"C'est pire qu'après Sangatte": si la justice leur a donné raison mercredi sur la distribution des repas, les associations d'aide aux migrants s'inquiètent d'une pression croissante pour empêcher la reconstitution d'un campement à Calais, qui pèse sur leurs activités quotidiennes.
Il est 17H30 et, comme tous les jours, l'Auberge des migrants et le Secours catholique installent tables et faitouts sur un coin de trottoir, à l'orée de la zone portuaire. Les cars de CRS sont absents: ce mercredi, le tribunal administratif de Lille a suspendu un arrêté municipal interdisant les rassemblements, et qui entravait les distributions de repas.
Très vite les migrants forment une file pour recevoir les barquettes emplies de ragout. Pour les associations, ce répit est une bonne nouvelle. "On était obligés de bouger en fonction de la police", explique François Guennoc de l'Auberge des migrants, qui déplore "beaucoup de contrôles, une menace, une épée de Damoclès" sur les activités de l'association. L'Auberge s'est ainsi vu enjoindre la semaine dernière de mettre aux normes la cuisine où elle prépare des centaines de repas chaque jour. Il y en a pour 120.000 euros, et "on prend ça comme une pression supplémentaire avec un risque de fermeture" explique le bénévole.
Au Secours catholique, c'est le bras de fer avec la mairie qui passe mal. "On a eu des CRS devant les douches. Le Secours catholique ! On a rarement eu une pression policière aussi forte", se désole Vincent De Coninck, qui l'assure: "C'est l'enfer, pire qu'a l'époque de la "Jungle"".
Sangatte
Soucieux de ne pas recréer "un point de fixation", le gouvernement exclut en effet l'ouverture de structures d'accueil à Calais. "Nous mettons tous les moyens de prise en charge mais en même temps d'éloignement du Calaisis", avait assuré début mars le ministre de l'Intérieur d'alors, Bruno Le Roux. Mais pour ces associatifs engagés de longue date auprès des migrants, le vide ainsi entretenu ravive les mauvais souvenirs de Sangatte. "Après le démantèlement (en 2002, NDLR) c'était un peu comme ça", soupire M. De Coninck, qui n'attend pas grand chose d'ici les élections. "Le gouvernement veut juste refiler le dossier aux suivants".Même son de cloche du côté de l'association Salam: "On se retrouve comme après 2002", témoigne entre deux maraudes Adèle (le prénom a été changé), qui redoute "qu'au printemps ce soit ingérable", avec des arrivées plus importantes. En l'absence de centre d'accueil, les migrants dorment dans les bois, près des parkings, et beaucoup de ceux rencontrés témoignent de pressions policières. Le Défenseur des droits Jacques Toubon lui même s'est ému du "niveau inédit" en "plusieurs décennies" atteint par la pression sur l'assistance aux migrants. Avec, dans des observations connues mercredi, une mise en cause sévère des pouvoirs publics qui "ne se contentent plus de ne pas mettre en oeuvre des dispositifs suffisamment protecteurs et respectueux de la dignité humaine" mais "interdisent désormais à la société civile de pallier leurs propres défaillances".
Face à cette situation, la maire de Calais se défend de toute inhumanité et assure "ne pas vouloir reproduire les conditions qui ont amené à tellement de drame humain" depuis 2015. Mais "on ne peut pas demander aux Calaisiens en permanence de supporter la pression des associations qui instrumentalisent les migrants", assure-t-elle.
Sur le terrain, on encaisse. "Je suis fatiguée par moments", explique Dominique du Secours catholique. Mais "ça ne me décourage pas. On n'a pas le droit de baisser les bras". Même volonté de "rendre un peu de ce que j'ai eu" chez Mary, une Britannique venue quelques jours éplucher oignons et carottes par paquets de 10 kilos à l'Auberge des migrants. "C'est lourd, c'est difficile a vivre", résume Vincent de Coninck. Mais il l'assure: "on ne va rien lâcher".