Éco-pâturage. Les brebis de retour en forêt d'Ermenonville : "la priorité, c'est d'avoir un effet positif sur les milieux et les espèces"

Pour la deuxième année consécutive, près de 140 brebis vont paître en forêt d'Ermenonville, dans l'Oise. Testé jusqu'en septembre, le pâturage itinérant s'avère plus efficace et moins impactant pour la préservation des espèces animales et végétales.

La forêt domaniale d'Ermenonville renoue avec l'éco-pâturage. Cette ancienne méthode d'élevage a façonné les paysages et les milieux naturels de cette partie du massif des Trois Forêts. Ainsi, depuis le début du mois de juin jusqu'au mois de septembre, près de 140 brebis paissent dans différentes parcelles de la forêt.

L'objectif de cette opération est de préserver les espèces animales et végétales typiques des landes et pelouses sèches, un patrimoine naturel rare en région Hauts-de-France. Ce projet, mené de concert entre l'Office national des forêts (ONF), le Conservatoire d'espaces naturels Hauts-de-France (CEN) et le Parc naturel régional Oise-Pays de France (PNR), permet aussi de soutenir un couple de bergers qui souhaitait faire du pâturage itinérant. Un choix mûrement réfléchi pour Sandra et Benoît Mangin, installés à leur compte depuis un an : "on a choisi cette technique pour des raisons d'une part de goût, justifie le berger, d'autre part de contraintes. De goût parce que c'est comme ça que mon épouse et moi comptions élever des animaux et qu'il n'était pas question d'avoir ni des terres en propriété ni des terres en bâtiments". C'est ainsi qu'en 2022, les bergers ont soumis leur projet à l'ONF et le CEN, qu'ils n'ont eu aucun mal à convaincre.

Echange de bons procédés

"De fait, on est déjà partenaire avec le CEN et le PNR sur un site de la forêt qui va devenir prochainement une réserve biologique, admet Manon Frangeul, chef de projet environnement à l'ONF. Donc un espace en forêt voué à la conservation d'habitats et d'espèces rares ou menacées. C'est un espace ouvert, composé de landes et de pelouses sur sable, qui demandent un entretien particulier. Ces milieux ont été maintenus ouverts pendant des siècles par l'activité d'élevage de pâturage extensif faite en forêt. Une pratique qui n'a plus lieu. Donc, nous, en tant que gestionnaires, on était forcés de faire des travaux artificiels de maintien de la lande ouverte avec des engins mécaniques ou en manuel. C'était très long et fastidieux. C'est pour ça qu'on a décidé d'essayer de revenir à cette pratique d'éco-pâturage. Grâce à elle, on maintient les espèces dans un lieu de vie qui leur convient, comme gîte et comme couvert. C'était un échange de bons procédés".

Testé l'an dernier, ce pâturage a duré vingt jours, entre août et septembre, seulement sur la zone classée "réserve biologique dirigée" de la Haute-Chaume. Les bergers étaient alors accompagnés d'une soixantaine de brebis.

"C'est très encadré"

Cette fois, le couple revient avec un troupeau de plus de 130 ovins. Et comme les brebis ont besoin de landes, mais aussi d'espèces d'herbes plus nutritives, l'ONF a étendu le pâturage à toute la forêt d'Ermenonville, une aubaine pour les animaux. "Ça leur apporte une tranquillité fourragère en surface et de disponibilité de fourrage, confie Benoît Magin. Ce sont aussi des parcelles qui représentent un habitat écologique appréciable pour des petits ruminants. C’est grand, c’est ombragé, c’est un lieu qui représente un certain agrément de vie pour ces animaux-là - parce qu’au mois d’août, des belles parcelles de prairie en plein soleil, non. Il faut absolument de l’ombrage : je crains beaucoup plus le chaud que le froid pour mes animaux. L’hiver, au mois de janvier, elles ont au moins 10 cm de laine... Je n’ai jamais vu des moutons souffrir du froid. Par contre, la chaleur, c’est une autre affaire." 

Arrivé début juin, le troupeau va paître jusqu'en septembre sous la houlette du Conservatoire d'espaces naturels. "Comme le patrimoine est très riche, détaille Manon Frangeul, le CEN a un temps alloué au suivi du pâturage : la priorité, c'est qu'il ait un effet positif sur les milieux et les espèces et surtout pas d'effet négatif." 

Toutes les deux semaines, le CEN met à jour une carte destinée aux bergers, pour éviter les zones de régénération forestière et protéger certaines espèces, comme l'engoulevent d'Europe : cet oiseau "niche au sol, donc ses œufs sont au sol. Il ne faut pas les écraser en pâturant. En autre faune, y a aussi le lézard des souches et comme flore, il y a la bruyère cendrée ou le genêt poilu. Pour certaines plantes, on met une clôture autour plus des signalisations pour les bergers, sur le terrain. C'est très encadré". 

