L'histoire du dimanche - Soupçonné d'être l'auteur de huit meurtres, sept femmes et un homme, le tueur en série Marcel Barbeault a été reconnu coupable de cinq assassinats en 1981 et en 1983 par la cour d'assises de Beauvais (Oise) et condamné à la perpétuité. Incarcéré depuis 47 ans, il est le plus ancien détenu de France. Il a toujours nié ces crimes.
Le 6 janvier 1976, le corps d'une jeune femme est découvert inerte dans un terrain vague près de l'hôtel de la gare de Villers-Saint-Paul, dans l'Oise. Chaque matin, Françoise Jakubowska, 20 ans, prenait le train de 7h15 pour se rendre à son travail de secrétaire à Paris. Ce matin-là, vers 7h, alors qu'elle marche le long de la voie ferrée, un homme l'attaque.
Il lui assène trois coups de poignard au thorax, puis l'abat d'un coup de carabine 22 long rifle dans la tête. Elle est retrouvée dévêtue, des pieds jusqu'au-dessus de la poitrine. Le tueur a mis en scène le corps de sa victime de manière obscène.
Un mode opératoire bien rodé
Françoise Jakubowska est la huitième victime de celui que l'on appelle alors dans la presse "le tueur de l'Oise" ou "le tueur de l'ombre". Depuis 1969, sept femmes et un homme, ont été tués selon un schéma quasi identique, une sorte de rituel macabre.
Le tueur commence par épier ses victimes pendant plusieurs jours. Une fois les habitudes de ces dernières connues, il les attaque. En général le soir, ou le matin très tôt, entre chien et loup. Il les assomme ou les abat à l'aide d'une carabine 22 long rifle, les transporte sur des distances plus ou moins longues, puis les dénude des pieds jusqu'au-dessus des seins. S'ensuit ce que les enquêteurs de l'époque appellent "un jeu au niveau du sexe" (nous y reviendrons). Pour finir, le tueur vole le sac à main de ses victimes ou son contenu.
Ce mode opératoire, en sept étapes, a été mis au jour par Daniel Neveu, un inspecteur affecté à la police judiciaire de Creil en 1974, qui reprend les dossiers des meurtres du tueur de l'Oise. On n'emploie alors pas encore le terme de "féminicides", pourtant, le tueur vise presque exclusivement des femmes. Le seul homicide étant considéré comme un meurtre non prémédité.
Thérèse Adam se savait surveillée par le tueur
La première victime s'appelle Thérèse Adam. Âgée de 46 ans, elle est représentante en cosmétique, veuve, et vit seule dans un petit pavillon de Nogent-sur-Oise. Le 23 janvier 1969, vers 19h, elle rentre chez elle après avoir fait ses courses lorsqu'elle est abattue d'une balle dans la tête, à l'entrée de son garage. Le tueur traîne son corps de l'autre côté de la rue, le long de la voie ferrée. Il la déshabille. Son cadavre est découvert le lendemain par un passant. La victime est agenouillée, la tête contre le sol.
Quelques jours plus tôt, Thérèse Adam s'était rendue au commissariat. Terrifiée, elle avait certifié aux policiers que quelqu'un cherchait à la tuer. "Vous avez devant vous une future morte", leur annonçait-elle. Une déclaration prémonitoire. Elle se disait "surveillée", "épiée", rapporte Louis Courtois, chef de la sûreté de Creil à cette époque, dans l'émission "Faites entrer l'accusé" consacrée à Marcel Barbeault et diffusée sur France 2 en 2005.
Thérèse Adam n'a pas été prise au sérieux. Les policiers lui ont conseillé de prendre un chien. Elle a alors adopté un berger allemand qui, enfermé dans la maison pendant le crime, n'a pas pu intervenir. Du reste, personne n'a rien vu, rien entendu.
Deux tentatives de meurtre ratées
Si Thérèse Adam a si peur, c'est non seulement parce qu'elle a repéré le rôdeur, mais aussi parce que le 13 janvier, Françoise Lecron, une voisine de la rue Faidherbe, a été attaquée. Ce soir-là, vers 19h, alors qu'elle se trouve dans sa cuisine, Françoise Lecron est blessée par balle à l'épaule et s'écroule sur le carrelage. Mais elle réussit à prévenir les secours. La femme de 36 ans survit. Six impacts de balle sont retrouvés dans les carreaux de la fenêtre de la cuisine.
