Le soir des attentats de Paris le 13 novembre 2015, les pompiers de la zone de défense nord sont appelés en renfort de leurs collègues parisiens. Le seul groupe à avoir pénétré dans la capitale est venu de l'Oise et commandé par le lieutenant-colonel Agnès Janes. Cette pompier volontaire raconte.
Agnès Janes est lieutenant-colonel chez les pompiers de l’Oise. Pompier volontaire depuis 1995, elle a exercé ses fonctions en Moselle et en Isère avant d'être affectée dans l'Oise en 2003. Dans le civil, elle est ingénieure conseil à la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France (Cramif). Elle fait de la prévention des accidents du travail et des risques professionnels.
Au soir du 13 novembre 2015, alors que Paris vient d’être touchée par une vague successive d’attentats meurtriers, les pompiers de la zone de défense Nord, qui regroupe les 5 départements des Hauts-de-France, sont appelés pour constituer une colonne de renfort pour la capitale.
Renforcer les pompiers de Paris en cas de nouvelle attaque
Chaque département envoie des moyens de secours à personne commandés par un chef de groupe. Le SDIS de l’Oise engage quatre ambulances et, particularité, un médecin. C’est Agnès Janes, alors capitaine affectée au groupement territorial sud du SDIS60, qui est désignée chef du groupe isarien. "Ça fait longtemps mais je m'en souviens quand même. J'étais d'astreinte chef de groupe sur le secteur de Creil dans l'Oise, explique-t-elle. Pour cette mssion à Paris, le groupe de l'Oise a été constitué de 4 ambulances et d'un chef de groupe. Et il a été décidé que je serais chef de groupe pour cette mission. J'ai été appelée par téléphone pour recevoir cette mission. Je me suis rendue au centre de secours principal de Creil où j'ai attendu les 4 ambulances et la voiture avec le médecin."
Les 5 groupes sont censés se rejoindre pour former la colonne de renfort sur une aire de l’autoroute A1. C’est évidemment le groupe de l’Oise qui arrive le premier au point de rendez-vous. Mais la situation est telle à Paris, que, plutôt que d’attendre les autres groupes de la zone de défense Nord, la décision est prise d’envoyer seul le groupe du SDIS 60. Face à l’incertitude d’une nouvelle attaque, direction le centre de secours (CS) de Saint-Denis "pour le soutenir sur son secteur mais aussi pour être engagés, si besoin, sur un autre événement d'ampleur qui aurait touché Paris sur sa région."
On mesurait la gravité des événements qui touchaient la France. On avait tous conscience de vivre l'Histoire.
Au moment où arrive le groupe de secours de l’Oise au CS de Saint-Denis, plusieurs pompiers de Paris intervenus au Stade de France et au Bataclan reviennent de leur mission. "Je les ai vus garer leurs engins et monter directement dans l'espace dédié pour rencontrer notre médecin, raconte le lieutenant-colonel Janes. Elle s’est mise à leur écoute."
Assurer la sécurité du groupe en cas d'intervention
Agnès Janes n’a pas le temps d’échanger avec eux, "j'étais plus occupée à prévoir les conditions d'engagement de mes moyens pour que tout soit prêt pour notre engagement éventuel."
Sur place, l’ambiance est calme, pas du tout frénétique. Chacun est concentré sur ce qu’il a à organiser et sur la possibilité de partir sur une nouvelle attaque. "En même temps, on mesurait la gravité des événements qui touchaient la France. On avait tous conscience de vivre l'Histoire, d'être dans une situation qu'on n'aurait jamais imaginée avec aussi finalement une conduite qui est liée à nos réflexes professionnels et qui ne nous amenait pas à nous poser vraiment de questions, sur comment on allait réaliser cette mission mais en même temps avec le sentiment de vivre quelque chose de complètement inattendu. On agissait de manière à la fois mécanique et consciente", se rappelle Agnès Janes.
Ce n'était pas seulement une situation qui est dangereuse avec un bâtiment qui est instable, un feu qui risque de se propager. Là, on était confrontés (...) à une situation de risques qui est causée par la volonté de quelqu'un. C'est-à-dire des gens qui veulent faire du mal à d'autres gens.
Sa préoccupation première : assurer la sécurité de son groupe dans le cas où il était amené à intervenir. Avec un paramètre nouveau pour elle : la malveillance volontaire. "D'habitude, quand on s'engage avec les pompiers sur des situations potentiellement dangereuses, pour lesquelles il existe un risque, c'est d'analyser les risques et de faire en sorte de travailler en sécurité, fait-elle remarquer. Même si on ne peut pas tout prévoir, l'idée, c'est vraiment de faire de la prévention. Or là, c'était beaucoup plus compliqué parce que ce n'était pas seulement une situation qui est dangereuse avec un bâtiment qui est instable, un feu qui risque de se propager. Là, on était confrontés à quelque chose qui est volontaire, à une situation de risques qui est causée par la volonté de quelqu'un. C'est-à-dire des gens qui veulent faire du mal à d'autres gens. Et ça, ça change tout. Et c'est vrai que ça m'a interrogée sur cette soirée : comment je pouvais assurer la sécurité de mes personnels si on leur tirait dessus par exemple."
Procédures et doctrines
Jamais Agnès Janes n’a eu le sentiment de ne pas savoir ce qu’elle devait faire dans cette situation pourtant inédite. "Je n'avais jamais envisagé la possibilité de me retrouver dans une telle situation. Et à l'époque, je n'étais pas spécialement préparée à ça, avoue-t-elle. Mais chez les pompiers, on ne se sent jamais complètement perdus : on a des doctrines professionnelles qui font qu'on sait à quoi se raccrocher. On n'est jamais complètement démunis. Quoi qu'il se passe, on est toujours engagés dans un certain cadre avec un certain dispositif. On a des procédures."
Des procédures qui ont un effet rassurant et qui permettent de rationaliser des situations où l’émotion peut rapidement prendre le dessus comme fut le cataclysme des attentats du 13 novembre.
Je me rappelle m'être dit que ce n’était pas pour ça que je voulais être pompier. (...) Mais ça a renforcé ma vocation."
"Depuis cet événement d’ampleur, on a intégré ce type d'événement à notre préparation : on a réfléchi pour savoir comment s'organiser et optimiser notre réponse à ce type d'événement. Et on l’a intégré dans la formation des agents et dans nos procédures de travail", précise le lieutenant-colonel Janes. Mais concède "que même maintenant on ne peut pas dire que l'on est préparé à ça parce que ça reste des opérations complexes avec des implications énormes. Mais aujourd’hui, on a au moins un cadre d’intervention sur lequel s’appuyer."
Si elle a été marquée par les attentats de Paris, "comme n’importe quel citoyen français parce que c'était des événements d'une ampleur inédite", son engagement sur le terrain n’a pas eu d’impact psychologique : "c'était la première fois, et j'espère la seule dans ma carrière, que j'étais engagée sur ce type d’intervention. Ce qui m'a marquée, c'est que, quand j'ai reçu cette mission, je me suis vraiment dit : mais en fait je vais partir sur quelque chose qui n'était pas du tout prévu dans ma carrière. Je me rappelle m'être dit que ce n’était pas pour ça que je voulais être pompier. Je n'avais pas du tout imaginé pouvoir être engagée sur ce type de mission. Et en tant que pompier, ça a renforcé ma vocation."