Donnant-donnant

Autre contrainte, celle des déplacements du troupeau. Certains jours, les animaux sont parqués sur un bout de parcelle, d'autres, ils se déplacent parce qu'il y a nécessité de marcher sur les chemins sableux : "il y a des espèces qui se mettent en place sur des milieux où le sable est mobile. C'est ce qu'on appelle des plantes pionnières. Elles poussent après une perturbation. Présentes à Ermenonville, elles sont très précieuses parce qu'elles sont devenues très rares dans les Hauts-de-France et même sur le territoire national. Le pâturage peut être une petite perturbation alors qu'un engin qui passe ou une manifestation sportive avec 1000 coureurs qui passent à la suite, là par contre, ça remue beaucoup trop le milieu naturel. Les bergers savent qu'il faut qu'ils passent sur le chemin, mais en faisant en sorte que les brebis ne s'arrêtent pas trop longtemps. Tout est cadré et sur les chemins et sur les parcelles". 

Des servitudes auxquelles se plient volontiers les bergers : "c'est donnant-donnant, assure Benoît Mangin. Nous, si on peut apporter de la valeur ajoutée à nos partenaires, à l'ONF, pour tout ce qui est entretien des parcelles et au CEN pour tout ce qui est régénération de certains milieux ou maintien d'une certaine flore, si eux y gagnent, c'est durable. Donc ça vaut le coup d'accepter un certain nombre de contraintes".

Promeneurs, la prudence est de mise

Cette discipline vaut aussi pour le public. Il est demandé aux promeneurs d'être attentifs lors des balades en forêt, et d'attacher leurs animaux en laisse, afin d'éviter tout risque d'incidents. "Il faut cadrer la circulation du public par rapport au troupeau qui n'est pas fixe, mais en itinérance. On a mis des panneaux temporaires que les bergers déplacent et on a fait une communication sur les réseaux du CEN, du PNR et de l'ONF. C'est d'autant plus important que cette pédagogie est destinée à servir sur plusieurs années puisque pour l'instant, il y a le troupeau avec les bergers et un chien Border Collie. Par contre, il n'est pas inenvisageable que si le projet se poursuit, il y ait un Patou (ndlr. chien de montagne des Pyrénées). Il faut que les gens soient très respectueux, notamment en tenant leur chien et en n'approchant pas le troupeau". 

Pour l'heure, Raga, mâle Border Collie de deux ans et demi, est seul pour accompagner Benoît et Sandra sur le terrain. Il les aide à conduire le troupeau, à regrouper les brebis, à les déplacer ou à les trier. Un travail en solitaire, mais pas pour longtemps : "on envisage d'avoir deux Patous, confirme Benoît, probablement dès cet automne. Ils vont apporter de la sérénité. C’est la tranquillité du troupeau. Face à toute menace, c’est un chien dont le travail est de protéger le troupeau. Il ne fait que ça. Il reste toujours avec les brebis et il veille sur leur sécurité, c'est-à-dire qu’en cas d’intrusion menaçante, c’est un chien qui va facilement s’alarmer s’il voit les brebis s’agiter. Du coup, il va chercher les menaces qui peuvent être du type vol, du type attaque de chien errant et du type prédation comme avec le loup parce qu’il y en a dans le département."

"On est dans l'expérimental"

En plus des cartes, le Conservatoire d'espaces naturels fera des suivis tout le mois de juillet et tout le mois d'août sur les endroits qui auront été consommés. Il vérifiera l'impact du troupeau sur les végétations pour évaluer et réajuster si besoin. "On est dans l'expérimental. L'objectif est surtout de ne faire que du bien au patrimoine naturel," insiste Manon Frangeul.

Si l'opération a été prise en charge par le conseil départemental en 2022, elle a été entièrement financée par des fonds européens cette année, par contrat Natura 2000. Le montant est de 51 031 € HT.

L'expérience n'a pour le moment lieu qu'en forêt d'Ermenonville mais avec 140 brebis, le sol a atteint son maximum. Des conventions sont en discussion pour que des propriétés du Parc Astérix et du domaine de Châalis, composées, elles aussi, de landes et pelouses sèches, servent à accueillir du pâturage. L'occasion pour les bergers de développer leur élevage. 

"800 brebis en 2025, c'est jouable"

"On devrait atteindre une vitesse de croisière dans deux ans, espère Benoît Mangin. Il faudrait qu’on soit entre 800 et 1000 animaux. C’est un beau troupeau, mais dans l’élevage de brebis, pour la vente d’agneaux de boucherie, 400 animaux, c’est un petit salaire. Actuellement, mon épouse est double active. Elle est encore à temps-plein dans l'Éducation nationale. On pense faire la bascule en 2025. Les investissements majeurs seront faits. Les crédits seront déjà bien remboursés. C'est une question de sécurité financière. Je pense qu'en 2025, c'est jouable. On devrait atteindre 800 animaux". 

Si les brebis prennent leurs quartiers d'été en forêt, elles circulent le reste de l'année d'une prairie à l'autre, notamment chez des producteurs céréaliers. Elles servent de désherbant naturel et s'adaptent au territoire. "On étudie toute proposition de partenariat," indique Benoît Mangin.

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