Françoise Lecron étant l'épouse du sous-directeur de l'usine de Saint-Gobain de Rantigny, les gendarmes pensent à une vengeance professionnelle. Les enquêteurs découvrent que l'arme qui a servi à tuer Thérèse Adam, une carabine 22 long rifle, est la même que celle utilisée à l'encontre de Françoise Lecron. Mais rien ne lie les deux femmes entre elles.
Le lendemain matin de cette attaque ratée, Michèle Louvet, 17 ans, est blessée par balle au ventre alors qu'elle se rend à son travail. Ses hurlements permettent aux habitants de prévenir rapidement les secours. Elle survit, elle aussi. L'affaire n'est révélée dans la presse qu'après le meurtre de Thérèse Adam.
"Des yeux de chat"
Dix mois plus tard, le 16 novembre 1969, le "tueur de l'ombre" frappe à nouveau. Toujours sur la commune de Nogent-sur-Oise. Micheline Merienne rentre du lycée vers 19h. Alors qu'elle ouvre la porte de sa maison située rue Faidherbe, où elle vit avec sa mère Suzanne, un homme s'engouffre avec elle. L'homme oblige Micheline à attacher sa mère, leur demande de l'argent, récupère une somme modique, puis emmène les deux femmes dans le jardin.
Micheline profite d'un moment d'inattention de l'agresseur pour s'enfuir et prévenir les voisins. Lorsque les secours et la police entrent dans la maison, il est trop tard, Suzanne a été touchée d'une balle dans la tête et meurt à l'hôpital. La femme de 44 ans a été tuée avec la même arme que Thérèse Adam.
Cette fois, les policiers ont un témoin. Micheline Merienne aide à dresser un portrait-robot du tueur. Il était grand, costaud, jeune, portait une casquette, un foulard sur le visage et un long imperméable, décrit-elle. Et il avait "des yeux de chat". Mais l'image qui en ressort est peu précise, cela pourrait être n'importe qui.
Marcel Barbeault soupçonné par ses collègues dès 1969
Le tueur a également oublié son sac sur les lieux du crime. Il contient de la ficelle, un manche à outil scié, des balles de 22 long rifle enveloppées dans du papier journal et une serviette de table à carreaux semblable aux serviettes de cantine d'usine. À l'époque, la région de Nogent-sur-Oise compte 14 usines avec parfois jusqu'à 4 000 ouvriers dans certaines. L'indice ne permet pas de restreindre la liste des suspects.
Alors un policier a une idée. Le sac et son contenu sont exposés à la mairie de Nogent-sur-Oise. Un habitant pourrait identifier son propriétaire, se dit la police. Edouard Benko, ancien copain et collègue de Marcel Barbeault s'en souvient bien. "Quand on est arrivés dans le hall de la mairie, on a reconnu le sac et, en plaisantant, on a dit : 'c'est le sac du grand' [c'est comme ça que ses collègues surnommaient Marcel Barbeault, ndlr]. Et toujours en plaisantant, on a dit que s'il y avait la serviette à carreaux rouges et blancs dedans, c'était lui. Et il y avait cette serviette dans le sac", relate-t-il dans Faites entrer l'accusé, en 2005
Edouard Benko reconnaît que lui et ses collègues ont alors émis de lourds soupçons sur "le grand". "Mais on n'y croit pas", résume-t-il, tout en avouant : "bien sûr qu'on a des regrets". L'inspecteur Daniel Neveu parlera de "solidarité ouvrière".
Un nouveau féminicide en 1973
En 1970, un des suspects, qui venait d'être dénoncé par sa femme comme pouvant être le "tueur de l'ombre", est retrouvé mort sur une voie ferrée. Il s'est suicidé. Les mois passent, sans nouveau meurtre, la peur du tueur de l'Oise s'estompe. Jusqu'au 6 février 1973.
