"On a commencé avec sept caméras, maintenant on en a vingt fois plus" : la vidéoprotection, une réponse controversée à la délinquance

Le nombre de caméras filmant la voie publique a fortement augmenté ces dernières années, notamment pour lutter contre l'insécurité. Dans ce domaine, Nogent-sur-Oise est précurseur. Elle est l'une des premières communes en France à avoir mis en place son réseau de vidéoprotection. Mais le dispositif fait l'objet de nombreuses polémiques.

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La dernière caméra vient d'être installée dans le hall de la mairie. Un lieu entièrement rénové après avoir été incendié lors des émeutes de juin dernier. "Après les évènements, on a pu interpeller les auteurs des dégâts grâce à une petite caméra à l'accueil. Depuis un mois, que la nouvelle caméra est installée, on protège plus sérieusement l'accès et les agents, il y a moins d'agressions verbales. Ce qui prouve l'utilité des caméras", justifie Claude Robert, adjoint au maire délégué à la sécurité de Nogent-sur-Oise, qui insiste sur le pouvoir dissuasif de la vidéoprotection.

Plus de 100 caméras à Nogent-sur-Oise

Ces deux dernières décennies, la ville n'a cessé de développer son arsenal de caméras dans les rues, mais l'élu refuse de nous donner le chiffre exact. Il nous laisse entendre que la ville dispose désormais de plus d'une centaine de dispositifs dans les lieux ouverts au public. "On a commencé avec sept caméras dans les années 2000 et maintenant, on n'est pas loin de vingt fois plus. Au départ, la population refusait la vidéoprotection, mais désormais, elle en redemande pour se sentir en sécurité. La moindre infraction est filmée et verbalisée : les stationnements interdits, les stops grillés, les zones de priorités piétons pas respectés", explique Claude Robert.

Dès la première année, [...] la délinquance a baissé de 12 % et depuis, on est continuellement en baisse.

Claude Robert, adjoint au maire délégué à la sécurité de Nogent-sur-Oise

Selon lui, les incivilités routières ont baissé, mais également la délinquance dans la ville. "Dès la première année, quand on a installé le système, avec le mur de surveillance dans un local, la délinquance a baissé de 12 % et depuis, on est continuellement en baisse. Sauf cette année, où elle a augmenté de 17 %. Mais ça, c’est parce qu'on mène la guerre aux dealers." La ville a investi dans un centre de supervision urbain où cinq opérateurs surveillent, à distance, les rues de Nogent. Ces agents travaillent en collaboration avec la police nationale et la gendarmerie pour "repérer les contrevenants". "On travaille avec eux sur de nombreuses interventions. On est en renfort et c'est très efficace", ajoute Claude Robert.

Un sentiment de sécurité sans étude d'impact

Les habitants que nous avons rencontrés en centre-ville, semblent satisfaits de ces caméras qui les filment lors de tous leurs déplacements. "C'est très bien. Avec la vidéo, ce sont des preuves qui peuvent être utilisées. Moi, ça ne me gêne pas, ils peuvent en mettre partout. Tant qu'on n'a rien à se reprocher...", lance cette femme. "Avec la vidéosurveillance dans toutes les rues, on se sent en sécurité. Les gens savent que mon établissement est surveillé. On est tranquilles", ajoute ce gérant de bar.

La France n’a pas encore engagé un programme de recherche destiné à mesurer l’apport de la vidéosurveillance.

Rapport 2011 de la Cour des comptes

Un sentiment de sécurité pour la population, mais très coûteux. L'adjoint au maire chiffre la dépense à près de 30 000 euros par an. Pourtant, son efficacité fait l'objet de débats récurrents sans qu'aucune évaluation précise n'ait été menée par les pouvoirs publics. Une solution pour lutter contre la délinquance qui peine à être démontrée, comme le rappelait la Cour des comptes dans un rapport publié en 2011 : "contrairement au Royaume-Uni, la France n'a pas encore engagé un programme de recherche destiné à mesurer l’apport de la vidéosurveillance dans les politiques de sécurité publique". Elle ajoute : "Les différentes études conduites à l’étranger, notamment au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Australie, ne démontrent pas globalement l’efficacité de la vidéosurveillance de la voie publique". Neuf ans plus tard, son constat est identique et elle réitère sa recommandation : "Engager une évaluation de l'efficacité de la vidéoprotection de la voie publique, notamment dans l'élucidation des crimes et délits, avec le concours de chercheurs et d'experts."

