Témoignages. "Quand je rentre à mon domicile le soir, je regarde autour de moi" : deux maires racontent les agressions dont ils sont victimes

Publié le Écrit par Anas Daif

Le même jour, deux maires de l'Oise ont été victimes d'une agression dans des contextes différents. S'ils s'en remettent progressivement, ils ne peuvent s'empêcher de pointer du doigt un climat social délétère et demandent un renforcement du statut de maire.

Le même jour, mercredi 28 février, deux maires ont été agressés dans l'Oise pour des motifs différents, dans un contexte où les violences verbales et physiques envers les édiles augmentent partout en France depuis quelques années.

L'Association des Maires de France est d'ailleurs engagée depuis 2020 à travers un observatoire dans la lutte contre les violences faites aux élus. Entre 2021 et 2022, par exemple, "les atteintes verbales ou physiques à l'encontre des élus locaux, notamment les maires et leurs adjoints, ont augmenté de 32 %, passant de 1 720 à 2 265". 

"Le réceptacle de toutes les frustrations de la population"

C'est le cas de Christophe Dietrich, maire de Laigneville depuis 10 ans, qui s'est fait invectiver et pousser par un habitant en pleine réunion de chantier, mercredi 28 février, à l'heure où la municipalité est en train de refaire toute la ville.

"Il y a cette personne qui est connue de nos services, parce qu'elle est en contentieux avec la mairie au sujet d'un problème d'urbanisme, lance le maire. Ce monsieur était là, nous regardait. Je lui ai demandé ce qu'il souhaitait et là, il a commencé à m'invectiver, à m'insulter, donc je lui ai demandé de rester sur place".

Mais l'homme en question a continué d'avancer vers lui. Christophe Dietrich l'a rattrapé et, lorsqu'il s'est mis devant lui pour l'arrêter en attendant la police municipale, "il m'a poussé, et comme c'est un vieux monsieur, il était bien évidemment hors de question de le plaquer au sol. C'est une personne assez fragile quand même", souligne-t-il. Il a alors discuté avec lui pour le retenir jusqu'à l'arrivée des forces de l'ordre. "Il a été placé en garde à vue pour les propos qu'il a tenus".

Le maire de Laigneville ne s'imaginait pas se retrouver un jour dans une telle situation, "pas de cette façon-là et pas avec une dégradation aussi rapide. Aujourd'hui, on a le sentiment que le maire est le réceptacle de toutes les frustrations de la population, les frustrations sociales, financières et politiques", notamment.

La seule personne qui est véritablement à portée pour nourrir la frustration, c’est le maire. Aujourd'hui, les élus sont en première ligne. On n'a pas été élus pour gérer ce problème, on est élus pour administrer une ville.

Christophe Dietrich, maire de Laigneville

"Je vais t'exploser, je vais exploser ta famille"

Roger Menn, maire de Liancourt, a également vécu une agression mercredi 28 février en sortant d'une réunion en mairie. "Je rentrais à mon domicile où j'étais en télétravail", explique-t-il. En voulant démarrer sa voiture, une personne qu'il ne connaissait pas s'est mise devant son véhicule. "Bien évidemment, je m'arrête, il se dirige ensuite vers moi et je me dis que c'est quelqu'un qui a une question à me poser".

L'édile abaisse sa vitre, et c'est là que l'homme lui demande : "vous ne me reconnaissez pas ?". En répondant par la négative, son interlocuteur se met "terriblement" en colère. Il lui dit : "il y a plusieurs années, je vous ai rencontré, vous m'aviez promis un logement". Roger Menn répète qu'il ne le reconnaît pas. "Il s'est mis à vociférer et puis, d'un seul coup, il m'a craché dessus. Donc j'ai bien évidemment refermé ma vitre".