Ce mardi soir, Joseph Delisle est inquiet. Sa femme Annick, ouvreuse de cinéma de 29 ans, n'est pas rentrée du travail. Il va toquer aux portes des voisins. Le corps de la jeune femme est finalement retrouvé dans un bosquet. Son visage est mutilé. Elle a été dénudée.
L'autopsie montre que la jeune femme a reçu un violent coup à la tête. Son sac à main a été volé. Mais voilà, Annick Delisle n'a pas reçu de balle. Son meurtre n'est donc pas tout de suite attribué au tueur de l'ombre. Les femmes de Nogent-sur-Oise restent néanmoins sur leurs gardes.
Double meurtre au cimetière
Trois mois plus tard, le 28 mai 1973, après une soirée en amoureux, Mauricette Van Hyfte, 22 ans, et Eugène Stephan, 24 ans, se garent sur le parking du cimetière de Laigneville pour un moment d'intimité. Vers 23h, un homme tire et abat Eugène d'une balle de 22 long rifle dans la tête. Mauricette tente de s'enfuir et est à son tour touchée mortellement par un tir de carabine.
Leurs corps sont retrouvés le lendemain, lui dans la voiture, elle, dans le chemin qui mène au cimetière. Mauricette est nue, dans une position décrite comme "obscène" par les enquêteurs, et son sac à main a disparu.
L'enquête est confiée aux gendarmes de Laigneville alors que les autres enquêtes sont dans les mains de la police de Nogent-sur-Oise. Selon Daniel Neveu, qui reprendra le dossier en 1974, ce double meurtre n'était pas prémédité. De plus, Eugène est le seul homme de la série de meurtres. Pour l'inspecteur, le tueur était déjà sur place et a simplement saisi l'occasion de tuer.
Quand les brunes deviennent blondes
Quelques mois plus tard, le 8 janvier 1974, à Nogent-sur-Oise, un cinquième meurtre est perpétré par le "tueur de l'ombre". Vers 19h30, Josette Routier, une employée de banque de 29 ans, rentre chez elle. Elle habite un deux-pièces situé au rez-de-chaussée. Le tueur de l'ombre l'attend dans sa chambre, caché derrière un rideau.
Son corps est découvert trois jours plus tard par une voisine. Elle est dénudée, agenouillée, le front contre le sol Son corps est criblé de six balles de 22 long rifle. Son sac à main lui a également été dérobé. Les policiers trouvent des traces de bottes taille 42 dans la maison, un indice bien maigre. Un carreau est cassé. Ils en déduisent que c'est de cette façon que le tueur s'est introduit et est ressorti de chez sa victime. Une voisine se souvient avoir entendu un bruit de verre cassé vers 16h, le 8 janvier, jour du crime.
Dans cette affaire, tous les féminicides ont un point commun : les femmes tuées sont toutes brunes et de même morphologie. Et elles ont toutes été tuées dans un périmètre de 6 km². L'angoisse s'empare des 15 000 habitants de Nogent-sur-Oise. En particulier les femmes. Elles en témoignent à la télévision. "Le soir, on a peur de rentrer chez nous, le matin, on a peur de venir au train pour aller travailler. C'est plus possible, on vit plus nous", se désole une jeune habitante de la commune. Nombreuses sont celles qui décident de se teindre en blond. Des familles déménagent. Le marché immobilier s'effondre.
Un inspecteur avant-gardiste
En septembre 1974, l'inspecteur Daniel Neveu reprend l'affaire du "tueur de l'ombre". L'homme de 34 ans est le premier à relier tous les dossiers entre eux, à établir le mode opératoire du tueur et à faire du profilage avant l'heure. En étudiant les différents meurtres, il soulève un point important : le tueur est un voleur. Il établit alors la liste de tous les voleurs des environs.
Les mois passent, sans nouveau meurtre. Les esprits s'apaisent un peu. Le 26 novembre 1975, Julia Goncalves, 25 ans, sort de chez elle vers 6h. Comme tous les matins, cette employée de pressing traverse le parc Hébert, à Nogent-sur-Oise, pour rejoindre la gare et se rendre à son travail. Son corps est retrouvé le lendemain dans un cours d'eau qui traverse le parc. Elle a été abattue d'une balle de 22 long rifle dans la tête, transportée sur 150 m environ et dénudée. Le tueur a volé sa montre et de l'argent dans son sac à main.
