Seconde Guerre mondiale : retour sur le massacre des tirailleurs sénégalais en juin 1940 dans l'Oise

À l'occasion des 80 ans de la Bataille de France, notre journaliste Jean-Paul Delance revient sur les événements marquants du printemps 1940. Aujourd'hui, il relate le massacre des troupes coloniales françaises par les Allemands.

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Le mythe de la guerre propre est une pure fiction. Par essence, tout conflit s'accomplit dans la violence et la brutalité. Pourtant, au cours de la Bataille de France, l'armée allemande, s'affranchissant de toute retenue, va repousser les limites de la cruauté en massacrant délibérément les troupes coloniales qui ont osé lui résister.

On le sait, dès le 10 mai 1940, l’armée française est bousculée par un ennemi combatif, surentrainé et suréquipé. Aussi, comme en 14-18, la France fait appel aux enfants de ses colonies pour défendre les frontières de son territoire national.

Les troupes coloniales en première ligne

C'est le cas pour la 4ème division d’infanterie coloniale. Stationnée au début des hostilités en Alsace, elle est transférée en urgence fin mai pour la défense d'Amiens. Positionnée à l'est et au sud-est de la capitale picarde, elle a pour mission de stopper l'arrivée des chars et des fantassins menés par le général Guderian.

Le combat est inégal mais le terrain n'est cédé qu’après une résistance acharnée. De quoi mettre les Allemands en fureur... En guise de représailles, ils ordonnent par exemple à la population de Marcelcave de ne pas inhumer les cadavres des soldats noirs.

Après la Bataille d'Amiens, la division entame son repli plus au sud, vers la région parisienne. Le 9 Juin, elle est dans l'Oise, au nord de Clermont.

C'est là que, poursuivie par l’ennemi, elle livre encore ce que l'on appelle des combats d'arrière-garde ou de retardement. Angivillers, Erquinvillers, Cressonsacq, Lieuvillers... autant de villages transformés en petits fortins dont les Allemands ont bien du mal à se rendre maîtres.

Des représailles brutales

Un affront qu’ils ne vont pas tarder à venger, car faute de munitions, les Français sont contraints à cesser le combat. Commence alors le tri des prisonniers. Les soldats noirs sont séparés des blancs.

Le massacre peut commencer... Il durera jusqu’au lendemain. La plupart des tirailleurs sont abattus par armes à feu, pistolets ou fusils mitrailleurs. Pour d’autres, on utilise la baïonnette. Après quoi, ceux qui respirent encore, sont achevés à coups de boucle de ceinturon.

Impuissants, huit officiers blancs assistent à ce spectacle d’horreur. Ils s’indignent et menacent de dénoncer ces exactions. Le matin du 10 juin, sur la commune de Cressonsacq, ils sont exécutés.

Aujourd’hui encore, et malgré les travaux d’historiens passionnés, on ne connaît pas l’ampleur exacte de cette tuerie de masse. On estime qu’au bas mot, elle a fait 350 morts, mais des dizaines de corps ayant disparu, il semble que le nombre de 500 soit plus proche de la vérité.

Après la guerre, à l’initiative d’un combattant de 1940, témoin des événements d’Erquinvillers, la commission départementale est saisie. Une enquête est diligentée mais elle n’entraîne aucune poursuite judiciaire.

La propagande allemande à l'origine de la cruauté

Tentons à présent de déterminer l’origine d’un tel déchainement de haine de la part de soldats allemands de l’armée régulière. Ici, contrairement à Oradour-sur-Glane, nous ne sommes pas en présence de divisions SS, fanatisées.

La première explication, on la trouve dans le fondement même de l’idéologie nazie qui crée la notion de sous-hommes et prône la supériorité de la race blanche sur toutes les autres.

À cela s’ajoutent les mauvais souvenirs de la Grande Guerre. Je l’ai dit, la France, puissance coloniale, y utilise abondamment ses "troupes indigènes". Très vite, les Allemands les accusent de sauvagerie, de mutilations voire d’anthropophagie envers les prisonniers.

En 1940, les mêmes termes circulent dans la troupe. Un objet en particulier focalise la peur des combattants d’outre-Rhin : le fameux coupe-coupe ! Dans les tranchées, la propagande assurait que les tirailleurs s’en servaient pour confectionner des colliers d’oreilles découpées sur les cadavres et les blessés.

22 ans plus tard, à Erquinvillers, l’objet inspire toujours la même crainte. Pour preuve, lorsque le commandant Carrat demande des explications sur les raisons du massacre de ses tirailleurs, le colonel allemand lui répond que deux d’entre eux ont tenté de s’enfuir en blessant deux gardiens à l’aide d’un coupe-coupe.

Après l'Armistice du 11 novembre 1918, un autre événement marque profondément les consciences allemandes. Il s’agit de l’occupation par les Français de la Rhénanie et de la Ruhr.

Les troupes coloniales sont alors perçues comme une humiliation supplémentaire, une tentative d’abâtardir la race allemande. Là encore, les tirailleurs sont montrés du doigt. On les accuse de destructions et de viols massifs. La presse s’enflamme, on parle alors de "honte noire". Une cabale relayée jusqu’en Amérique qui incite le président Wilson à ordonner une enquête sur les agissements des troupes françaises.

Les prémices des autres exécutions à caractère racial

2 jours avant l’Oise, la Somme, elle aussi, a été le théâtre d’une exécution massive de tirailleurs par les soldats du général Rommel. C’était à Airaines, à l’ouest d’Amiens. D’autres suivront, accompagnant la progression des troupes allemandes vers le sud comme à Clamecy dans la Nièvre ou au nord de Lyon. Erquinvillers et les villages voisins gardent toutefois le triste privilège d'avoir été le théâtre de la plus meurtrière d'entre elles. 

Avec le recul, la Bataille de France apparaît donc comme le premier jalon d’un processus d’extermination à caractère racial qui au cours des années suivantes va engloutir les vies de millions d’êtres humains.

 

 

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