Ce n'est pas tout. L'homme a été "très violent", a tapé plusieurs fois sa voiture, "il a mis son front contre la vitre, en essayant de la casser je suppose, en disant : je vais t'exploser, je vais exploser ta famille". À un moment donné, il finit par reculer, laissant l'occasion au maire d'appuyer sur l'accélérateur et de partir "directement à la gendarmerie où j'ai eu un excellent accueil de la part des gendarmes et des pouvoirs publics". Le soir même, il a reçu un appel du procureur de la République "pour me dire ce qu'il comptait faire avec l'individu puisqu'il a été immédiatement intercepté par les gendarmes et placé en garde à vue".

J’ai eu peur parce que j’étais dans mon véhicule, donc protégé par la carrosserie, je pense que si j’étais sorti, je me serais fait tabasser. Donc j’ai eu peur. [...] Juste après, j’étais tout tremblant. Et maintenant, quand je rentre à mon domicile le soir, je regarde autour de moi pour voir s’il n’y a rien.

Roger Menn, maire de Liancourt

Roger Menn "regrette" cet incident, d'autant plus qu'il compte derrière lui 35 ans de mandat, "de dévouement pour les citoyens de cette ville, mais au-delà aussi puisque j'ai également eu des responsabilités au conseil départemental, et dans des organismes HLM".

Il avoue ne pas comprendre la situation : "c'est une personne qui, visiblement, voulait absolument un logement. Les logements ne sont plus attribués par les maires, mais par des commissions intérieures des différents bailleurs sociaux".

"Mon boulot, c'est de rendre la vie plus agréable"

Christophe Dietrich insiste sur le fait que son travail consiste à rendre la vie de ses administrés plus agréable, de vivre dans de meilleures conditions. Mais il s'aperçoit que son énergie "et une grande partie de mon temps est accaparé par des conflits, des problèmes, des difficultés et absolument pas par la gestion propre de la ville".

Quant à la frustration que peuvent avoir certains habitants, "on a le sentiment que dans l'imaginaire collectif des gens, le maire est là pour ça. Des fois, je me fais insulter et on me dit : de toute manière, tu es là pour ça. Non, je ne suis pas là pour ça, je suis là pour administrer cette ville !".

Malheureusement, on a le sentiment qu'on va vers une évolution exponentielle avec, petit à petit, tous les filtres, toutes les barrières qui tombent les unes après les autres. Aujourd'hui, on est prêts à en venir aux mains et on se demande si, tôt ou tard, on ne va pas se retrouver avec un maire à terre, tout simplement parce qu'il a essayé d'administrer sa ville ou qu'il n'a pas été dans le sens d'un des administrés.

Christophe Dietrich, maire de Laigneville

Il regrette qu'aujourd'hui certains administrés, qui n'obtiennent pas de satisfaction, en viennent "systématiquement" à harceler le personnel communal, le maire, "et ne lâchent pas tant qu'ils n'ont pas ce qu'ils veulent". En cause, selon lui, la société actuelle dans laquelle on a l'habitude de tout avoir : "il suffit d'appuyer sur une touche pour avoir accès à tout et on pense qu'en allant en mairie, on aura tout ce qu'on veut".

Le constat est partagé par Roger Menn. "Il y a 35 ans, ce n'était pas du tout comme ça. Maintenant, les gens sont sans doute plus violents, sans doute qu'ils ne supportent pas du tout l'attente. Ça, c'est peut-être lié à la civilisation internet. Google a réponse à tout, tout de suite, mais nous, pas forcément". Il observe aussi que depuis le Covid, "les gens sont quand même d'une humeur plus belliqueuse".

"On m'a dit à plusieurs reprises que j'avais un contrat sur la tête"

Ce n'est pas la première fois que Christophe Dietrich se retrouve dans une situation similaire. Lui et son équipe municipale mènent une lutte "sans merci" contre les dépôts sauvages de déchets. "Ça a eu un certain écho médiatique, donc on se retrouve parfois avec des gens qui vous envoient des mails ou qui vous menacent carrément de mort", admet-il.

