L'excès de pluie et le manque de soleil au printemps n'ont pas permis au blé de se développer correctement dans la région. Dans l'Oise, où les moissons ont commencé, les agriculteurs s'inquiètent pour leur rendement.
À première vue, le champ de Michel Dugrosprez, exploitant agricole près de Compiègne, a fière allure. Les épis sont courbés, ce qui laisse croire qu'ils sont bien remplis et offriront donc un bon rendement. Mais ce n'est qu'une illusion.
Des épis peu remplis et des grains maigres
"Quand je regarde mon blé, j'ai l'impression que je vais faire 90 quintaux à l'hectare, mais au final, il va faire entre 60 et 75 quintaux maximum", explique-t-il. En effritant un épi dans sa main, on constate en effet qu'il compte peu de grains. Certains sont même malades, avec un grain très maigre.
Pour estimer son rendement, il a fait appel à un expert, et le diagnostic n'est pas réjouissant. "Il a constaté qu'il n'y avait que 400 épis au mètre carrés, alors qu'il en faudrait 500. Et on est environ à 48, 50 grains par épi, au lieu de 65, 70." Ajoutez à cela un grain moins lourd que la normale, et vous obtenez une perte de rendement estimée à environ 25 %.
Un printemps trop pluvieux et peu ensoleillé
Son confrère Alain Cugnet, céréalier lui aussi, fait le même constat sur son exploitation. "La qualité n'est pas mauvaise, elle est plutôt moyenne, mais la quantité n'est pas au rendez-vous. Avec une faible quantité, ça va faire des marges très très faibles."
S'il attend les résultats des ingénieurs agronomes pour avoir une analyse précise des causes de cette mauvaise récolte, il a déjà sa petite idée. Si en temps normal, ce sont plutôt les sécheresses qui sont redoutées par les agriculteurs, cette année, c'est l'excès de pluie et le manque d'ensoleillement qui semblent fautifs. "L'automne, l'hiver, le printemps et le début d'été ont été exceptionnellement humides. On n'a jamais eu une telle quantité d'eau entre fin octobre et fin juillet. On n'avait pas vu venir les dégâts que ça fait sur les récoltes, parce que ça a perturbé le cycle végétatif, mais on ne sait pas encore bien comment."
Des conséquences financières importantes
Le céréalier espère que le fait de connaître plus précisément les facteurs qui ont mené à cette situation permettra de s'adapter à l'avenir. Mais il craint de lourdes conséquences financières pour les agriculteurs. Il explique qu'habituellement, environ la moitié du résultat de l'exploitation sert à payer les charges. Le reste constitue le revenu de l'agriculteur. "Celui qui fait 25 % de moins, il a 50 % de moins de résultats économiques qu'une année normale. Moi, je suis plutôt en fin de carrière, donc je vais m'en remettre. Mais il y en a qui viennent de s'installer, qui ont des prêts importants pour faire fonctionner leurs fermes, et eux vont avoir beaucoup de mal."
Régis Desrumaux, président de la FDSEA de l'Oise, partage la même inquiétude. "L'année 2016 avait été catastrophique en termes de rendement sur toutes les productions et on avait la crainte que ça arrive encore cette année. Malheureusement, ça se confirme", déplore-t-il.
Une année catastrophique comme ça, sur une exploitation déjà fragilisée, ça peut être la marche qu'on n'arrive pas à passer, le coup de trop.
Régis Desrumaux, président de la FDSEA de l'Oise
Il a donc écrit à la préfète de l'Oise pour l'alerter de la situation. Il craint que l'impact économique soit même plus fort qu'en 2016, car entre temps, les charges comme le gazole ont augmenté. "J'ai eu des agriculteurs en pleurs au téléphone à cause de la pression économique. Il faut absolument que l'État le prenne en compte. Une année catastrophique comme ça, sur une exploitation déjà fragilisée, ça peut être la marche qu'on n'arrive pas à passer, le coup de trop. Il faut un accompagnement des banques, mais aussi de tous les partenaires agricoles", estime-t-il.
Une baisse de rendement sur de nombreuses cultures
Il assure par ailleurs que le blé n'est pas la seule céréale impactée. "Dans toutes les cultures, que ce soit en orge d'hiver, en colza, en blé, en petits pois, on voit des rendements très hétérogènes selon les secteurs. On peut être à -25 % par rapport à l'an passé sur certains secteurs, sur d'autres ça peut être -40 %, voire -50 %, c'est catastrophique."
Et le problème dépasse les frontières de l'Oise. L'Agreste, organisme de statistique et de prospective du ministère de l'Agriculture, estimait dès le début de juillet une baisse de production autant pour le blé que pour l'orge, l'avoine ou le seigle. Pour le blé tendre, c'est une baisse moyenne de 15,4 % au niveau national par rapport à 2023. Les Pays de la Loire et la Nouvelle-Aquitaine accuseraient les plus grosses pertes. À l'échelle européenne, c'est la France qui devrait subir les baisses de rendement les plus importantes.
Avec Enza Benocci / FTV