Après plus d'un an d'attente, l'association Paris Animaux Zoopolis vient d'obtenir de la mairie de Creil (Oise) des documents administratifs relatifs à la gestion des pigeons par la commune. Ils montrent un recours au gazage au dioxyde de carbone par l'entreprise prestataire en charge de l'élimination des oiseaux.
Enfermer des centaines de pigeons dans des boîtes et injecter du CO2 à l’intérieur pour les tuer. Une manière légale, efficace et peu couteuse d’éliminer l’oiseau des villes, pas juridiquement listé comme nuisible mais dont les fiantes corrosives salissent et abiment chèrement les infrastructures. Beaucoup de municipalités, dont celle de Creil (Oise), passent ainsi contrat avec des sociétés qui y ont recours. Mais une association, Paris Animaux Zoopolis (PAZ), en a fait l’un de ses chevaux de bataille.
"Nous demandons à la mairie de Creil d’abandonner immédiatement cette méthode cruelle !", tançait l’association, dans un communiqué diffusé le 25 octobre. PAZ avait ferraillé pendant un an avec une municipalité isarienne peu transparente, contrainte de saisir la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) pour légitimement obtenir des factures laissant penser que 622 pigeons "ont été gazés sur ordre de la mairie", lors d’opérations réalisées en 2019 et 2022.
Depuis, nous avons appris que ça continuait : rien que la semaine dernière, 259 nouveaux pigeons ont été capturés sur la place Henri Dunant et euthanasiés. "C’est énorme pour une ville comme Creil et je suis très surprise, réagit Amandine Sanvisens, co-fondatrice de PAZ. La mairie nous avait assuré qu’il n’y avait aucun bon de commande pour 2023."
Les documents relatifs aux années 2020 et 2021 n’ont pas été transmis par la mairie du socialiste Jean-Claude Villemain.
La mairie de Creil assume
Des solutions plus éthiques existent, notamment le maïs contraceptif (nourrir quotidiennement les pigeons avec un maïs enrobé de nicarbazine, un contraceptif vétérinaire) et l’installation de pigeonniers : des abris tout confort invitant les pigeons à y faire leur nid et permettant ainsi à l’Homme d'agir sur les oeufs (les secouer, les retirer, les vernir...) pour réguler la population.
Un pigeonnier coûte au moins 15 000 euros à l'achat, et au moins 6 000 euros annuels d'entretien. La mairie de Creil envisage d’en installer un.
"Une piste de réflexion existe autour de la création d’un pigeonnier dans les bois Saint-Romain", indique le cabinet du maire. La ville a également prévu une "campagne de sensibilisation" rappelant l’interdiction de nourrir les pigeons (un "sac" est d’ailleurs à disposition des habitants de la Roseraie pour laisser leur pain dur, acheminé ensuite hors la ville) et l’installation "dans les mois à venir" d’un système d’électro-répulsion sonore (inaudible pour l’Homme).
Mais la municipalité n’a "pas la volonté de cacher" qu’elle continue à faire tuer des pigeons : "La ville a conscience que le gazage n’est pas idéal, mais tant qu’un problème de santé publique existe, [les prestataires] n’ont pas le choix." Une référence aux maladies dont l’oiseau peut être porteur. La mairie précise : "À Creil, il est impossible de capturer, stériliser et relâcher, car les pigeons sont porteurs de la gale, transmissible à l’homme."
Le gazage n’est pas idéal, mais tant qu’un problème de santé publique existe, [les prestataires] n’ont pas le choix.
Cabinet du maire
Déployer cet argument, "c’est un scandale" selon PAZ. "Il est faux de dire que les pigeons sont un danger de santé publique, les cas de transmissions à l’homme sont rarissimes", assure Amandine Sanvisens.
L’association a publié un article dédié à cette "surestimation", battant en brèche le discours des sociétés de dépigeonnage et extermination de nuisibles, qui trustent la première page des résultats des moteurs de recherche sur le sujet.
Les cas de transmissions à l’homme sont rarissimes !
Amandine Sanvisens (PAZ)
PAZ s’appuie notamment sur une compilation d’études scientifiques qui rapporte que, dans le monde entier, parmi 60 maladies recherchées, "il y a eu 176 transmissions documentées de maladies de pigeons sauvages à des humains entre 1941 et 2003".
Mauvais et "bons élèves" dans les Hauts-de-France
Depuis 2022, PAZ dit avoir contacté 250 municipalités françaises, dont 10 dans les Hauts-de-France. Sur une carte interactive, elle évalue le degré de transparence et de responsabilité, à ses yeux, des mairies : en vert, pas de méthodes "cruelles" ; en jaune, refus de transmettre tout ou partie des informations ; en rouge, des méthodes contestées, notamment des campagnes de tir ou de gazage (tête de mort).
Les interpellations de l’association portent parfois leurs fruits : en mars dernier, deux mois après une campagne de PAZ, la ville de Laon (qui accueillait récemment le championnat national de colombophilie) a annoncé mettre fin à ses pratiques passées. Elle capturait des pigeons pour les offrir aux chasseurs de l'Aisne, qui les utilisaient ensuite comme appâts vivants.
Rien à signaler à Amiens, qui n’emploierait tout simplement aucune méthode contre les pigeons. Pas de souci non plus à Tourcoing, qui utiliserait uniquement des pigeonniers contraceptifs. Un partenariat avait été noué avec la SPA.
En revanche : Abbeville continuerait de retenir des informations réclamées par PAZ, tandis que Lille, Roubaix, Arras et Beauvais - comme Creil - auraient encore eu recours à des campagnes de mise à mort des pigeons l’année dernière.