Un portrait-robot est établi par un témoin et diffusé dans la presse. Aux 1 500 personnes déjà suspectées depuis 1969, s'ajoutent 800 nouveaux noms. Plus de 4 000 appartements de Nogent-sur-Oise sont visités par la police. Puis, en janvier 1976, Françoise Jakubowska, la dernière victime du tueur de l'Oise, est assassinée près de la gare de Villers-Saint-Paul.
Coup de fil anonyme
Mi-septembre 1976, un coup de fil anonyme dénonce le tueur, sans donner son nom. Il serait marié, père de deux enfants, travaillerait à l'usine de clouterie Rivierre, à Creil, et habiterait Montataire, juste à côté de Nogent-sur-Oise. Il aurait fait la guerre d'Algérie, pratiquerait la boxe à Villers-Saint-Paul et n'aurait pas le permis de conduire. Ces informations sont ajoutées aux recoupements de Daniel Neveu.
Dans le dossier du double meurtre du cimetière de Laigneville, l'inspecteur de police judiciaire note un détail important. Une cartouche, de la même marque que celle retrouvée sur le lieu des crimes, a été retrouvée à côté du robinet du cimetière. Il se rend sur place et doit se faire aider du gardien pour trouver ce fameux robinet, caché derrière une cuve, à l'abri des regards.
Daniel Neveu en conclut que le tueur est un habitué des lieux. Soit il y travaille, soit il vient entretenir la sépulture d'un proche régulièrement. Il demande donc à ce que soit recensées les 650 tombes du cimetière. Il croise ensuite les noms des défunts avec ceux des 60 suspects dénoncés, réduisant leur nombre à 12.
Un père de famille parmi les suspects
Marcel Barbeault devient alors numéro 3 sur la liste des suspects. À 35 ans, il est marié, père de deux enfants et régleur à l'usine de Saint-Gobain, à Rantigny après avoir travaillé chez Rivierre dans sa jeunesse. Cet homme banal n'a, à priori, pas le profil typique d'un tueur.
Mais il coche plusieurs cases du portrait du "tueur de l'Oise". Il est notamment connu des services de police pour une série de cambriolages qui lui ont valu une peine de 18 mois de prison avec sursis. Sa mère est enterrée au cimetière de Laigneville et son nom figure sur la liste des gens dénoncés. Ce boxeur amateur a aussi été brancardier pendant la guerre d'Algérie, après avoir échoué à devenir parachutiste. Et il a le physique : 1,87 m pour 93 kg.
Le 14 décembre 1976, les policiers sonnent chez les Barbeault. C'est sa femme qui leur ouvre. Chez lui, ils découvrent tout un tas d'objets volés dont des jumelles et une perruque de femme. Dans sa cave, derrière une porte fermée, les policiers retrouvent un poignard, un imperméable, des gants, des casquettes et un fusil 22 long rifle au canon scié, équipé d'un silencieux et d'une ficelle servant à le porter en bandoulière.
Marcel Barbeault est interpellé alors qu'il rentre chez lui avec les cadeaux de Noël de ses enfants dans les bras. "Il était surpris, fâché, très peu coopératif et quasiment muet", se souvient Daniel Neveu, dans l'émission "Au bout de l'enquête", diffusée sur France 2 le 1er mai 2023.
"Jamais j'aurais pensé que ça venait de lui"
À Montataire, c'est la stupéfaction. "Pour nous, c'est un homme calme, tranquille, on n'avait rien à dire de lui. [...] Jamais j'aurais pensé que ça venait de lui", réagit une voisine au micro de France 3 Picardie, trois jours après l'arrestation de Marcel Barbeault. "Ça nous semble incompréhensible", déclare un autre.
Le suspect est placé en garde à vue. Son emploi du temps est passé au crible. Marcel Barbeault n'a jamais d'alibi, pour aucun des crimes. Il était en congés alors que sa femme pensait qu'il travaillait. Micheline Merienne, la fille de la deuxième victime, est convoquée. Derrière une vitre sans teint, elle doit identifier le suspect. Elle reconnaît ses yeux.
