C'est un nom qui invite aux voyages dans des contrées lointaines. Le safran, cultivé essentiellement en Iran et en Inde, est l'une des épices les plus chères du monde. Elle est pourtant cultivée en France et notamment dans les Hauts-de-France. Une proximité qui ne fait pourtant pas baisser le prix de ce qui est considéré en gastronomie comme un trésor culinaire.
La rosée perle encore sur l'herbe du champ de Catherine Boutin à Gouvieux dans l'Oise.
C'est pourtant l'heure pour elle de cueillir les fleurs de crocus qui habillent d'un violet tendre la grande étendue verte.
10 000 bulbes pour une récolte de 500 grammes
Des fleurs fragiles et éphémères qui ne vivent que 24 à 36 heures. Et qui produisent l'une des épices les plus chères du monde : le safran.
Sur 100 bulbes, (...) je crois que j'ai eu 2 ou 3 grammes. J'ai sacrifié un gramme complet pour le faire analyser.
Catherine Boutin, productrice de safran à Gouvieux
Ramassées à la main avec minutie et délicatesse dans la fraîcheur du matin, les fleurs de safran ne se récoltent qu'en octobre, "parfois un tout petit peu plus tôt, fin septembre et ça peut aller jusqu'à mi-novembre, explique Catherine. C'est une fleur unique parce que c'est une fleur à végétation inversée. On la plante en août. 6 à 8 semaines après, c'est là qu'elle fleurit. D'habitude, on plante les bulbes de fleurs au printemps et elles fleurissent en été. La fleur de safran, on la plante en été et elle fleurit au mois d'octobre."
Catherine Boutin s'est lancée il y a trois ans dans la production de safran dans l'Oise. Sur 500 m², après avoir fait "un petit test sur 100 bulbes. J'ai récolté quelques fleurs. Je crois que j'ai eu 2 ou 3 grammes. J'ai sacrifié un gramme complet pour le faire analyser. Le résultat de l'analyse a été que j’étais classée Iso 36/32, c'est la norme pour le safran, catégorie 1. La meilleure catégorie. Donc j'ai dit bingo et l’année d’après, j’ai commandé 10 000 bulbes qui sont plantés là."
Plus cher que l'or
10 000 bulbes qui lui ont permis de récolter l'année dernière un peu plus de 500 grammes d'or rouge. Avec une densité maximale de 50 bulbes de crocus au m², 100 m² plantés produiront 30 à 50 grammes de safran sec et un hectare, 2 kilos. Une production vendue entre 32 et 35 euros le gramme selon les quantités qu'on achète à Catherine. Soit plus de 30 000 euros le kilo.
Pour l'émondage, (...) il faut bien pincer à la racine du pistil pour couper seulement le rouge.
Catherine Boutin, productrice de safran à Gouvieux
Si le safran est plus cher que l'or, c'est parce que tout se fait à la main, de la cueillette à l'émondage. Un geste qui ne peut pas attendre : aussitôt cueillie, chaque fleur est délestée de son pistil composé de trois filaments sur lesquels est fixée la poudre rouge orangé.
Un pistil frais pesant 0,10 grammes, il faut 150 fleurs pour produire un seul gramme de safran. Soit 150 à 200 000 fleurs pour avoir un kilo. Car séché, le pistil frais perd jusqu'à 80% de son poids.
"Pour l'émondage, vous prenez la fleur par la tige et vous allez isoler le pistil de telle sorte à l'avoir complet, montre Catherine. Et surtout, moi, je ne veux pas qu'il y ait du jaune parce que dans cette partie jaune du pistil, il n'y a pas de safran. En plus, ça va donner de l'amertume aux plats. Donc il faut bien pincer à la racine du pistil pour couper seulement le rouge."
Une épice très prisée des chefs cuisiniers
Ce jour-là, elle reçoit des chefs cuisiniers du secteur pour leur faire découvrir sa production. Parmi eux, Clément Le Norcy de l'Auberge du jeu de paume à Chantilly, séduit par les qualités gustatives du safran. "C'est une épice qui est très intéressante parce qu'elle est évolutive, observe-t-il. (...) On a des arômes qui se développent. On a quasiment un arôme de foin un peu grillé. Et on sait que dans la préparation qu'on veut utiliser, il va avoir encore une autre évolution. Qu'on le mette dans un bouillon ou qu'on le mette dans quelque chose de plus gras, on sait qu'on va avoir quelque chose qui vit, qui donne de la matière à notre recette."
Pour nous, avant, pour le safran, l'Iran, c'était la référence.
Vincent Pléau, sous-chef à La grange aux loups à Apremont
Pour Vincent Pléau, sous-chef de l'auberge La grange aux loups à Apremont, le safran isarien, c'est une belle découverte. "Nous, on travaille le safran depuis des années et savoir qu'à 5 kilomètres du restaurant, il y a quelqu'un qui cultive le safran depuis des années, on a trouvé ça super. (...) Pour nous, avant, pour le safran, l'Iran, c'était la référence."
Une production française anecdotique
Avec 150 à 200 tonnes produites chaque année, l'Iran fournit en effet 90 à 95% du marché mondial. Loin derrière, l'Inde et la région du Cachemire produisent annuellement 10 fois moins de safran. Quant à la France, sa récolte annuelle ne dépasse pas les 100 kilos.
C'est pourtant la proximité tout autant que la qualité de la production de Catherine qui a décidé Vincent Pléau à l'utiliser dans sa cuisine : "on ne travaille qu'avec le safran de Catherine. Si demain, on n'a plus de safran qui vient d'ici, on arrête d'utiliser le safran comme beaucoup de produits locaux qu'on utilise. Et au final, l'Iran, on se rend compte que c'était du classique à côté du safran d'ici. C’est exceptionnel en termes d'arôme. C'est vraiment un produit super à travailler."
Un produit à travailler avec délicatesse. Penché au-dessus d'une assiette, le sous-chef vient déposer sur un boudin de brochet pané à la sauce rouille un pistil d'or rouge.
Un pistil manié à la pince à épiler. Comme le trésor culinaire fragile et pourtant très aromatique qu'est le safran : un gramme peut sublimer 70 à 90 plats.
Avec Haron Tanzit / FTV.