En France, 9,3 millions de personnes sont aidants, c'est-à-dire s'occupent d'une ou d'un proche en situation de perte d'autonomie. Cette situation a souvent des conséquences sur leur vie personnelle ou professionnelle. Les plateformes de répit ont pour but d'épauler les aidants, il en existe plusieurs en Picardie.
Une personne sur six aide un proche qui ne peut pas être autonome en raison de son âge, d'une maladie ou d'un handicap : ce sont les aidants. Entre 55 et 64 ans, c'est même un Français sur quatre qui devient aidant. L'aide apportée à un proche peut être psychologique, une aide à la vie quotidienne ou encore une aide financière. Les Haut-de-France sont la région où il y a le plus d'aidants, en dehors des territoires d'Outre-mer.
Des plateformes de répit pour soulager les aidants
S'occuper de l'autre peut avoir des conséquences. D'après une étude réalisée en 2021 par DREES (direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques) les aidants se déclarent en moins bonne santé que la moyenne. Un baromètre publié en 2016 estime qu'un tiers des aidants meurt avant la personne aidée.
Alors, pour améliorer les conditions de vie des aidants et les soutenir, des plateformes de répit existent dans l'Aisne, l'Oise et la Somme. Leurs équipes sont à l'écoute des aidants, peuvent trouver des intervenants à domicile pour les soulager et proposent des activités ainsi que des solutions de répit temporaires.
Ce vendredi 6 octobre, la ministre de la Santé et des Solidarités Aurore Berger annonçait la création de 6000 places supplémentaires de répit.
Un accompagnement construit avec l'aidant
Les plateformes de répit proposent des accompagnements adaptés aux besoins de chacun. "L’accompagnement peut aller d’une simple demande de renseignement pour mobiliser les aides financières et être accompagné au quotidien, jusqu’à un accompagnement plus poussé, sur des proches aidants en difficulté, à risque d’épuisement, qui ont besoin de retrouver du temps pour eux" détaille Christelle Jobert, cadre de direction et coordinatrice de la plateforme de répit de l'hôpital de Villiers Saint-Denis, qui accompagne environ 300 aidants sur 271 communes de l'Aisne.
Cette plateforme propose donc l'aide d'une assistante sociale pour les démarches administratives, mais aussi celle de psychologues,"car arriver dans une démarche de répit nécessite de travailler dans une démarche de déculpabilisation, pour arriver à prendre du temps pour soi", complète Christelle Jobert.
C’est du temps, de l’espace pour eux et aussi retrouver le proche malade
Laura Benghozi, psychologue de la plateforme de répit de l'hôpital de Villiers Saint Denis
Des activités de bien-être, créativité ou sport sont proposées l'après-midi pour que les aidants puissent prendre une parenthèse. Dans certains cas, ces activités peuvent se faire avec le proche aidé. Des cafés des aidants ont lieu trois fois par mois dans différentes communes. La plateforme peut trouver des solutions de transport pour que les aidants puissent participer aux activités.
Une aide médico-psychologique intervient pour une prise en charge à domicile, pour des périodes de 3 heures à 6 heures, afin que l'aidant puisse prendre un temps pour lui. Les aidants peuvent également bénéficier d'ateliers pour prendre soin de leur propre santé, sur les thèmes de la nutrition, du sommeil ou encore de l'activité physique.
Si l'aidant ne fait pas la démarche lui-même, les équipes de soin à domicile peuvent solliciter les plateformes de répit avec son accord. Dans l'Aisne, un programme de formation pour reconnaitre les signaux d'alerte de l'épuisement des aidants est proposé à certaines équipes d'aide à domicile, afin de favoriser les prises en charge précoces.
"Redécouvrir des moments de détente et de loisir"
"Généralement, les problématiques sont l’isolement, la fatigue, le fait de se sentir dépassé. La difficulté des démarches administratives aussi, constate Laura Benghozi, psychologue de la plateforme de répit de l'hôpital de Villiers Saint-Denis. Il leur faut avant tout être écoutés, déculpabiliser l’aidant de ses colères, de ses fatigues, malgré l’amour qu’il ou elle porte au proche aidé. Ce sentiment de culpabilité est commun à tous, à différentes périodes : soit au début au moment du diagnostic, soit face aux troubles de comportement quand ils ne reconnaissent pas l’autre, ou encore au moment du décès."