Lorsque Michel Barbeault l'apprend, il lance : "comment cette jeune fille peut-elle me reconnaître six ans après ?". Or, personne ne lui a dit à quel crime ce témoin est lié. Marcel Barbeault est tombé dans le piège.
Un lien entre les crimes et la mort de sa mère ?
Pendant la garde à vue, Daniel Neveu l'interroge sur le lien éventuel entre les crimes et la mort de sa mère. Il se trouve que sa mère, dont il était très proche, souffrait d'un cancer et a dû subir l'ablation des deux seins. Marcel Barbeault l'a veillée jusqu'à son décès, en 1968. "Il a sauté sur la table en hurlant : 'Qu'est-ce que ma mère vient faire là-dedans ? Parlez pas de ma mère", relate l'inspecteur dans l'émission "Au bout de l'enquête".
Son ancien collègue Edouard Benko se rappelle un homme particulièrement bouleversé par la mort de sa mère. "C'était plus le même", résume-t-il. À cette période, Marcel Barbeault s'isole, s'éloigne du groupe. Il perd successivement ses deux frères. Le premier décède dans un accident de voiture en 1971, le second se suicide en se jetant sous un train en 1974.
Confondu par les carabines
Le 15 décembre 1976, une expertise balistique permet d'établir que la carabine retrouvée dans la cave de Marcel Barbeault est celle qui a servi à tuer Julia Goncalves et Françoise Jakubowska, les deux dernières victimes. Il nie, dit l'avoir trouvée derrière une tombe du cimetière, sept mois après le dernier crime. Il est inculpé de l'assassinat des deux femmes et incarcéré à la maison d'arrêt d'Amiens deux jours après son arrestation.
La carabine ayant servi aux meurtres de Josette Routier et au double meurtre du couple du cimetière n'est pas retrouvée, mais les enquêteurs suspectent qu'elle est celle volée par Marcel Barbeault lors d'un de ses cambriolages. Or, l'ancien propriétaire de la carabine avait l'habitude de tirer sur des cibles dans son jardin. Les policiers retournent la terre, à la recherche de vieilles cartouches. Bingo. Ce sont les mêmes que celles retrouvées sur les deux scènes de crimes. Marcel Barbeault est inculpé de trois nouveaux assassinats.
La carabine des deux premiers meurtres, ceux de Thérèse Adam et de Suzanne Merienne, et l'arme qui a servi à tuer Annick Delisle ne seront jamais retrouvées. Si Daniel Neveu soupçonne fortement Marcel Barbeault d'en être l'auteur, aucune preuve matérielle ne permet de le lier à ces meurtres. Marcel Barbeault est donc inculpé des cinq derniers meurtres et de seize vols.
Un flou concernant les viols
Dans les différents documentaires et articles de presse sur cette affaire, il est souvent dit et écrit que "la victime a été retrouvée dénudée, mais elle n'a pas été violée". Marcel Barbeault ne sera d'ailleurs pas inculpé de ce crime.
Pourtant, dans une interview donnée au Parisien en mai 2021, Daniel Neveu décrit ainsi une des étapes du mode opératoire de Marcel Barbeault : "Il dénude ensuite les femmes, souvent violemment, avant de s’adonner à un jeu autour du sexe, parfois avec des pénétrations. Certains diront avec le canon de son arme." Dans les deux émissions consacrées à cette affaire, Daniel Neveu répète l'expression "jeu autour du sexe" à plusieurs reprises.
En France, à cette époque, le viol est fréquemment requalifié d'outrage public à la pudeur et systématiquement jugé en correctionnel. En 1978, le procès des trois hommes accusés d'avoir violé deux jeunes touristes belges et lesbiennes près de Marseille suscite le scandale. Mené par l'avocate Gisèle Halimi en 1978, il va mettre en lumière les manques de la justice concernant les viols.
Le 23 décembre 1980, grâce au combat de Gisèle Halimi et des féministes, la législation est modifiée. Le viol devient un crime aux yeux de la loi. "Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, ou surprise est un viol", définit l'article 222-23 du Code pénal. Depuis, plusieurs lois ont modifié sa définition.
