JO de Paris 2024 : le tir à l'arc, de l'époque médiévale à sa forme actuelle, une tradition picarde qui a traversé les siècles

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L'histoire du dimanche - Pratique ancestrale devenue une discipline de loisir développée, le tir à l'arc a toujours été intimement lié à la Picardie. La région façonne les champions internationaux, avec un nombre important de compagnies et de clubs. À l’image de Thomas Chirault, athlète olympique, et de Guillaume Toucoullet, athlète paralympique, qui seront tous deux présents aux Jeux de Paris 2024. Retour sur plusieurs siècles de transmission.

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"On n’a pas d'acte d'archives qui nous dit : 'nous sommes la première compagnie du royaume de France' mais c'est sûr, c'est dans la Picardie qu'il y en a le plus", affirme Marie Adamski, chargée des collections au musée de l’archerie et du Valois, à Crépy-en-Valois.

En 2024, les trois départements picards, au même titre que le reste des Hauts-de-France et de l’Île-de-France, abritent un très grand nombre de compagnies d’arc. Ce sont d’anciennes structures ayant influencé l’évolution du tir à l’arc. Marie Adamski s’appuie sur les premières sources d’information qui se sont intéressées à l'histoire de l'archerie. "Au XIXe et au XXe, toutes notent, dans cette région particulièrement, énormément de compagnies d'arc. Elles disent que c’est là qu’elles ont été créées. Et toujours de nos jours, que ce soient des compagnies existantes ou disparues, il y a des traces toponymiques dans quasiment tous les villages avec une rue des jeux d'arc, une rue de l'arc."

Ce phénomène s’explique notamment par la géographie du Valois, terre royale au Moyen Âge, qui s’étendait jusqu’au nord de Paris, entre l’Oise et l’Aisne. C’est donc dans cette zone que les nouvelles coutumes se développent à cette période.

L’époque médiévale, l’âge d’or du tir à l’arc

Avant de voir cette pratique se développer spécifiquement dans l'Oise, l’arc, dont le plus ancien retrouvé date de -12 000 ans, connaît son âge d’or en France à l’époque médiévale. Il est utilisé comme arme, entre le XIVe et le XVe siècle, lors de la guerre de Cent Ans.

Sandra Camino, médiatrice culturelle au musée de l’archerie et du Valois, raconte : "Au Moyen Âge, les Anglais ont eu un coup d'avance. Au début de la guerre de Cent Ans, ils ont incorporé des corps d’archers. Lors de certaines grandes batailles, comme Crécy ou Azincourt, les Français se sont rendu compte" de l'avantage de leurs ennemis.

Il faut attendre 1448 pour voir la création d’un corps des Francs archers par Charles VII. Marie Adamski souligne sa maigre existence, "à peine 50 ans". Cet organe militaire est dissout en 1481. Mais il ne faut pas attendre la fondation de celui-ci pour voir des premières structures d’archers s’organiser dans le royaume de France. Des milices "prennent leur essor" dans les villes et coordonnent la défense de ces dernières. "Ce n'était pas du tout intégré au niveau royal, dans l'armée", précise Marie Adamski. Elles sont gérées par les nobles du territoire.

D’arme de guerre à arme de loisir, la croissance des compagnies d'arc en Picardie

Les arquebuses prennent le pas sur les arcs avec l'évolution technique des armes à feu. Marie Adamski parle d’un point de bascule pour l’archerie qui change de fonction et rentre dans le domaine du jeu. "La noblesse et la bourgeoisie continuent à faire de l’arc, pour leur loisir."

Au XVIIIe siècle, des compagnies d’arc, dont des traces plus anciennes existent, connaissent un essor important. Elles vont structurer le jeu. Elles s’organisent autour "des codes militaires" d’antan. "Vous avez des capitaines, des chevaliers d’arc. Vous avez toute une terminologie qui se rapporte à l'usage militaire ancien de l'arc", narre la chargée des collections au musée de l’archerie et du Valois.

Appelées également "sociétés de tir", elles agglomèrent une véritable vie sociale. Des tirs sont organisés pour des fêtes, tout au long de l’année. Lors de la Révolution, en 1789, elles sont dissoutes, avant de réapparaître quelques années plus tard, au début du XIXe siècle.

Sandra Camoni rapporte que ces lieux tiennent des registres. On y retrouve "la vie de la compagnie, chaque réunion, les événements, les décès...". Leur réapparition est un "acte fondateur", notamment en Picardie, où elles sont encore nombreuses à exister en 2024.

La compagnie d’arc de Soissons a permis la fondation d'autres compagnies.

Marie Adamski

Chargée des collections au Musée de l’archerie et du Valois, à Crépy-en-Valois

Quand Marie Adamski est arrivée au cœur du pays d’arc, dans l’Oise, elle avoue avoir été "marquée" par cette spécificité régionale. "Les gens me disaient : 'mon grand-père, ma grand-mère, tirent à l’arc'." L’un des derniers décomptes, en 2021, recensait plus de 200 compagnies dans les Hauts-de-France. Sur son site, la FFTA en évoque 73 pour le seul département de l’Oise.