Les activités et l'écoute améliorent le quotidien, car "c’est du temps, de l’espace pour eux et aussi retrouver le proche malade, cela aide à redécouvrir des moments de détente et de loisir, au-delà des moments de soin."
Les plateformes de répit peuvent ainsi accompagner les aidants après la disparition du proche aidé. "Le décès est toujours quelque chose de très compliqué, après la perte d’autonomie, cela fait des années qu'ils se conçoivent en tant qu’aidant, souligne Laura Benghozi. Quand le proche décède, c’est toute une vie, une identité à reconstruire, sachant qu’en général, les personnes sont déjà âgées."
Les psychologues de cette plateforme de répit proposent donc des accueils collectifs ou individuels. Ils peuvent aussi orienter les aidants vers des thérapeutes pour prendre en charge des problématiques autres que celles liées à la situation d'aidant : les plateformes de répit sont des passerelles vers les prises en charges possibles par ailleurs.
Quelques jours pour souffler : le séjour de répit
À Saint-Just-en-Chaussée dans l'Oise, Catherine Lelièvre accompagne son mari touché par la maladie d'Alzheimer depuis huit ans. Son époux Jean-Pierre est en accueil de jour deux fois par semaine, mais le quotidien reste lourd. "Le matin, vous vous levez, vous déjeunez, vous buvez votre café et vous avez un coup de blues, reconnait Catherine Lelièvre. Vous dites "qu'est-ce qui va encore se passer aujourd'hui, qu'est-ce qu'il va encore dire, encore faire ?", il y a beaucoup d'angoisse..."
Certains nous ont dit qu'ils avaient fait une sieste alors que ça fait des mois qu'à la maison, ce n'est pas possible.
Pauline Massin, infirmière coordinatrice de la plateforme de répit Aalis
Catherine Lelièvre n'a pas pris de vacances depuis son diagnostic, jusqu'à ce mois septembre, où elle a pu partir quatre jours, en compagnie d'autres aidants et des proches qu'ils aident. Un séjour de répit qui allège aidants comme aidés et dont le financement est totalement pris en charge.
"Ils ont le sourire aux lèvres du matin au soir, se réjouit Pauline Massin, infirmière coordinatrice de la plateforme Aalis. Certains nous ont dit qu'ils avaient fait une sieste alors que ça fait des mois qu'à la maison, ce n'est pas possible. Certains aidés font des choses qu'ils ne font pas à la maison, leur toilette par exemple. Nous, en tant que soignants, voir le sourire sur leurs visages, c'est une très belle récompense."
"On peut parler à d'autres personnes, ça fait du bien"
"On rigole et on peut parler à d'autres personnes, ça fait du bien" salue Marie Morgand, une autre aidante participant au séjour. "Ce n'est pas mon Jean-Pierre que je connais, sourit Catherine Lelièvre, là, il parle, il mange bien, il est calme."
Ces moments de légèreté sont aussi un moyen de lier des amitiés, précieuses face à l'isolement. "On se retient à ces quelques branches", souligne Marie Morgand. "Elle m'a envoyé une invitation sur Messenger, rebondit Catherine Lelièvre. Je lui ai demandé si je pouvais l'appeler, on s'est appelées tout de suite, on n'est pas loin l'une de l'autre." "On va continuer à se soutenir", conclut Marie Morgand.
Une dynamique que constate aussi la psychologue Laura Benghozi : "Le proche aidant, quand les troubles ou la maladie avancent, se retrouve de plus en plus isolé. C’est compliqué de sortir avec son proche malade. Notre objectif est de rompre cet isolement. Le fait d’échanger sur les difficultés à venir aux activités de répit, d’être ensemble sur des temps donnés, de partager ces expériences difficiles qui sont une problématique commune, on voit vraiment que ça leur fait du bien."
"On voit des vraies relations d’amitié qui se créent, en dehors des activités proposées, c’est l’un des objectifs" renchérit Christelle Jobert. Des liens essentiels pour rester en bonne santé, l'OCDE estime par exemple que 20% des aidants développent des problèmes de santé mentale.
Si la reconnaissance des droits des aidants et les offres d'accompagnement ont considérablement progressé depuis la loi d'adaptation de la société au vieillissement de 2005, "il faudrait pouvoir proposer une offre de répit qui soit plus diversifiée et plus accessible financièrement", reconnait l'un des professionnels interrogés, ajoutant qu'il reste encore des efforts à faire pour toucher les publics les plus isolés.