L'usine Gamma, installée dans l'Oise, fête ses 70 ans. Spécialisée dans les parquets surélevés, elle connaît une année exceptionnelle avec les Jeux olympiques, mais se prépare aussi à changer pour anticiper des évolutions sociales qui ont des conséquences le secteur du bâtiment.
Sur ce chantier de Romainville, en région parisienne, les poseurs revêtus de gilets jaunes s'activent à installer un plancher surélevé. Les dalles sont fixées sur de petits vérins métalliques, à une dizaine de centimètres au-dessus de la dalle de béton.
"L'intérêt, c'est de pouvoir laisser passer tout ce qui est réseaux, fluides, sous le plancher technique, résume Julien Favier, directeur technique à Gamma Industries. (...) Ce qu'il faut, c'est qu'un plancher soit démontable pour pouvoir intervenir à nouveau dessus. Le plancher, techniquement, c'est une dalle qui fait trois centimètres d'épaisseur. Elle est constituée de particules de bois qui sont issues de la récupération. Elle est posée sur des vérins qui permettent de régler la hauteur du plancher technique." À Romainville, il faudra installer pas moins de 34 000 mètres carrés de dalles pour finir le chantier.
Cela fait 70 ans que Gamma, dont l'usine est située à Formerie au nord-ouest de l'Oise, installe ces planchers techniques indispensables dans certains secteurs. L'entreprise a été fondée par l'ingénieur Joseph Versino en 1954 à Issy-les-Moulineaux, elle était alors spécialisée dans la serrurerie industrielle. L'usine de Formerie à été construite en 1975, année où Gamma commence la production de dalles et vérins de planchers techniques.
Un an plus tard, en 1976, Gamma participe au gigantesque chantier du centre Georges Pompidou de Paris : 50 000 mètres carrés de dalles sont nécessaires pour équiper ce nouveau musée d'art contemporain. D'après son service de communication, l'entreprise pose annuellement 800 000 mètres carrés de planchers, sur une moyenne de 120 chantiers.
"Nous intervenons sur tous les immeubles tertiaires de bureaux, neuf ou de la réhabilitation, et sur tous les locaux techniques, locaux recevant du public, les datacenters (ndlr : locaux dans lesquels sont stockés des serveurs informatiques), donc dans tous les secteurs du bâtiment de notre pays" détaille François Rosen, président de Gamma Industries. Mais le secteur du bâtiment évolue et pour survivre, Gamma doit maintenant s'adapter afin d'anticiper les crises prévues ces prochaines années.
"C'est une année exceptionnelle"
2024 offre un beau cadeau d'anniversaire à Gamma. Jusqu'au début de l'été, le carnet de commande est rempli, il déborde même. "L'activité est un peu particulière cette année, notamment liée aux Jeux olympiques, avec beaucoup, beaucoup d'opérations, des structures liées aux JO, se réjouit Julien Favier (...). C'est une année exceptionnelle en termes de déploiement, de livraison de planchers, de mise en place... Et surtout, pour l'usine, une suractivité qui nous a obligé, une partie du temps, à fonctionner en 2-8."
L'entreprise a dû déployer 100 poseurs de parquets dans toute la France, c'est 30 de plus qu'en temps normal. Son chiffre d'affaires a augmenté de 7 millions d'euros par rapport à 2022. Une explosion de l'activité qui va avec son lot de contraintes, particulièrement "un impératif de livraison, avec une date qui est mi-juillet, à peu près, pour la livraison de tous les planchers techniques sur les chantiers. Ce sera très difficile de revenir faire des travaux en pleine période de Jeux olympiques" souligne Julien Favier.
La crise qui se profile
Cette embellie est cependant trompeuse : les projections prévoient un effondrement de l'activité dans les années à venir. Un phénomène qui s'explique en partie par un changement de société. "On parle d'une baisse d'activité très, très importante, suite à la période post-COVID : aujourd'hui, de plus en plus de monde travaille en télétravail, donc il y a moins de chantiers" constate Jacques Chauviré, directeur de l'usine de Gamma Industries de Formerie. Il souligne néanmoins que ces fluctuations ne sont pas exceptionnelles dans son secteur : "dans le bâtiment, il y a toujours des cycles de pics et de baisses."
Mais moins de chantiers, cela signifie moins de commandes pour son entreprise, qui a pris des mesures drastiques. "Le souci majeur qu'on a aujourd'hui, c'est de gérer les ressources humaines : aujourd'hui, un employé qui quitte l'entreprise, pour quelque raison que ce soit, n'est pas remplacé, explique le directeur d'usine. Donc, on fait appel à l'intérim, avec ses avantages et ses inconvénients. Parmi les inconvénients majeurs, c'est le manque de compétences, le manque de connaissance de nos produits et donc une baisse de productivité de nos lignes de production."
Il n'aurait cependant pas d'autre option que ce recours à une main d'œuvre temporaire. "Il ne serait pas opportun d'embaucher du monde pour devoir les licencier dans quelques mois, ou dans un an ou deux" se projette Jacques Chauviré.
Économie circulaire et nouvelles technologies
S'il a pour l'instant des conséquences négatives sur l'entreprise, ce changement d'époque signifie aussi l'arrivée de nouvelles opportunités. Depuis quelques semaines, un nouveau type de dalles de parquet technique est fabriqué à Formerie : elles sont produites à partir de vieux parquets réemployés.
"L'idée principale, c'est d'essayer de récupérer les matériaux qui existent pour reconstituer des dalles. (...) Il y a aussi les nouveaux matériaux qui vont arriver, qui sont en constitution de matière bas carbone. Et puis il y a les matériaux de réemploi, qui sont des dalles issues de déconstructions de bâtiments, qu'on va venir re-traiter pour réinstaller sur les chantiers" explique Julien Favier.
"L'économie circulaire veut que l'on réemploie des planchers qui ont déjà travaillé pendant vingt ans, trente ans, complète Jacques Chauviré. Dans ce cas, on les nettoie, ça nous fait une activité supplémentaire et on les remet sur des chantiers neufs, avec une partie de réemploi."
Aujourd'hui, sur un chantier, on ne livre plus 100% de plancher neuf, il y a à peu près 30% à 40% de réemploi.
Jacques Chauviré, directeur de l'usine de Gamma Industries à Formerie
Cette nouvelle activité devrait être pleinement opérationnelle dès le début de l'année 2025. "On va même commencer les premiers approvisionnements dans les semaines qui viennent. Aujourd'hui, sur un chantier, on ne livre plus 100% de plancher neuf, il y a à peu près 30% à 40% de réemploi. Cette tendance va continuer à monter, si toutefois on arrive à trouver les gisements sur de vieux chantiers" conclut Jacques Chauviré.
"J'appelle d'ailleurs l'ensemble des promoteurs, détenteurs d'actifs, à nous contacter de manière à ce que nous récupérions ces matériaux" ajoute François Rosen. Le président de Gamma Industries se dit confiant en l'avenir, rappelant la capacité de son entreprise à se réinventer pour atteindre une telle longévité.
Au-delà du réemploi, Gamma développe une nouvelle ossature métallique spécialement conçue pour les datacenters, qui sera révélée dans quelques semaines. En pariant sur les nouvelles technologies et l'économie circulaire, Gamma choisit de se refaire une jeunesse pour passer le cap des 70 ans.