Autre preuve de cet ancrage, l’organisation annuelle du bouquet provincial. Sandra Camino explique que "c'est la grande fête de l'archerie. Elle regroupe toutes les compagnies d'arc de France [...] Et c'est très rare, voire plus qu'exceptionnel, quand ça n'a pas lieu dans la région."

La compagnie de Soissons, dans l'Aisne, se revendique comme "la plus ancienne" créée "en 835". Marie Adamski temporise en soulignant le manque "de preuves continues de l'existence de cette compagnie. Il y a des archers effectivement à cette date-là, mais ça ne veut pas dire qu’il y a eu une compagnie constamment existante."

Seule chose certaine, "c’est une compagnie très ancienne". Après la Révolution, elle a été reformée en 1886. "Elle a permis la fondation d'autres compagnies. Car pour en créer une, il faut être coopté en quelque sorte. Ce qui est vrai, c'est qu’elle est un peu la compagnie mère dans la région de beaucoup d'autres."

Marie Adamski note également l’importance de la compagnie de Soissons, par sa possession des reliques de Saint-Sébastien, le saint patron des archers. "C'est pour ça qu’elle est un peu compagnie capitaine. [Ses membres, ndlr] ont créé une confrérie pour protéger les reliques, présentes à tous les bouquets provinciaux."

Chaque olympiade avait sa propre règle de tir et c'est ça qui a mis fin au tir à l'arc [en 1920]

Marie Adamski

Chargée des collections au Musée de l’archerie et du Valois, à Crépy-en-Valois

En 1896, les Jeux olympiques de l’ère moderne font leur apparition et durant la deuxième édition à Paris, le tir à l’arc voit le jour. Marie Adamski indique que durant les premières olympiades, "chaque pays met ses disciplines. En 1900, il y en a pas mal, avec différents types de comptage de points, de distances. Chaque olympiade avait sa propre règle de tir et c'est ça qui a mis fin au tir à l'arc".

Les Jeux d’Anvers, en 1920, sont les derniers avant le renouveau de ce sport comme on le connaît aujourd’hui. "Le comité d'organisation voulait une règle commune". Il a fallu attendre plusieurs dizaines d'années pour que les pays s'entendent sur un format de règles communes et une discipline rassemblant le plus grand nombre. "Cela a mis un certain temps pour être validé et réintégré comme épreuve. À partir de 1972."

Concrètement, lors des Jeux de Paris de 1900, ce sont les anciennes pratiques, que l’on retrouve dans les compagnies d’arc, qui sont utilisées. Le tir Beursault et le tir à la perche. Le premier consiste à effectuer un tir à 50 mètres. "On tire une flèche dans un sens. On va chercher sa flèche sur la cible, on retire dans l'autre sens dans une autre cible. Il y a deux cibles qui sont face à face, le long d'un grand couloir et on tire en alternance sur l'une et sur l'autre, en alternant 40 flèches généralement", explique Marie Adamski. "On pense que les premiers entraînements sont dans les châteaux, d’où ce long couloir de tir."

Le second, le tir à la perche, est issu d’une tradition des compagnies d’arc. Une fois par an, "on place en haut d'une perche, traditionnellement, ou maintenant plus souvent par manque de place, au centre d'une cible, un petit oiseau en bois que chacun essaie de viser à tour de rôle. Le premier qui le fait tomber devient le roi de la compagnie. Ça lui ouvre des droits et des devoirs pour un an."

Pour les Hauts-de-France et l’Oise en particulier, il y a une caractéristique d’une surreprésentation très nette de médaillés en tir à l’arc.

Stéphane Gachet

Auteur du livre, "JO d’été, tous les médaillés français de 1896 à nos jours"

Depuis 1900, les archers picards se sont illustrés. "Pour les Hauts-de-France et l’Oise en particulier, il y a une caractéristique d’une surreprésentation très nette de médaillés en tir à l’arc", constate Stéphane Gachet. En écrivant le livre, "JO d’été, tous les médaillés français de 1896 à nos jours", il s’est intéressé à l’ensemble des médaillés français, depuis le début des Jeux de l’ère moderne aux derniers Jeux de Tokyo 2020. Il a recensé 1266 médaillés olympiques au total. Ses recherches lui ont permis d'établir une cartographie des médaillés par territoire.

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Lors des Jeux de Paris de 1900, ce sont les anciennes pratiques du tir à l'arc qui sont utilisées. Le tir Beursault et le tir à la perche. ©INA

Le passionné d'histoire a découvert l’Oise comme "un terrain propice à l’émergence de champions parmi les archers". 38 % des médailles du département sont issues du tir à l’arc. Depuis le début des Jeux de l’ère moderne, le tir à l’arc a offert 24 médailles olympiques à la délégation française obtenues par 21 hommes et 3 femmes. 14 ont été le résultat de tirs picards.

