Bien avant la naissance du football et du rugby, la choule se jouait en France dès le Moyen Âge. Une tradition très appréciée dans les villages picards. Bien loin des règles strictes des sports actuels, tous les coups étaient permis. Certains participants y laissaient même la vie. (Première publication le 27/11/2022).
Le football possède plusieurs ancêtres. Des jeux pratiqués en Chine au IIIe avant J.-C., dans la Grèce antique ou durant l'Empire romain. La choule picarde, appelée aussi soule, en fait assurément partie.
"Pour beaucoup de monde, aucun jeu n'est plus anglais que le football, c'est pourtant une erreur, le football est français et je pourrais même dire picard", va jusqu'à écrire un conférencier des Rosati Picards, Joseph Boulanger, en 1903.
Sans tomber dans l'excès de chauvinisme, il est vrai que le football, comme le rugby, s'est inspiré de ce jeu pratiqué dès le XIIe siècle, en Picardie mais aussi en Normandie et en Bretagne. "Il est probable que le mot de choule dérive du latin solea (sandale ou soulier) parce que, dans l’origine, le ballon était toujours poussé avec le pied", suppose Marcel Hemery, dans un article sur le jeu de la choule dans l'Oise publié dans le Bulletin folklorique d'Île-de-France édité par la Fédération des groupements folkloriques d'Île-de-France en 1946.
Ceci étant, nous sommes loin des règles appliquées de nos jours. Dans la choule, pas de hors-jeu, ni de carton jaune : absolument tous les coups sont permis. Et cela peut parfois aller très loin...
Un événement qui avait lieu une fois par an
Les origines de la choule remontent au Moyen Âge. "Le plus ancien document que nous ayons pour nous renseigner est une histoire du comté de Guînes par Lambert, curé d'Ardres, bourg picard des environs de Calais. Cette histoire va de l'an 800 à l'an 1200, et Lambert, d'Ardres, nous dit que le comte de Guînes faisait choler quand il lui plaisait, ce qui prouverait qu'on jouait à la choule à Guines au XIIe siècle", explique Joseph Boulanger dans sa conférence en 1903.
Le jeu a perduré ensuite durant plusieurs siècles, en général une fois par an : soit à mardi gras, soit le premier dimanche de carême ou encore à Noël. Avec parfois interdiction de jouer un autre jour que celui qui était prescrit comme l'indique par exemple un article des coutumes d'Amiens de 1507.
"Le jour de la choule était très attendu à cette époque ; on s'y préparait longtemps à l'avance et tout le village était en émoi ; aussi la partie était-elle suivie de festins où l'on buvait à la santé des vainqueurs", décrit Joseph Boulanger dans sa conférence.
Pour ce qui est du terrain, si on peut le définir ainsi, justement il n'existe pas vraiment de limitations. La choule se pratiquait généralement sur la place de l'église. Et pour ce qui est des règles, elles étaient aussi presque inexistantes.
Le ballon : une boule en cuir, voire un coq...
Ce que l'on sait, c'est que la choule se joue avec une boule en cuir, appelée le choulet, remplie soit de mousse, de foin ou gonflée d'eau. Elle pouvait être décorée aux couleurs du roi ou de la ville, quand elle n'était pas remplacée par un coq... Comme ce fut le cas à une période à Abbeville. "Vers 1158, il y avait des combats de coqs à Abbeville et l'étudiant qui, dans la nuit du mardi gras avait été nommé roi de l'école, devait apporter au maire le coq victorieux 'pour d'icelui faire la chole'", détaille Joseph Boulanger en 1903, en précisant que "ce divertissement fut supprimé par une ordonnance de police du 15 février 1464."
Dans une version moins triviale, le but est de déposer la balle dans le camp d'adverse soit avec les pieds (version foot), soit avec les mains (version rugby). Il existe également une variante, pratiquée en Normandie, où le choulet est poussé avec une crosse comme au hockey ou au criquet.
Les équipes sont généralement composées d'hommes : les mariés contre les célibataires. C'est le dernier marié de la commune qui fournit la balle, confectionnée par le bourrelier. Le maire endosse généralement le rôle d'arbitre.
