"On est complètement anéantis" : treize ans après la mort d'Arnaud Lepage, le verdict du procès laisse un goût amer à sa famille

Le verdict du procès autour de la mort violente d'Arnaud Lepage est tombé tard dans la nuit du 27 au 28 septembre 2024. C'est une immense déception pour la famille de la victime, l'avocat du principal accusé salue quant à lui une peine juste.

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Le verdict dans l'affaire Arnaud Lepage vient de tomber. Le videur, accusé d'avoir porté des coups ayant entraîné la mort du jeune homme de 19 ans, a été condamné à cinq ans de prison dont quatre avec sursis et un an ferme aménagé en peine à domicile avec bracelet électronique. 

La cour d'assises de l'Oise n'a donc pas suivi les réquisitions du parquet qui demandaient douze ans de prison, ce qui avait soulevé beaucoup d'espoir pour la famille de la victime. 

L'avocat du père adoptif d'Arnaud Lepage, Antoine Ledru, se dit "très surpris, en mal. Cinq ans dont quatre avec sursis, cela signifie qu'il ne retournera pas en prison. Il y a forcément un goût d'inachevé chez nos clients et ce n'est pas acceptable.

Pour rappel, le videur suspecté d'avoir porté les coups au jeune Beauvaisien comparaissait depuis lundi 23 septembre pour "violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner" et "non-assistance à personne en danger".

Un traumatisme crânien ayant entraîné une hémorragie interne 

Arnaud Lepage, 19 ans, ouvrier intérimaire chez Ramery à Beauvais, a été victime de violents coups à l'intérieur de la discothèque le Calypso. Rentré au foyer de jeunes travailleurs dans lequel il logeait, il a été découvert sans vie le matin du samedi 24 septembre 2011 par un de ses amis. D'après les médecins légistes, il est décédé d'un traumatisme crânien ayant entraîné une hémorragie interne.

Les enquêteurs ont très vite suspecté le videur de la boîte de nuit, Azelarab A., placé en garde à vue et mis en examen avant d'être envoyé en détention provisoire le 26 septembre à Fresnes (Val-de-Marne). Il a été libéré pour des raisons de santé après deux mois et placé sous contrôle judiciaire. Remis en détention pour non-respect de ce régime moins d'un an plus tard, il a de nouveau été relâché, toujours sous contrôle judiciaire, en attente de son jugement.

En 2013, une reconstitution a été organisée au Calypso. Pour sa grand-mère, Raymonde Lejeune, son petit-fils a eu "la tête balancée contre une porte en acier. Ça, ça ne fait plus aucun doute pour les légistes : Arnaud est décédé des séquelles de ces coups". Ses grands-parents avaient d'ailleurs organisé une marche blanche en 2012 et posé une stèle devant la discothèque. Elle a été vandalisée, déplacée puis découpée à la disqueuse et volée en 2017. 

Cinq jours intenses de procès

Lors du premier jour du procès, l'audience s'est concentrée sur les différentes personnalités d'une partie des mis en cause, dont celle de l'agent de sécurité. Il a été décrit par un des psychologues judiciaires comme quelqu'un "d'égocentré", de "narcissique" et "dénué de toute empathie envers la victime". Le quadragénaire a continué de nier toute violence portée à Arnaud Lepage la nuit du drame.

"Je n'explique pas qu'un agent de sécurité qui, globalement, sur l'ensemble de sa carrière, n'a jamais été condamné pour quelque fait de violence sur son lieu de travail, se soit livré, comme ça a pu être dit, à porter des coups dans cette scène du fumoir", a avancé son avocat, Paul-Henri Delarue avant d'ajouter : "il s'est toujours dit innocent et considère être accusé à tort dans ce dossier, donc je n'attends rien d'autre qu'une décision d'acquittement". 

    L'audience s'est aussi intéressée à la personnalité du gérant de la boîte de nuit beauvaisienne, mis en examen pour non-assistance à personne en danger. Celui-ci disait ne pas comprendre sa mise en cause dans le dossier.

    On voulait ce procès depuis de nombreuses années, ça fait 4-5 mois qu'on connaît la date, et au fur et à mesure que la date arrivait, on ne vivait plus.

    Alain Lejeune, grand-père d'Arnaud Lepage lors du deuxième jour du procès

    Au cours du deuxième jour, ce sont les amis d'Arnaud Lepage, présents le soir du drame, qui ont été entendus. Ils étaient également mis en examen - pour certains d'entre eux - pour non-assistance à personne en danger. Le directeur d'enquête a également été longuement entendu avec un objectif : comprendre ce qui s'est passé la nuit du 23 au 24 septembre 2011. 

    Des photos du corps d'Arnaud Lepage ont été diffusées dans le tribunal, obligeant une partie de sa famille à quitter la salle pour ne pas les regarder. "Visiblement, on ne s'était pas assez préparé, c'est dur à vivre", a déploré la grand-mère de la victime. 