Le procès d'un homme "banal"
Le procès de Michel Barbeault débute le 25 mai 1981 à la cour d'assises de Beauvais. Une vingtaine d'experts et 75 témoins sont entendus. Son premier avocat, Me Jean Bouly, le décrit comme emprunt de "tranquillité", "presque de sérénité", "jamais déstabilisé" par les preuves apportées.
Me Jean-Louis Pelletier, qui assure sa défense lors du procès, dit de lui qu'il n'était "pas très loquace", "intelligent", avec "un certain sens de sa défense", mais "des blocages". Michel Barbeault arrive au procès en costume cravate, il se présente comme un homme lisse. Seul son regard est décrit comme "étrange".
L'avocat général, Marc Moinard, le trouve "banal" mais "intelligent". Certains soulignent le décalage entre l'homme qui se présente à la barre et le "tueur de l'ombre" décrit dans les journaux. Lorsque les photos des victimes lui sont montrées, Marcel Barbeault apparaît froid et détaché, ce qui lui dessert.
Le 26 mai, le psychiatre Yves Roumajon rend son rapport. "Si Marcel Barbeault était un malade mental, il ne serait pas ici", observe-t-il. Il n'a décelé ni instabilité, ni perversité chez l'accusé. Le journal Le Monde suit le procès. Lorsque Me Jean-Louis Pelletier demande au psychiatre : "Alors tout à fait normal ?", l'expert répond : "Je préférerais même banal". Durant le procès, Marcel Barbeault reste quasiment muet, concède tout de même sa passion pour les armes, et surtout, clame son innocence, se disant même la 9e victime du tueur de l'Oise.
"L'effet Neveu"
Josyane Barbeault est retenue deux heures à la barre le 3 juin. "Le connaissant comme je l'ai connu, ce n'est pas possible, sinon je ne serais pas restée avec lui", déclare celle qui se dit persuadée de l'innocence de son mari. Selon un article du Monde, elle ne concède que quelques mensonges de son époux sur ses horaires de travail et ses jours de repos.
Le 4 juin, Daniel Neveu fait comprendre au jury qu'il pense Marcel Barbeault coupable des huit meurtres et d'une tentative de meurtre. Il expose le mode opératoire du tueur et souligne la force physique de l'accusé. "L''effet Neveu' est maintenant, comme on dit dans le jargon des prétoires, acquis au débat", écrit Le Monde.
Condamné deux fois à perpétuité
Au terme de deux semaines de procès, Marc Moinard requiert la peine de mort, tout en sachant qu'elle ne sera pas appliquée, car François Mitterrand vient d'être élu président de la République. La peine de mort est abolie le 9 octobre 1981.
Me Jean-Louis Pelletier plaide l'innocence de son client, pointant le manque de preuves physiques et le fait que personne ne l'ait formellement reconnu. Le 10 juin, au terme de six heures de délibération, le jury rend son verdict. La cour d'assises condamne Marcel Barbeault à la réclusion criminelle à perpétuité.
S'il n'affiche aucune réaction lorsque sa sentence est prononcée, Marcel Barbeault décide de se pourvoir en cassation. Le verdict est cassé en 1982. Et il est à nouveau jugé le 21 novembre 1983 par la cour d'assises de Beauvais. Le 2 décembre 1983, Marcel Barbeault est à nouveau condamné à la prison à perpétuité. À cette époque, il n'y a pas de peine de sûreté pour les personnes condamnées à la perpétuité en France.
Le plus ancien détenu de France
Marcel Barbeault est considéré comme le premier tueur en série français reconnu comme tel. Le terme a été inventé en 1974 par l'agent du FBI Robert Ressler, même si ces tueurs n'ont pas attendu qu'un terme soit défini pour commettre leurs meurtres.
En mars 2024, Marcel Barbeault est toujours incarcéré à la maison centrale de Saint-Maur, dans l'Indre. À 82 ans, dont plus de 47 années passées derrière les barreaux, il est le plus ancien détenu de France. Il a toujours clamé son innocence. Les familles des victimes n'ont jamais su pourquoi il avait perpétré ces assassinats.
Daniel Neveu a confié au Parisien être persuadé que Marcel Barbeault est l'auteur du coup de fil anonyme le dénonçant en 1976 et qu'au moment où il l'a arrêté, le "tueur de l'ombre" préparait un nouveau meurtre.