Sans études ni données nationales sur le sujet, difficile d'évaluer l'utilité de ces dispositifs, qui provoquent cependant un engouement dans les villes de France. En 2023, un  rapport sur la vidéosurveillance, a rendu par deux députés, estimait à 90 000 le nombre de caméras de surveillance de la voie publique contrôlées par la police ou la gendarmerie. Elles étaient 60 000 en 2013.

Le taux d’élucidation via l’exploitation de la vidéoprotection est très significatif.

Loïc Abrial, procureur de Senlis

Malgré nos sollicitations auprès de la police nationale, nous n'avons pas pu obtenir de chiffres sur le taux de résolution des affaires grâce aux caméras installées sur la voie publique à Nogent-sur-Oise. La direction nous informe qu'elle n'est "pas en mesure de distinguer les affaires élucidées exclusivement grâce à la vidéoprotection". Mais d'après Loïc Abrial, le procureur de Senlis : "Le taux d'élucidation via l'exploitation de la vidéoprotection est très significatif. Ce moyen de preuve est décisif dans de nombreuses enquêtes."

Des études indépendantes démontrent l'inutilité de la vidéoprotection

Quelques chercheurs en France et à l'étranger se sont penchés sur le sujet. Laurent Muccielli, sociologue, directeur de recherche au CNRS, spécialisé dans la sociologie de la délinquance et des politiques de sécurité, a mené une enquête de terrain qu'il décrit dans son livre, Vous êtes filmés ! (Armand Colin, mars 2018). Selon lui, la vidéosurveillance sert moins à lutter contre les vols et les cambriolages qu'à des fins de gestion urbaine et de vidéoverbalisation.

L'aide qu'apporte réellement la vidéosurveillance à la police et la gendarmerie concerne entre 1 et 3 % de leurs enquêtes.

Laurent Muccielli, sociologue, directeur de recherche au CNRS

D'après l'enquête, que l'expert amené dans trois villes françaises, la vidéosurveillance n'est pas d'un grand secours pour les enquêtes policières, et ne ferait que déplacer la délinquance. "L'aide qu'apporte réellement la vidéosurveillance à la police et la gendarmerie concerne entre 1 et 3 % de leurs enquêtes", explique le sociologue, dans une interview sur France Inter, en 2018. Selon le chercheur, la vidéosurveillance ne ferait que déplacer la délinquance dans les zones limitrophes non équipées de caméras. "Toutes les études anglo-saxonnes le démontrent." Il fait référence notamment à Birmingham, deuxième ville la plus peuplée d’Angleterre. Une étude anglo-saxonne de 1995 montre que le nombre de vols à l’arraché et cambriolages y a triplé dans la partie de l'agglomération non couverte par les caméras, après la mise en place de la vidéosurveillance.

"La vidéosurveillance est détournée pour sanctionner les infractions routières"

L'expert constate que les agents municipaux sont davantage occupés à autre chose que lutter contre la délinquance. "La vidéosurveillance est détournée pour sanctionner les infractions routières. Pour lutter efficacement contre la délinquance, il faut remettre des policiers sur le terrain." 

Un avis partagé par Loïc Pen, conseiller municipal (PCF) de l'opposition à Nogent-sur-Oise, qui dénonce "une fausse sécurité". "Il faut raisonner sur ce qui est efficace et non pas se donner le sentiment qu'on agit alors que la seule chose qui fonctionne avec la vidéoprotection, c'est la verbalisation des voitures. Il ne faut pas penser que c’est la solution à la délinquance." D'après lui, la police de proximité avait plus d’effet sur la baisse de la délinquance. "Ces policiers connaissaient les quartiers. Ils repéraient des gars et allaient sonner chez leurs parents. Désormais, on a uniquement une police de maintien de l’ordre."

De nouveaux dispositifs ont été mis au point avec l'arrivée des logiciels d'intelligence artificielle. Ces caméras dites "augmentées" sont déjà utilisées en vue de produire des statistiques. Elles sont aussi utilisées pour sanctionner certaines infractions au Code de la route. Mais l'article 7 de la loi relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024, promulguée en mai 2023, étend les usages de ces caméras, malgré un avis négatif de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Pendant toute la durée des Jeux et jusqu'au 31 mars 2025, 500 de ces nouvelles caméras, selon le préfet de police de Paris Laurent Nuñez, seront ainsi déployées dans la capitale, à des fins expérimentales. Il s'agirait, cette fois, d'une garantie pour la sécurité de la manifestation sportive.

À Nogent-sur-Oise, la mairie projette de développer son parc de caméras de vidéoprotection dans l'espace public, dans les années à venir.

Avec Laurent Pénichou / FTV

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