    Le procès était d'autant plus compliqué que des versions diamétralement opposées se sont affrontées. D'un côté, celle des proches d'Arnaud Lepage, convaincus qu'il a été victime de coups portés par le videur de la boîte de nuit. De l'autre, la défense qui niait farouchement toute violence et qui a tenté de remettre en doute leurs témoignages.

    [Le videur] a tué quelqu'un, il a surtout tué mon meilleur ami que je ne vois plus, j'ai encore du mal à accepter qu'il est parti.

    Un des meilleurs amis d'Arnaud Lepage

    La troisième journée a permis d'entrer dans la seconde phase du procès. Les témoins directs de la scène et les experts médicaux ont été reçus par le tribunal. "J'attends qu'il prenne sa peine comme tout le monde", a lancé un de ses meilleurs amis. Il pleure jusqu'à ce jour la mort d'Arnaud Lepage : "Moi, c'était mon meilleur ami, c'était comme mon petit frère, c'était pareil". 

    Les experts médicaux devaient déterminer les causes de la mort de la victime. Selon les analyses médicales, il est décédé d'un traumatisme crânien. Il a également été retrouvé avec des fractures et des contusions, ce qui ne fait aucun doute, selon les expertises, qu'il a été victime de coups.

    Au cours du quatrième jour, les membres de la famille d'Arnaud Lepage se sont succédé à la barre pour décrire un garçon "calme", "généreux", "pas bagarreur". Son grand-père a également raconté comment il avait tenté de se pendre. C'est un appel téléphonique qui l'a sauvé au dernier moment.

    Un verdict qui déçoit la partie civile 

    Il aura fallu plus de quatre heures de délibérations aux jurés pour établir le verdict, qui a été annoncé vers deux heures du matin dans la nuit du 27 au 28 septembre. Azelarab A. écope donc de cinq ans de prison dont quatre avec sursis, il passera l'année de prison ferme à domicile avec un bracelet électronique. 

    La justice a été clémente parce qu'elle a été longue. Je suis dégoûtée.

    Raymonde Lejeune

    Grand-mère d'Arnaud Lepage

    Une peine difficile à accepter pour la famille d'Arnaud Lepage. "On est complètement anéantis, abasourdis" confie Alain Lejeune, grand-père de la victime, à l'issue du procès. "Moi qui avais confiance en notre justice, j'attendais un jugement raisonnable... Je pense que l'avocat général va faire appel, continue Alain Lejeune. Ça fera encore au moins un an, voire deux ans de souffrance pour nous. Je vais vous dire, j'étais déjà déçu en politique, maintenant, je suis déçu de ma justice. Je n'y crois plus, en ma justice."

    "Pour nous, c'est double peine : on vient de se prendre treize ans, on va se reprendre je ne sais combien de temps s'il y a appel, abonde son épouse Raymonde Lejeune. Et la justice a été clémente parce qu'elle a été longue. Je suis dégoûtée, je ne comprends pas."

    On va continuer et aller plus loin pour que justice soit rendue, mais une vraie justice.

    Antoine Ledru

    Avocat du père adoptif d'Arnaud Lepage

    La durée de l'enquête est en effet un élément qui participe à l'explication de ce verdict, comme le souligne l'avocat d'Azelarab A., Maître Paul-Henri Delarue : "Je pense que le temps joue beaucoup dans cette affaire : treize années, ce n'est pas que la justice est lente, c'est ce dossier qui a justifié que cela prenne du temps à être jugé. La cour a considéré que les treize années écoulées ne pouvaient pas permettre de le renvoyer en prison, compte tenu de sa personnalité et du fait que le dossier est extrêmement contesté."

    Il poursuit : "C'est un verdict que nous accueillons avec énormément de satisfaction et d'émotion. J'entends que c'est un verdict qui ne va pas contenter les parties civiles et le ministère public, mais la justice a été rendue ce soir." Il souligne que son client a été reconnu coupable malgré ses dénégations. 

    Ce n'est peut-être pas le dernier chapitre de ce procès hors norme, qui se poursuivra si l'avocat général fait appel. "On va poursuivre notre combat, être derrière le ministère public si tant est qu'il fasse appel, je pense qu'il le fera. On va continuer et aller plus loin pour que justice soit rendue, mais une vraie justice" annonce l'avocat du père adoptif de la victime, Maître Antoine Ledru. 

    "Il devait partir en prison ce soir, il ne part pas. Tout ce qu'il nous reste, c'est un pot de fleurs sur du marbre", constate la cousine de la victime Florence Carlier. Pour l'ensemble des parties civiles, cette condamnation tant attendue a un goût de désillusion. 

    Le videur de la boîte de nuit n'était pas le seul mis en cause. Le physionomiste et fils du propriétaire de l'établissement est condamné à trois ans de prison avec sursis pour non-assistance à personne en danger. Le propriétaire de la boîte de nuit est acquitté. 

    Trois des quatre amis de la victime sont condamnés à un an de prison pour non-assistance à personne en danger. Tous les condamnés devront payer des dommages et intérêts, leurs montants ne sont pas encore connus. 

    Avec Kevin Helies, Haron Tanzit, Valentin Pasquier et Naïm Moniolle / FTV

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