17 agriculteurs, dont le maire d’Auneuil (Oise), veulent construire une usine de méthanisation dans la commune cette année. Des habitants contestent l’argument écologique et dénoncent une manipulation de l’édile.
"Il ne voulait pas faire de bruit." Alexandra Henri, aide-soignante habitant d'Auneuil, porte l’opposition au projet de son maire, présenté il y a moins d’un an dans le compte-rendu d'un conseil municipal et pour lequel peu de réunions publiques ont été organisées : la construction d’une usine de méthanisation, à 1,6 kilomètres du centre-bourg de cette commune de 3 000 habitants au sud de Beauvais.
C’est le projet de la coopérative Ucac et de 17 agriculteurs céréaliers, éleveurs et betteraviers. Parmi eux, Hans Dekkers, maire d’Auneuil depuis 2020 et vice-président de l’agglomération du Beauvaisis. L’élu est à la fois président de la coopérative, propriétaire d’au moins une des parcelles destinées à accueillir l’usine et ancien président de Biogaz 60 du pays de Bray, la société qui exploitera le méthaniseur.
Le permis de construire a été accordé par la préfecture et la mise en service est espérée en fin d'année, d’autant qu’un contrat est déjà signé avec GRDF. "On a bloqué un prix, donc on a trois ans, ensuite le contrat durera 15 ans", confie Hans Dekkers. Puisque c’est un gaz vert, "il nous est payé plus cher que le prix payé à Poutine !", se réjouit-il, en référence au gaz traditionnel massivement importé de Russie en Europe.
"Il joue son rôle d’actionnaire plutôt que son rôle de maire", accuse Alexandra Henri. "Si je n’avais pas reçu un tract anonyme m’invitant à une réunion publique qui avait été très peu diffusée, on aurait tout découvert une fois la première pierre posée !", pointe amèrement Clarisse Grand, institutrice, autre porte-étendard des opposants. Quatre réunions ont été organisées en novembre, mais limitées à 10 personnes, covid oblige.
Je n’y peux rien si la préfecture demande clairement de fermer les salles communales. On avait fait l’information dans le compte-rendu du conseil municipal en janvier 2020 (consultable en fouillant sur le site de la commune) et j’ai donné une interview à la presse en avril : personne n’a rien dit !
Hans Dekkers, maire d'Auneuil et actionnaire du projet
Poussé à organiser une nouvelle réunion publique en ce mois de janvier, mais dans le contexte sanitaire que l’on connaît, le maire proposera une visite d’un méthaniseur installé près de Compiègne, le 29 janvier. "Il a invité ses conseillers municipaux, mais il n’y a pas d’affiches pour la population, il choisit juste des personnes pour l’épauler", estime Alexandra Henri.
Appuyée par "une bonne cinquantaine" de militants actifs, les deux Auneuilloises ont rassemblé 800 signatures (dont 300 sur une pétition en ligne) et sont en train de rédiger les statuts d’une association. "On est face à un mutisme total, il n’y a que du mépris, de la culpabilisation, être contre le projet c’est être contre la planète… on se sent manipulés et pas du tout représentés", se désole Clarisse Grand. Une manifestation est organisée ce samedi 15 janvier, 10h00, au départ de la mairie.
Des installations promues contre le réchauffement climatique
À la manière du compost, mais sans oxygène, les méthaniseurs permettent de produire du biogaz par la décomposition de matières organiques. Il peut s'agir de boues industrielles, de déchets ménagers, d'effluents d'élevage ou de végétaux. Le biogaz est ensuite épuré pour obtenir un véritable gaz naturel, utilisable comme tel (modèle français) ou pour produire de l'électricité (modèle allemand).
Les déchets et leur méthane qui aurait alimenté l’effet de serre deviennent ainsi de l’énergie renouvelable bas carbone et cette valorisation apporte un complément de revenus aux agriculteurs injectant la matière première, qui récupèrent aussi le digestat (les matières restantes une fois le méthane capté) pour l'utiliser comme engrais. Tout le monde peut donc y gagner.
La filière a le vent en poupe. En 2020, selon GRDF, la quantité de gaz renouvelable injecté dans les réseaux français a doublé. Dans un rayon de 20 kilomètres autour d’Auneuil, trois méthaniseurs ont déjà été construits. Ils poussent comme des champignons sur les vastes terres agricoles des Hauts-de-France.
Des constructions facilitées par des subventions publiques et des évolutions légales. L'injection de ce gaz dans le réseau a été autorisée en 2011. En 2018, la capacité du méthaniseur envisagé à partir de laquelle une enquête publique (plutôt qu’un simple enregistrement) est nécessaire a été portée de 60 à 100 tonnes de matières consommées par jour.
Ils annoncent 99 tonnes par jour, juste pour éviter l’enquête publique. Ce sera l’un des plus gros méthaniseurs de l’Oise, et nous avons un document dans lequel ils disent qu’après ils augmenteront de 25%.