Par exemple, il a déjà reçu : "je vais venir dans ta commune de bouseux et t'apprendre la politesse... Et je vous passe toutes les insultes". Les menaces étaient d'ailleurs plus vives lors des premières opérations de "retour à l'envoyeur", où les dépôts sauvages sont renvoyés à ceux qui les ont déposés. "Là, par contre, c'était extrêmement violent ce que je recevais, les menaces étaient carrément ouvertes. On m'a dit à plusieurs reprises que j'avais un contrat sur la tête".

L'élu craint davantage pour sa famille et ses proches. "C'est pour vous dire à quel point la vie d'un maire, ce n'est pas que le maire qu'on attaque, ça a aussi un impact sur son quotidien, sa vie privée, son environnement". Car quand on est maire, "on ne l'est pas seul, on embarque aussi son entourage dans l'aventure".

Cette opération de "retour à l'envoyeur" est pourtant appréciée par Jean-Claude, habitant de la commune. "On a un maire qui est très bien, il n'y a rien à dire pour le moment, il refait toute la ville, c'est formidable. Je suis malheureux pour lui, c'est vraiment inadmissible, et la personne qui l'a agressé, j'espère qu'elle passera en jugement et qu'elle aura au moins un petit peu de prison ferme".

Céline, de son côté, ne cautionne en aucun cas la violence, mais comprend "l'énervement des personnes" qui en ont "un peu marre avec tout ce qui se passe. Mais c'est dramatique d'en arriver là et de ne pas pouvoir échanger librement". Pour elle, "c'est mieux d'avancer en parlant, c'est malheureux d'en arriver à la violence".

"Si les gens n'avaient pas de problèmes, ils n'agresseraient personne"

Alors, que faut-il mettre en place pour que les agressions ne se reproduisent plus ? Roger Menn note qu'il "faudrait sans doute soigner les maux de la société. Ça, c'est un vaste chantier qui n'est pas de ma responsabilité". Mais en attendant, "si on veut parler de mesures concrètes, la direction de la gendarmerie a souhaité m'inscrire sur un fichier avec mon numéro de téléphone, directement relié au centre de Beauvais". Désormais, dès qu'il appellera, il sera immédiatement identifié.

Il ajoute également qu'un "statut renforcé du maire ne changerait sans doute pas la possibilité d'agresser un maire, mais ça permettrait de requalifier différemment les choses. Donc quelqu'un qui s'attaquerait à un maire saurait d'emblée qu'il risque gros". Le procureur lui a notamment indiqué, ce vendredi 1er mars, ce qui était prévu pour la personne qui l'a agressé, à savoir une interdiction de se retrouver sur le territoire de la commune de Liancourt, d'entrer en contact avec lui ou les services municipaux.

Le type qui m’a agressé cherchait un logement. [...] Je connais le secteur autour du bassin creillois, c’est 5 000 familles qui cherchent un logement. Donc à un moment donné, il y a peut-être un désespoir qui arrive derrière.

Roger Menn, maire de Liancourt

Ce samedi 2 mars se tiendra une audience "qui traitera du sujet au mois d'avril au tribunal correctionnel. Donc on verra ce que ça donne ça donne à ce moment-là. La correctionnelle n'amène jamais à des peines très longues. Je pense qu'à un moment donné, suivant la violence des faits, suivant que le maire ait été inquiété physiquement", ce qui n'a pas été son cas, "je pense que les traitements doivent être différents".

Pour lui, c'est tout ceci qu'il faut "requalifier pour essayer d'améliorer les choses, le but étant que les élus de la République puissent travailler dans des conditions qui sont sereines". Malgré tout, ni lui, ni Christophe Dietrich ne comptent s'arrêter de sitôt dans leur mandat. "Le problème, c'est que je suis un passionné et je n'imagine pas ne pas aller au bout de mon mandat", affirme le maire de Laigneville.

Néanmoins, il comprend que "beaucoup de maires en France laissent tomber ou ne repartent pas, parce qu'effectivement, ce qu'on vit dans la mairie a aussi un très fort impact sur sa propre vie personnelle, intime et privée". C'est ce qui le pousse à se demander, au final : "est-ce que le jeu en vaut la chandelle ?".

Avec Jules Beaucamp / FTV

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