'aide pour pouvoir lever l'anonymat et alerter des secours.

Ce qui me manque dans la vie c'est de l'amour, des amis, du soleil, des passions, bref faire des choses que l'on aime.

Charan, étudiant.

Ces dispositifs d'aide, quoi qu'indispensables, ne remplacent pas la vie étudiante habituelle. "Je n'ai pas de malheurs mais pas de bonheurs non plus", résume Charan, étudiant en première année d'éco-gestion. Sa motivation diminue au fil des jours, entamée par un avenir flou : "La question « est-ce que l'on va travailler dans ce qui nous plaît ? » se transforme en « est-ce que l'on va travailler tout court ? »".

Son souhait premier est de ne pas décevoir son père. Le restaurant de celui-ci tourne au ralenti depuis presque un an. Il a perdu plus de la moitié de son chiffre d'affaires. Les finances familiales sont serrées. Le jeune homme continue de rêver et fait le bilan : "Ce qui me manque dans la vie c'est de l'amour, des amis, du soleil, des passions, bref, faire des choses que l'on aime".

Face à ce désarroi, le gouvernement a annoncé le retour des étudiants un jour par semaine. Le Crous, lui, met en place la vente de repas à 1 euro pour tous les étudiants, boursiers ou non.

 

Les numéros utiles pour les étudiants
  • Pour connaître les dispositifs d'aide et d'accompagnement de l’université de Lille, rendez-vous sur ce lien.
  • Une assistance individualisée est apportée 7jrs/7 à : solidarite@univ-lille.fr. 
  • Les numéros et adresses utiles du Crous pour l’ensemble des universités du Nord et du Pas-de-Calais sont disponibles ici.
  • L’association Nightline, propose une écoute gratuite, bienveillante et anonyme de 21h à 2h30 sur son site internet ou par téléphone au 03 74 21 11 11.
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