Originaire de Creil, dans l'Oise, Sandrine Goberville a jusqu'alors consacré sa vie au tir sportif. L'athlète, qui ne fait aujourd'hui plus partie de l'équipe de France, tient à alerter sur la brutalité de la fin d'une carrière au haut-niveau. Elle évoque aussi les pistes pour son avenir.
Sandrine Goberville pratique le tir sportif depuis 32 ans, dont 20 années passées au sein de l'équipe de France. Dans son viseur, un objectif : les Jeux olympiques de Paris 2024.
Mais son rêve s'est brisé le 2 septembre 2021, à cause d'un appel : "Pendant une vingtaine de minutes, la directrice du département haut niveau m'annonce que je sors de tous les collectifs. Je ne suis plus en équipe de France, même pas dans un groupe secondaire. Mon contrat d’insertion professionnelle s’arrête au 31 décembre, donc trois mois après. Je n’ai plus d’aides financières de la fédération, tant sur le plan matériel que pour les frais kilométriques, l’aide avec le kiné… Plus de plombs ni de munitions, rien."
Privée des Jeux olympiques 2024
Si l'athlète, originaire de Creil (Oise), accepte de témoigner aujourd'hui, c'est pour dénoncer la manière avec laquelle s'est terminée sa carrière.
On m'a dit qu'avec l’agence nationale du sport et les Jeux de Paris 2024, il y a une politique hyper élitiste. Donc on va récompenser et accompagner uniquement les tireurs qui sont médaillables sur les compétitions.
Sandrine Gobervilleà France 3 Picardie
De cet appel, l'Isarienne a notamment retenu une phrase. "On m’a dit, mot pour mot, ‘place aux jeunes’. Alors que dans le tir, la carrière peut se mener beaucoup plus loin que ça. Des tireurs vont aux Jeux jusqu’à l’âge de 50 ans et ça ne pose pas de problème."
Passionnée, Sandrine Goberville passe outre cette annonce et se donne un an pour rattraper le groupe de tête. "Il se trouve que la fédération mettait des niveaux de scores, de points à faire extrêmement élevés pour pouvoir se qualifier […] Arrivée en juillet, j’ai vu que les points étaient encore à la hausse et là j’ai dit stop."
En septembre 2022, elle demande à cesser le haut-niveau et passer sur la liste "reconversion". Elle n'accèdera jamais à son rêve des Jeux olympiques.
Comment gérer l'après haut-niveau ?
"Concentration", "maitrise de soi", "gestion des émotions", "grande technicité"… Née dans une famille de tireurs, Sandrine Goberville dit avoir beaucoup appris du tir sportif, discipline qu'elle pratique depuis ses 6 ans.
Alors la fin de sa carrière au haut-niveau, à l'âge de 38 ans, a forcément été un choc : "Du jour au lendemain, tout s’arrête d’un coup. Sans préavis. J’avais planifié ma petite saison avec les compétitions, les stages, les entraînements et là, je me retrouve sans rien. Heureusement que j’avais ma famille, mes amis, mes collègues de travail qui était là pour moi. Sinon, clairement, c’était la dépression."
En terme d’identité, je ne savais plus qui j’étais. Dans les couloirs au travail, on me surnommait "Sandrine la sportive de haut-niveau". On me connaissait toujours comme ça. Après l’annonce, je n’étais plus que Sandrine tout court. Ça a été très difficile.
Sandrine Gobervilleà France 3 Picardie
La tireuse veut aussi attirer l'attention sur le manque d'accompagnement, lorsqu'une carrière au haut-niveau se termine. "C’est important de ne pas être considérée comme un simple pion qu’on dégage de l’échiquier une fois que la partie est terminée […] 20 ans en équipe de France, ce n’est pas rien. Moi je ne connais que ça comme vie, je ne sais pas ce que c’est de vivre 5 jours dans un bureau, avec des horaires."
Selon elle, aucun professionnel en charge du suivi socio-professionnel ne l'a contactée. "C'est important d'avoir un accompagnement pour retrouver une identité qui nous correspond et s'épanouir à nouveau."
Une vie à reconstruire
Malgré la fin de sa carrière en équipe de France, Sandrine Goberville a pu conserver son travail : conseillère sport de haut-niveau, au sein du conseil départemental de l’Oise.
En parallèle, elle continue de défendre un sport "très méconnu" et qui souffre de "beaucoup de préjugés" : "On assimile le tir sportif à la chasse, au terrorisme, à des choses horribles. Je n’aime pas particulièrement les armes, c’est juste l’outil qui permet d’accéder à une performance."
La Creilloise qui dormait "presque" auparavant au stand de tir, ne s'y entraîne plus que deux fois par semaine. Pour le plaisir, cette fois. Elle pratique aux côtés de sa sœur, Céline, également tireuse : "Elle, elle est toujours en lice […] Mon objectif désormais, c'est de l’amener au plus loin pour qu’elle puisse se qualifier et même faire plus sur les Jeux de Paris."
Depuis mai 2022, Sandrine Goberville se consacre à une nouvelle passion : la communication animale. "C’est de la télépathie avec les animaux. Je travaille sur photos et j’écoute les animaux. C'est quelque chose qui n’a rien à voir."
Symbole d'un nouveau départ : les médailles, récoltées tout au long de sa carrière, sont soigneusement rangées. "Ça reste des souvenirs d’une grosse partie de ma vie."
Les contre-points de la DTN
[Mise à jour] D'abord silencieuse, la fédération a réagi après parution de ce témoignage. "Ça m'a chatouillé", glisse le directeur technique national, Gilles Muller. Il conteste la brutalité de cette éviction et l'absence d'accompagnement.
Le patron de la DTN évoque "le côté amnésique des athlètes" et un exemple "normal", dans le haut niveau, de "déni sur le niveau du moment". Les moyens accordés à Sandrine Goberville auraient été augmentés en 2016, mais les résultats de la tireuse se seraient avérés "inversement proportionnels".
"On était dans un processus long, assure Gilles Muller. Le coup de fil (de septembre 2021, ndlr) mettait le point final qu'elle-même n'avait pas mis. Les jours payés par la fédération, pour que son employeur lui dégage du temps en contrepartie d'objectifs à atteindre, allaient s’arrêter."
Le DTN assume une "politique élitiste", dictée par les Jeux olympiques et reprise à son compte par la fédération de tir sportif : ne garder que les athlètes du top 8 mondial, au regard de leur "point moyen" sur les dernières compétitions. Ça passe pour Céline Goberville. Pas pour sa grande sœur.
Sandrine, qui a d'ailleurs tendance à se prendre pour Céline, n'a jamais gagné une médaille en individuel (à l’international, ndlr). Elle a remporté en équipe, elle a parfaitement joué son rôle de partenaire d'entraînement, elle a apporté sa pierre à l'édifice de la construction de sa sœur : il faut lui rendre hommage. Mais ce n'est pas le problème d'être vieille. On a des quadra qui cassent les codes, gagnent des médailles et font les minima sans difficulté, alors on les sélectionne. C'est tout. C'est un passage de témoin.
Gilles Muller, directeur technique national
Gilles Muller ne nie pas "les liens assez forts" noués dans le "clan Goberville". Il considère pourtant que les deux sœurs sont préservées : Céline, "athlète hors normes", n'a "besoin de personne". Quant à Sandrine, son inscription sur la liste "reconversion", synonymes de subvention pour son projet professionnel, témoignerait du soutien de la fédération, qui n'était pas obligée d'y procéder.