Après la découverte d'un foyer de fièvre catarrhale ovine en Belgique, près de la frontière, le ministère de l'Agriculture a annoncé la mise en place d'une "zone régulée" dans laquelle les éleveurs sont soumis à des restrictions. Pour sortir leurs bêtes de la zone, ils doivent les désinsectiser et les faire tester. Du travail et des dépenses supplémentaires qu'ils n'avaient pas prévus.
Chaque brebis défile sagement devant Emmanuel Fontaine, qui applique sur leur laine une dose précise de produit insecticide. Pour traiter tout son cheptel, dispersé en plusieurs lots sur la commune de Barisis-aux-Bois dans l'Aisne, il lui faudra 350 euros de produits et quatre heures de travail. "Et encore, j'ai un petit troupeau !, lance-t-il. Pour mes collègues qui ont 600 brebis, ça prend la journée de travail." Opération à renouveler dans quinze jours.
Objectif de désinsectisation : éviter l'infestation de culloïdes, des petits moucherons qui peuvent transmettre aux ruminants le virus de la fièvre catarrhale ovine (FCO). S'il n'est pas transmissible à l'homme, il peut causer de nombreux symptômes aux ovins, bovins et caprins, pouvant aller jusqu'à la mort.
Une fois toutes les bêtes traitées, reste à espérer qu'il ne pleuve pas dans les heures qui suivent : la pluie laverait tout le produit sur les bêtes, et forcerait l'éleveur à recommencer.
Des mesures de protection face à une nouvelle souche
Deux sérotypes (ou souches) de cette maladie sont déjà présentes en France, le BTV4 et le BTV8. Mais depuis quelques mois, c'est le BTV3, un nouveau sérotype a priori plus virulent, qui se répand dans le nord de l'Europe. "Nos homologues belges ou néerlandais nous expliquent avoir des gros taux de mortalité, donc on est très préoccupés de ce point de vue là", s'inquiète Emmanuel Fontaine.
Car cette nouvelle souche semble se rapprocher de nos frontières. La découverte, fin juillet, d'un foyer de contamination de cette nouvelle souche dans la ville belge de Chimay, à la frontière avec la France, a poussé le ministère de l'Agriculture à prendre des mesures. Il a défini une "zone régulée", dans un périmètre de 150 km aux alentours du foyer, c'est-à-dire dans quelque 5 300 communes françaises.
Si les éleveurs veulent faire sortir leurs bêtes de ces zones, pour les vendre ou participer à une foire expo par exemple, ils doivent se soumettre à plusieurs étapes. Elles doivent avoir fait l'objet d'un traitement de désinsectisation moins de deux semaines avant leur départ, et avoir été testées négatives au virus. Un test par prélèvement sanguin très règlementé : "Il faut qu'un vétérinaire se déplace pour attester la véracité de l'animal prélevé, et envoyer le test dans un laboratoire agréé, décrit Emmanuel Fontaine. Il y a toujours de l'inquiétude à ce moment-là, car à partir du moment où on teste, on peut trouver. Et si un animal est positif dans l'élevage, ça verrouille toute l'activité économique, puisqu'aucun animal ne pourra sortir tant que celui-là n'est pas assaini."
Des restrictions nécessaires, mais coûteuses et contraignantes
Si les éleveurs ont conscience qu'il est question de la santé de leurs bêtes, et que la précaution est nécessaire, cela engendre des contraintes supplémentaires que les éleveurs n'avaient pas vraiment prévu. "Désinsectiser, à la limite, c'est du temps à passer, mais ça ne coûte pas encore trop cher, explique Benoît Smessaert, éleveur à Catigny, dans l'Oise, en zone régulée. En revanche, la prise de sang, c'est un véto qui vient, et des frais de laboratoire pour lesquels il faut compter entre 20 et 25 euros par bête..."
Pour lui, c'est un double coup dur. Déjà, parce qu'il vend régulièrement en baie de Somme, qui, à quelques dizaines de kilomètres près, se trouve hors de la zone régulée. "C'est à 100 km, mais s'ils veulent un bélier, je ne peux pas leur vendre ! Heureusement que j'en ai vendu beaucoup juste avant", confie-t-il. Mais surtout, il s'apprêtait, justement, à envoyer cinquante femelles à un acheteur dans le centre de la France. Le voyage était prévu la semaine prochaine, il n'aura d'autre choix que de le reporter, le temps de désinsectiser et faire tester ses bêtes. "Il faut que j'en parle avec l'acheteur, mais le prix était déjà convenu. Je vais voir s'il peut en prendre 30% à sa charge, et les deux tiers restants, ce sera pour moi", indique-t-il, de la résignation dans la voix.
Dans l'attente d'un vaccin
Il attend, surtout, le vaccin capable de protéger les bêtes de ce nouveau sérotype, comme il en existe déjà pour le BTV4 et le BTV8. "Il faut qu'on nous donne accès très rapidement au vaccin", insiste-t-il. Même s'il craint qu'une rupture de stock survienne rapidement. "Déjà, quand on veut vacciner sur le 4 et le 8, il y a énormément de ruptures. Il faut s'y prendre quatre ou cinq mois avant", regrette-t-il. L'État assure avoir passé les commandes et fait des stocks, mais n'a pas encore donné de précisions sur les modalités de distribution. D'après la Fédération nationale ovine, 600 000 doses de vaccin ont été réservées pour la filière.
Même s'il s'interroge sur les conséquences du vaccin sur ses femelles enceintes, Emmanuel Fontaine, l'éleveur axonais, attend lui aussi avec impatience les annonces du ministère. "La vaccination est présentée comme un remède contre la maladie, mais elle n'est pas encore disponible et on ne connaît pas le coût. Si les éleveurs situés dans la zone régulés vaccinent par la réserve nationale de doses, le vaccin sera gratuit, mais pas l'acte vétérinaire", souligne-t-il.
Heureusement, le virus n'est pas transmissible à l'homme. D'après le ministère de l'Agriculture, il n'a pas non plus d'incidence sur la qualité sanitaire de la viande ou du lait. "Le consommateur n'a rien à craindre, si ce n'est de voir le troupeau dépérir et de ne plus trouver d'agneau français ou de sa région sur l'étal du boucher", souligne Emmanuel Fontaine.
Avec Mary Sohier / FTV