Rébecca Chaillon, metteuse en scène originaire de l'Oise, présente son spectacle "Carte noire nommée désir" au festival d'Avignon. Elle y explore le thème du désir par le prisme d'une femme noire en France.
Rébecca Chaillon n'a pas peur de faire entrer la politique au théâtre. Spectacle après spectacle, la metteuse en scène et comédienne bouscule son public, le force à remettre en causes ses préjugés, l'invite à déconstruire ce qu'il croit savoir.
"Est-ce que je suis désirable dans cette population-là ?"
Après une première venue en 2019, l'artiste est de retour à Avignon cette année pour présenter Carte noire nommée désir, une performance qui réunit huit artistes noires sur scène, et qui s'attaque au thème du désir autour des femmes noires. Elle a grandi à Beauvais et s'est servie de son propre vécu et de celui des sept autres performeuses qui l'accompagnent sur scène.
"Le fait de grandir dans un endroit majoritairement blanc a retardé ma prise de conscience de femme noire, explique-t-elle. Je pense qu'il y a eu aussi pas mal de questions comme : 'est-ce que je suis désirable dans cette population-là ?' Désirable à tous les niveaux : en amitié, en amour, mais aussi dans le monde du travail et de l'éducation." Les huit artistes explorent donc leurs propres expériences personnelles du désir, du rejet de la femme noire à son hypersexualisation.
À la création du spectacle, elle partageait la scène uniquement avec sa collaboratrice Aurore Déon. En deux ans, la performance a beaucoup évolué. "Le travail avec Rébecca est foisonnant, très joyeux, très libérateur. Elle s'inspire beaucoup de nous et de ce qu'on est pour travailler. C'est très collaboratif aussi, parce qu'on discute énormément de ce qu'on veut faire, de comment on veut l'aborder, des images qu'on a envie de créer."
"Une vision du monde qui nous bouscule, nous fait repenser nos préjugés"
Une méthode de travail en accord avec le combat de Rébecca Chaillon : donner la parole aux personnes habituellement invisibilisées dans la société. Car elle n'en est pas à son coup d'essai. Depuis des années, elle propose des œuvres qui s'attaquent frontalement aux discriminations, qu'elles portent sur la couleur de peau, l'orientation sexuelle, le genre ou l'apparence physique. La mise en scène en elle-même est militante : dans ce spectacle, le public est scindé. Des sièges sont installés derrière le plateau, et les femmes noires et métisses afro-descendantes du public sont invitées à s'y installer. "Je me sens un petit peu responsable de créer des spectacles et des espaces où ces personnes-là se sentent invitées, vraiment", justifie-t-elle.
Tiago Rodrigues, le nouveau directeur du festival d'Avignon, est conquis par cette audace et cette originalité.
"Rébecca Chaillon est une des grandes artistes du présent et de l'avenir de la scène française (...), c'est une artiste absolument essentielle"
Tiago Rodrigues, directeur du festival d'Avignon
"Le théâtre, c'est une pluralité de choses : ça peut être le plaisir absolument délicieux de voir quelque chose qu'on trouve très beau, mais ça peut être aussi une démarche qui nous interpelle, qui nous trouble. (...) Je pense que Rébecca Chaillon a cette énorme capacité de rendre compatibles une grande beauté, une poésie et une démarche artistique avec une déclaration politique, une vision du monde qui nous bouscule, nous fait repenser nos préjugés, notre façon d'être dans le monde", estime-t-il.
En proposant ce spectacle, le festival d'Avignon offre une belle caisse de résonance au message que Rébecca Chaillon veut faire passer. "Je suis contente que le festival nous offre cet espace-là. Je le prends comme si c'était pour moi et pour toutes les autres personnes qui n'ont pas souvent leur place sur les plateaux pour porter des récits différents, politiques, énervés."
Avec Mathieu Maillet / FTV