"La situation est intolérable" : un anniversaire au goût amer pour l'association Solidarité migrants de Beauvais

L’association Solidarité migrants fête ses 20 ans. Depuis 2004, le mouvement continue ses actions pour accompagner les sans-papiers à la rue. Nous avons suivi une équipe de bénévoles de l’Oise dans une maraude, à la gare de Beauvais.

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Ce mardi soir, à la gare de Beauvais, il y a foule. Des femmes, des enfants, des hommes qui attendent un hébergement d’urgence pour la nuit. La gare est leur refuge. Ils savent qu’ils y retrouveront le camion du Samu social, un café, un chocolat, un biscuit.

Des maraudes citoyennes

Il est 20 heures. Nous accompagnons Richard, Rose-Marie et Jean, les bénévoles de l’association Solidarité migrants dans leur maraude. Chaque semaine, ils vont à la rencontre des personnes déboutées du droit d’asile ou en attente de titre de séjour. "Nous venons vous voir pour noter vos noms et avec cette liste, nous interpellons la préfecture", explique Rose-Marie à une femme qu'elle rencontre pour la première fois. Christelle se prête au jeu et explique sa situation. Elle vient d’arriver à Beauvais. Elle est seule et enceinte de quatre mois, sans solution d’hébergement.

On refuse de laisser les gens dans l’indifférence.

Rose-Marie, bénévole à Solidarité migrants

Munie de son cahier, Rose-Marie note scrupuleusement toutes les informations. Elle retrouve Thérèse, Bella et ses enfants, Charlène et les hommes qui attendent devant la gare. "On vient ici parce qu’on sait que c’est un lieu de rassemblement. Ils profitent de la présence du Samu social et lorsqu’ils n’ont pas eu de réponse du 115, ils dorment là. On refuse de laisser les gens dans l’indifférence", explique Rose-Marie. Tous les noms de ces personnes seront consignés sur une liste, puis le décompte est envoyé chaque semaine aux services de la préfecture de l’Oise, aux médias et au conseil départemental. Une alerte qui, d’après les bénévoles, reste "systématiquement sans réponse".

Il fait 14 degrés. Des familles se sont installées à l’intérieur de la gare. Deux petites filles sont assises et boivent leur chocolat chaud dans l’attente d’une prise en charge de toute la famille par le 115. D’autres enfants, parfois très jeunes, courent à côté des adultes, leurs sacs sur le dos. Tous attendent une place au chaud pour la nuit. Mais la réponse du 115 n’arrivera pas avant 22 heures. "Aujourd’hui, en France, il y a encore des enfants qui dorment dehors. Il y a 15 jours, j’ai rencontré une femme qui sortait de la maternité. Elle avait un bébé de deux semaines dans les bras et n'avait pas de place d’hébergement. La journée, elle la passait dans les centres de jour et la nuit, dans la gare", déplore Rose-Marie.

Pour nous, il est très difficile de partir de la gare chaque semaine en se disant qu’on va les laisser là et qu’on n’a rien trouvé d’autre que de venir les voir.

Richard Labrousse, président de Solidarité migrants

Depuis quatre ans, l’association observe une aggravation de la situation. Le nombre de places d’hébergement serait en baisse constante. 250 lits en moins dans les hôtels de l’Oise selon Solidarité migrants. "Depuis quelques années, énormément de monde se retrouve à la rue. Le nombre de places en accueil d’urgence a beaucoup diminué. Les hommes ne sont plus du tout mis à l’abri. Ils restent dehors et il y a un tri qui est fait entre les mères, en fonction de l’âge de leurs enfants. Au-delà de cinq ans, ces enfants ne sont pas prioritaires. Pourtant, ils sont scolarisés", explique Richard Labrousse, président de Solidarité Migrant dans l’Oise. "Nous sommes confrontés à notre impuissance. Que peut-on faire de plus ? Cette situation est intolérable. Pour nous, il est très difficile de partir de la gare chaque semaine en se disant qu’on va les laisser là et qu’on n’a rien trouvé d’autre que de venir les voir", ajoute Richard.

20 ans d'action, d'histoires et d'alertes

Depuis 20 ans, l’association se mobilise et accompagne les migrants pour la constitution de leur dossier et leur offrir une écoute. Elle est née en 2004, à la suite d’une réunion à Paris, rassemblant enseignants, personnels de l’Éducation Nationale, parents d’élèves et syndicats, préoccupés par la situation des sans-papiers scolarisés. Des collectifs locaux ont ainsi été créés et ont donné naissance au Réseau Éducation Sans frontière, puis à des associations, comme Solidarité Migrants.

Dans l’association de Beauvais, ils sont 160 adhérents, mais seulement une dizaine de bénévoles actifs. Ils se réunissent toutes les semaines pour faire le point et ces rendez-vous sont ouverts à tous, y compris aux bénéficiaires. Le jour de notre tournage, l’association se prépare à fêter ses 20 ans. Autour de la table, des bénévoles, des sans-papiers et des personnes régularisées sont venues prêter main-forte. Tout doit être prêt pour le week-end. Au menu : des débats, des concerts, des repas et des soirées pendant trois jours. Rose-Marie a prévu des affiches qui retracent les actions engagées auprès des migrants. Photos des manifestations, articles de presse, actions coups de poing. Pour la plupart des participants, ces images leur évoquent des souvenirs. "Je reconnais des personnes sur ces photos. Je me souviens de William, Francis et Patrick, qui nous a quitté. Ils nous ont tous beaucoup aidés", relève Aimée, congolaise, régularisée en 2018.

Mes enfants ont grandi ici, entouré des bénévoles. On s’est attaché à eux. C’est un peu notre maison.

Aimée, régularisée en 2018

Elle est arrivée en 2013 en France, a vécu plusieurs jours à la rue avec ses enfants avant d’être mise à l’abri. Quelques années plus tard, elle a obtenu des papiers, un logement et a trouvé un travail d’aide à domicile. "On venait à l’association avec nos soucis, nos courriers. Les bénévoles m’aidaient avec le peu de moyens qu’ils avaient. Mes enfants ont grandi ici, entourés des bénévoles. On s’est attaché à eux. C’est un peu notre maison", sourit Aimée.

Les bénévoles, eux, gardent de nombreux parcours de migrants en tête. Richard, le président de l’association, a décidé de se mobiliser il y a 10 ans après avoir lu une histoire qui l’a marqué. "À l’époque, Médiapart avait publié un article sur une jeune fille qui avait été renvoyée de l’Aide sociale à l’enfance parce que l’administration avait considéré qu’elle était majeure, alors qu’elle ne l’était pas. Ce qui m’a touché, c’est qu’elle s’appelait Cosette. J’ai immédiatement contacté l’association et j’ai adhéré."

Pour les 20 ans de l’association, les membres s’attendent à accueillir 200 personnes. Une fête qui aura sans doute un goût amer. "Nous aurions préféré ne pas avoir à fêter cet anniversaire. Cela signifierait que qu’on a gagné et que les personnes qui arrivent en France seraient accueillies, auraient un logement et un travail. Malheureusement, ce n’est pas le cas et la situation s’est largement aggravée", conclut Richard.

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