À Laversines, dans l'Oise, le crash d'un bombardier de la Royal Air force dans la nuit du 4 au 5 juillet 1944 ne laissera que deux survivants parmi l'équipage. Le fils de l'un d'eux est venu sur les lieux et a récupéré une montre appartenant à son père, que les recherches d'une association locale ont permis de retrouver.
Presque 80 ans après, Mike Wainwright découvre enfin le lieu où le Lancaster de la Royal Air Force dans lequel son père Jack occupait le poste de bombardier, s'est écrasé en juillet 1944 : un champ à Laversines, dans l'Oise, où pousse un peuplier à l'endroit exact du crash.
Si son père, alors âgé de 20 ans, et un autre membre d'équipage ont survécu. Les six autres occupants du Lancaster sont morts.
Une montre restée en France 80 ans
Se retrouver à Laversines n'est pas la seule raison qui a poussé Mike à faire le voyage depuis l'Angleterre : la montre que son père portait dans son uniforme lui est également rendue, à peine ébréchée.
"C'est très émouvant pour moi parce que c'est une chose que mon père avait avec lui et qui a fini dans ce champ quand l'avion s'est écrasé. La montre avait disparu pendant 80 ans, explique-t-il en la tenant précieusement dans sa main. Je rentre chez moi avec cette montre et c'est un moment particulier pour moi. Je suis très ému, parce que c'était aussi important pour moi de voir où mon père s'est écrasé. Lui et seul un autre membre de l’équipage ont survécu. Ils ont perdu six amis dans ce crash. Donc c'est aussi un peu triste de venir à cet endroit."
Parti de la base de Dunholme Lodge dans le Lincolnshire à 23h le 4 juillet 1944, l'avion du père de Mike est touché par un chasseur allemand alors qu'il rentre d'une mission à Saint-Leu-d'Esserent. Il s'écrase à 1h50 du matin au sud de Laversines.
Mike a retrouvé le document de débriefing daté du 4 septembre 1944 et dans lequel Jack raconte les faits à son retour au Royaume-Uni. Classé secret-défense à l'époque et aujourd'hui conservé aux archives nationales britanniques, on peut y lire :
"J'ai sauté à Bresles à 02h00 le 5 juillet. J'ai enlevé mon parachute, mon harnais et je me suis dirigé vers l'ouest dans un fossé. J'ai rejoint la route Bresles/Beauvais et là, j'ai été accueilli par un garçon à vélo qui avait déjà récupéré mon ingénieur, le sergent Robinson. Suite à un malentendu, nous avons perdu le garçon français et avons marché pendant environ deux heures à travers la campagne, jusqu'à ce que nous arrivions à une grange désaffectée où nous sommes restés pour le reste de la nuit. Le garçon nous a retrouvés le lendemain et a amené un Français avec des vêtements pour nous. Nous avons été emmenés à cheval et en charrette à la gendarmerie de Bresles et cachés pendant 9 jours. Nous avons pu aller voir l'épave de l'avion. Le 13 juillet 44, nous nous installons à Haudivillers où nous restons chez une famille résistante. Je suis allé récupérer les armes larguées en parachute et j'ai aidé à les nettoyer jusqu'à l'arrivée des troupes américaines. Mon ingénieur s'est installé dans un village appelé Agencourt, près de Clermont et je n'ai plus entendu parler de lui depuis".
Dix ans de recherche
Il s'avérera que le sergent Robinson a été conduit à Giencourt, où le maire du village le cachera jusqu'au 1ᵉʳ septembre 1944.
Mike Wainwright a mis presque dix ans à retracer cet épisode de la vie de son père avec le Groupe national de recherches 1939-1945. L'association a collecté des archives et a retrouvé la montre de Jack chez un particulier : "on a eu vent d'une personne qui était en possession d’éléments du Lancaster. Il a fallu un an et demi de négociations pour récupérer cette montre, explique Christophe Clément, le président de l'association. Mais il y a d'autres éléments que cette personne détient et qui font l'objet de négociations pour qu'ils puissent être exposés, nous l'espérons, dans notre musée associatif. Retrouver une montre, une gourmette, c'est très, très rare. On est le deuxième groupe en France à en avoir retrouvé qui appartenait à un soldat qui, en plus, a survécu. Et on a retrouvé son fils et lui a rendu la montre de son père. Pour nous, notre travail prend tout son sens dans ce genre de situation."
Le père de Mike ne restera que quelques semaines caché à Haudivillers. Le temps d'y fêter son 21e anniversaire et de nouer une solide amitié avec la famille de résistants locaux qui l'héberge parmi ses huit enfants. On lui fournira de faux papiers au nom de Jacques Ledoux et une couverture : le cousin sourd et muet de la famille.
Un projet de mémorial
Haudivillers est libérée par les troupes américaines le 31 août 1944 et Jack est officiellement identifié "en sécurité" le 1ᵉʳ septembre. Où ? Comment ? Tout juste sait-on qu'il est de retour au Royaume-Uni le 4 septembre pour remplir son rapport de débriefing.
À Laversines, l'association participe au projet de construction d'un mémorial à quelques dizaines de mètres de la mairie. Ici seront exposées des pièces d'époque, notamment des uniformes portés par les soldats. Mike assistera à l'inauguration du mémorial le 6 juillet prochain.
"C'est important pour nous de transmettre l’histoire de ces combattants et c'est une façon aussi de remercier les descendants des gens du village qui les ont cachés", estime Christophe Clément.
Jack Wainwright gardera des contacts avec les membres de la famille qui l'avait caché. Il reviendra même leur rendre visite en 1951. Sans manquer de se rendre au petit cimetière de Laversines se recueillir sur les tombes de ses équipiers, marquées de deux stèles blanches gravées de leur patronyme. Elles remplacent depuis longtemps la simple croix de bois surmontée d'une planche horizontale sur laquelle six noms d'aviateurs britanniques avaient été peints. Une simple croix de bois plantée là où six corps avaient été ensevelis à la hâte par les habitants d'un petit village de l'Oise, une nuit de juillet 1944.
Avec Anthony Halpern / FTV