La partie est ainsi décrite par le curé de Boulogne-la-Grasse, dans l'Oise, au début du XXe siècle : "La choule est jetée avec les pieds, avec les mains, par ici, par là, elle descend la rue, elle la remonte, elle est lancée dans les maisons, dans les haies, dans les jardins ; elle tombe au milieu d'un groupe de filles curieuses qui s'enfuient au plus vite. On se bouscule, on crie, on s'injurie, l'un reçoit un coup de pied dans la poitrine, l'autre a la main écrasée, celui-ci la figure ensanglantée, l'œil poché, le nez aplati pour toujours, celui-là vise un ennemi et le blesse, s'il le peut. Enfin c'est une mêlée qui n'a point de nom, mais qu'il faut voir pour la juger."
Un jeu brutal "qui convenait bien aux mœurs pleines de rudesse du Moyen Âge", souligne Marcel Hemery en 1946. Âme sensible s'abstenir donc, d'autant que les participants les plus violents peuvent aller bien plus loin.
Parfois interdit car trop violent
"Bien souvent celui qui avait une vengeance à satisfaire attendait ce jour-là, explique Joseph Boulanger dans sa conférence. Une partie de choule était occasion à règlement de compte, d'autant plus qu'un joueur qui en blessait un autre en choulant jouissait d'une certaine immunité."
En effet, les joueurs qui avaient malencontreusement, ou pas, blessé mortellement un adversaire pouvaient, dans ce cas, être graciés. "Nous en avons une preuve par les nombreuses lettres de rémission signées par les rois de France au bénéfice des chouleurs, atteste Joseph Boulanger en 1903. On voit, par ces lettres de rémission, que la choule à la crosse était de beaucoup, la plus dangereuse."
Au fil des années, le jeu a été interdit. La première interdiction daterait du XIVe siècle, en 1319. "Elle a été faite par Philippe V le Long. 50 ans plus tard, le 3 avril 1369, Charles V rendit une autre ordonnance, en son hôtel de St-Pol lez-Paris [...]. Mais l'année suivante, le même Charles V autorisa une choule pour les habitants de Condé-sur-Noireau (dans le Calvados, ndlr), en récompense du courage qu'ils avaient montré dans la lutte contre les bandes anglo-navarraises. Le droit de chouler était ainsi une récompense, ce qui prouve bien le plaisir qu'éprouvaient à ce jeu les paysans d'alors", souligne Joseph Boulanger.
Il faut dire que le jeu était déjà bien ancré dans les coutumes. "La soûle ou choule, le plus populaire des jeux de force ou d’exercice au Moyen Âge, comme les dés étaient le plus usuel des jeux de hasard, avait, de vieille date, de trop profondes racines dans presque toutes les parties du royaume, particulièrement dans les campagnes, pour que l’ordonnance de Charles V pût la détruire", commente Marcel Hemery en 1946.
En Picardie, le jeu a été interdit à Abbeville, mais aussi à Amiens. En Normandie, l'interdiction a été prononcée en 1850 par le préfet de l'Orne et en 1866 par le préfet de la Seine-Intérieure. Ceci étant, elle a réussi à s'exporter, notamment en Angleterre. Les Anglais l'auraient ainsi codifiée, donnant naissance à la fois au football et au rugby.
La choule a été de moins en moins pratiquée par la suite. En 1946, elle se joue encore dans les communes aux environs de Compiègne et notamment à Tricot.
Toujours pratiquée à Tricot dans l'Oise
C'est le seul village où l'on pratique encore la choule chaque année. À Tricot dans l'Oise, cette tradition ancestrale est perpétuée le lundi de Pâques. La choule a ainsi traversé les siècles, hormis lors des deux guerres mondiales et la pandémie de Covid. Les habitants se retrouvent tous les ans, pour partager une partie ensemble : les hommes mariés d'un côté, les célibataires de l'autre, sans que le jeu ne vire à l'affrontement violent comme autrefois. "Cette pratique a survécu à la Révolution, quoiqu’il n’y ait plus de seigneur pour y présider, et ses règles sont observées plus qu’aucune ordonnance de police", rapporte Marcel Hemery dans le Bulletin folklorique d'Île-de-France en 1946.
Le but du jeu est de lancer le choulet, rempli de son ou de crin, par-dessus le toit de l'une des deux maisons servant de buts. C'est la dernière mariée du village qui donne le coup d'envoi. Une véritable tradition, dont les habitants sont très attachée, transmise de génération en génération.