Alexandra Henri, habitante d'Auneuil opposée au projet
Cet assouplissement a néanmoins été accompagné d’un renforcement des règles imposées aux exploitants, "afin de garantir le respect des enjeux environnementaux et sanitaires", le préfet pouvant prendre des "prescriptions complémentaires" en cas de non-respect de ces règles, selon le Ministère de la Transition écologique. Depuis 2015, il est également interdit de cultiver plus de 15% des terres d'une exploitation spécifiquement pour de la production d'énergie.
France Nature Environnement, favorable à la méthanisation, milite d’ailleurs pour un "développement raisonné" pour éviter certaines dérives connues : pas de "caution verte pour l’agriculture industrielle", concertation, contrôles fréquents, qualité de ce que l’on met dans le méthaniseur sans quoi le digestat sera peu fertile voire polluant.
Le rapport entre bénéfices et nuisances interroge les habitants
En n'intégrant pas ou peu la population dans le projet, son principal promoteur a manifestement mis le feu aux poudres.
"Ce qui me mobilise en premier, c’est vraiment le fait que ça n’a pas été communiqué, explique Clarisse Grand. Et à force de me plonger dans le sujet, je me demande si c’est si vertueux et qui sont vraiment les bénéficiaires, pour une production de gaz assez minime qui ne nous servira pas."
Alexandra Henri aussi s’est documentée : "En Allemagne, où ils ont construit beaucoup de méthaniseurs avant nous, ils les démantèlent. Des scientifiques ont fait des essais sur le digestat, un verre de terre dedans meurt en dix jours, c’est pire que le Round Up." À notre connaissance, l'Allemagne a simplement diminué ses aides publiques à la filière après 20 ans de soutien qui l'ont hissé au rang de premier producteur de biogaz en Europe. Quant à la létalité du digestat, elle est réelle mais complexe à appréhender.
Ces critiques sont balayées par Hans Dekkers. Oui "c’est une goutte d’eau dans l’océan" et "on nous reproche en même temps d’être trop gros", rétorque le maire. "La décarbonation est un sujet universel mais il faut des gens qui veulent comprendre", ose-t-il, entre deux références à Greta Thunberg. Quant à la qualité du digestat, l’agriculteur la revendique, tout en assumant qu’il ne sera pas uniquement issu de matières agricoles.
Début 2018, des maires de notre zone d’approvisionnement ont sollicité la coopérative pour y aller, parce qu’il y avait besoin de gérer les déchets des ordures ménagères et parce qu’ils voulaient qu’on fasse un carburant durable. S’il y a des opportunités sur des déchets nobles, des restes de cantine, on le fera. Et GRDF contrôlera en temps réel la qualité de l’épuration du gaz qu’on injectera dans son réseau.
Hans Dekkers, maire d'Auneuil et actionnaire du projet
Les deux opposantes au projet s’alarment d’une "montagne de nuisances" :
- Sonores. Outre les tracteurs et citernes, jusqu’à 180 passages quotidiens de camions seront nécessaires à l’activité. "Ce ne sera que 8 jours en avril-mai, souligne le maire. Le reste de l’année, on sera à 20 passages en moyenne, et on peut les dévier pour qu’ils ne passent pas dans le centre-bourg."
- Olfactives. L’usine étant prévue pour être installée au nord-ouest de la commune, les odeurs seraient portées par le vent vers les habitations. "Certains substrats industriels puent, mais nous, il n’y a pas de raison, assure Hand Dekkers, qui habite lui-même à 800 mètres du futur site. Le digestat sera stocké dans une grande fausse couverte, et s’il y a des odeurs, c’est qu’il reste du méthane donc qu’on a mal travaillé… ce n’est pas dans notre intérêt."
- Visuelles. "Il y aura 4 digesteurs de 30 mètres de diamètre, 13 mètres de haut, enterrés seulement sur 5 mètres", affirme Alexandra Henri, "dégoutée" d’avoir acheté dans la commune. "Rien ne sera visible des maisons, relativise le maire. On s’est quand même éloigné, dans un vallon". Le projet prévoit par ailleurs "des teintes de matériaux adaptées aux milieux environnants" et "l’implantation de haies autour du site".
En matière de sécurité (risque incendie et explosion), la distance imposée n'est que de 50 mètres. La ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, avait annoncé en 2018 que cette distance serait portée à 200 mètres (100 pour les petites installations) à partir du 1er janvier 2023, "favorisant une plus grande acceptabilité sur les territoires". Dans tous les cas, le projet d’Auneuil semble dans les clous, à "700 mètres" des premières maisons selon le maire.
Le permis d’exploiter est en cours d’instruction à la DREAL (Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement). Hans Dekkers indique avoir répondu à une demande d’informations complémentaires. Ce serait la dernière étape. Mais le collectif d’opposants a pris contact avec une avocate. Un contentieux administratif pourrait être ouvert.