"Quand on regarde plus finement, on s’aperçoit que les Hauts-de-France sont la première région française à avoir donné naissance à des médaillés en tir à l’arc", souligne Stéphane Gachet. Huit contre sept pour l’Île-de-France. Il s'agit de la deuxième discipline ayant ramené le plus de médailles à la région, derrière l’escrime."Sur ces huit (athlètes), il y en a cinq qui sont originaires du seul département de l’Oise." Cinq hommes, tous médaillés entre 1900 et 1920, et une femme en 2008.

Julien Brulé, un des plus grands athlètes olympiques de l'Oise

Les athlètes d'avant la forme actuelle du tir à l'arc ont plusieurs choses en commun. En premier, leur origine géographique. Ils sont tous nés dans l’Oise, "tous dans des petites communes", dans un secteur délimité entre Creil, Compiègne et Noyon, un rayon d’environ 60 km. Par ailleurs, Stéphane Gachet remarque qu’ils présentent un portrait-robot "assez différent des médaillés olympiques" contemporains du début du XXe siècle, "qui en général, viennent de grandes villes. Et pour le tir à l’arc, les choses sont assez différentes. C’est plus un sport de province et des campagnes", décrit-il. "Contrairement à beaucoup d’autres, ce sont des gens issus de la classe populaire. Le sport est une affaire de classe de privilégiés." Mais eux sont brassier, bourrelier, repousseur, ou encore menuisier.

Dans ses recherches, Stéphane Gachet a été marqué par le profil de Julien Brulé. "Il est pour l’Oise un des plus grands noms à ma connaissance."

Son palmarès est impressionnant. Il figure encore en haut de certains tableaux. "Il a eu cinq médailles durant les mêmes jeux olympiques" d’Anvers en 1920, soit le français le plus médaillé en une seule édition, avec Roger Ducret (en escrime, en 1924). Une performance égalée près d’un siècle plus tard, lors des Jeux d’hiver 2022, par Quentin-Fillon Maillet en biathlon. Et qui pourrait être battue par Léon Marchand, jeune phénomène mondial de la natation.

J’ai choisi Compiègne parce que c’est un peu la Mecque du tir à l’arc.

Guillaume Toucoullet

Athlète paralympique des Jeux de Paris 2024

Le fait que l’Oise soit une terre ancestrale du tir à l’arc attire les meilleurs. Le choix de Guillaume Toucoullet, n°2 mondial de para-tir à l’arc, illustre ce constat. Éliminé lors des seizièmes de finale des Jeux paralympiques de Tokyo, en 2020, en ayant le statut de n°1 mondial, il explique qu’il "ne connaissait pas assez bien la pratique, le matériel."

À l’époque, il en faisait surtout pour lui, sans s’intéresser à l’histoire de la discipline. Après le résultat en 2020, "j’ai bien conscientisé ça, et je me suis dit : il faut que je fasse plus de tir à l’arc". Après réflexion, il a donc répondu favorablement à l’appel de son entraîneur en équipe de France et également coach aux archers de Compiègne pour tirer sous de nouvelles couleurs. Il explique cela simplement : "j’ai choisi Compiègne parce que c’est un peu la Mecque du tir à l’arc".

Guillaume a pu juger l'importance de cette spécificité isarienne lors du championnat régional de 2023. "Quand je suis rentré dans cette salle et que j’ai vu tous ces archers de la région tirer, je me suis dit c’est un autre niveau que chez nous."

Une Picarde à l'origine de la première médaille olympique féminine du tir à l'arc

Picarde d’origine, née à Pont-Sainte-Maxence, Sophie Dodémont le confirme : "la Picardie, c’est le berceau du tir à l’arc". Elle explique "qu’il y avait un jeu d’arc dans pratiquement toutes les villes et les villages", quand elle était petite. Elle-même a évolué dans différentes compagnies, à Rieux, à Fleurines puis à Compiègne, avant d’arriver dans le Val d’Oise.

Elle rapporte également que "beaucoup d’entraîneurs internationaux actuels sont de Picardie". Preuve de la reconnaissance de l’école picarde à très haut niveau. Durant ces années d’expérience, elle s’est essayée quasiment à toutes les disciplines du tir à l’arc. Dont le tir Beursault. Elle fait partie de ceux qui ne trouvent pas cette spécialité "très passionnante", mais elle s’y astreint de temps en temps afin de travailler la concentration et la précision que demande cette version du tir à l’arc.

L’athlète de 50 ans s’est construit un immense palmarès. Deux fois championne d’Europe par équipes et une fois championne du monde en individuel, elle a également marqué l’histoire olympique, avec ses deux coéquipières, Bérengère Schuh et Viriginie Arnold. En reportant la première médaille féminine française dans le tir à l’arc et la première médaille olympique pour la délégation française, en 2008. "Un rêve de sportive" et qui restera "gravé tout le temps".

En 2024, l'Oise a su relier le passé et le futur du tir à l’arc. Les archers de Compiègne est le lieu d'entraînement des archers des équipes de France actuelles. C'est un site d'exception répondant aux exigences internationales et olympiques.

Et les jeux d'arc continuent à prospérer dans certaines communes. Dans quelques semaines, Thomas Chirault et Guillaume Toucoullet seront les acteurs et les successeurs de cette longue tradition picarde.

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